Après avoir revisité avec une dose d’humour les mythes de Tirésias, d’Héraclès, de Pygmalion et du Minotaure, le scénariste Serge Le Tendre nous propose un nouveau titre dans la collection Dargaud Mythologies : Sisyphe, Le châtiment des dieux.
1- La gloire d’Héra et Tiresias, de Le Tendre et Rossi.
Au début des années 2000, le scénariste Serge Le Tendre (La Quête de l’oiseau du temps, L’oiseau noir…), sur un ton léger, avait déjà réalisé La gloire d’Héra et Tiresias, avec Christian Rossi au dessin.
Ce célèbre scénariste, né à Vincennes en 1946, s’inscrit à l’université de sa ville natale pour y suivre les cours de bandes dessinées dispensés notamment par Mézières et Giraud, et y rencontre André Juillard et Régis Loisel. Au début, pour gagner sa vie, il est aide-comptable chez Esso et au CNRS, et même vendeur dans un sex-shop ! Au métier de dessinateur, il préfère rapidement celui de scénariste. En 1975, il inaugure sa fameuse Quête de l’oiseau du temps, mise en images par Loisel. Puis il crée les scenarios de Jérôme K. Jérôme Bloche, Les errances de Julius Antoine, Les voyages de Takuan, Chinaman, L’Histoire de Siloë, L’oiseau noir, Cycle de Taï-Dor, Golias…
Dans La gloire d’Héra, Serge Le Tendre imagine en 1996 que Zeus réserve le trône de Mycènes à son fils Alcée, l’homme le plus fort du monde, né de ses amours avec la mortelle Alcmène. Héra, déesse trompée par son mari encore infidèle, remet pour se venger la cité entre les mains d’un cousin d’Alcée. Celui-ci tente alors de conquérir le royaume de Mycènes qui lui était promis. Mais Alcée va devoir affronter les créatures d’Héra et de ses alliés : Agrios le centaure, le serpent de mer de Poséidon, les charmes des prêtresses d’Aphrodite, pan et ses satyres, ainsi que son frère jumeau Iphiklès… A la fin de ses aventures, Alcée sera connu sous le nom d’Héraclès.
Tirésias est le prolongement de la série La gloire d’Héra. Serge Le Tendre imagine en 2001 que ce jeune et beau guerrier Thébain, qui brise le cœur de tous, affirme être expert en matière de plaisir charnel. Vaniteux et capricieux, il jette son dévolu sur une gardienne du temple d’Athéna, déesse de la guerre. Injustement accusé de son viol, Tirésias est alors condamné par la déesse à devenir une femme, tout en conservant son esprit d’homme, jusqu’à ce qu’il en vienne à éprouver sincèrement de l’amour pour quelqu’un d’autre. Devenu une femme par intervention divine, il forme un couple avec le jeune Calypto et a ainsi une fille pour qui il éprouve un profond amour…
Le Tendre fait ainsi, avec humour, intervenir les dieux dans la vie des hommes. Dans La gloire d’Héra et dans Tirésias, Zeus et sa femme Héra se querellent. On reconnait la légèreté de son écriture. Pour mettre en évidence les passions, il se penche sur les états d’âmes du héros.
Au dessin, avec un style assez dépouillé, on devine que Christian Rossi apprécie la représentation du corps humain, lui offrant souvent une certaine sensualité.
2- Pygmalion, Astérios le Minotaure et Sisyphe, de Le Tendre et Peynet.
En 2022, vingt ans plus tard, le scénariste Serge Le Tendre nous offre Pygmalion, un nouvel épisode de la mythologie grecque, cette fois-ci dessiné par Frédéric Peynet. Déjà présentée sur Breizh-info, cette bande dessinée s’inspire du mythe de Pygmalion. Sur l’île de Chypre, un jeune homme, Pygmalion, ne connaît qu’une passion, la sculpture. Son père vient de seller l’accord de son mariage avec la belle Agapé. Agapé est effectivement éperdument amoureuse de Pygmalion. Mais celui-ci, insensible à son charme, n’a aucune envie de se marier et veut se vouer entièrement à la sculpture. Obsédé par l’idée de sculpter la plus belle des représentations d’Aphrodite, il demande à Agapé de lui servir de modèle. Mais c’est un échec. Puis avec l’aide d’Aphrodite, il sculpte Galatée, la vierge d’ivoire. Pygmalion en tombe amoureux. Et si Aphrodite pouvait rendre la statue Galatée vivante ? Agapé accepte alors le marché que lui propose la déesse afin de donner vie à la statue.
Par ce scénario, Serge Le Tendre s’écarte du mythe de Pygmalion, relaté par le poète Ovide dans ses Métamorphoses (Les métamorphoses d’Ovide (Livre X, Fable 6) : Pygmalion et Galatée). Dans le mythe est dénoncée l’indépendance de mœurs des Propétides (femmes de Chypre), à l’époque associée à la prostitution ou à la sorcellerie. Révolté contre le mariage à cause de la conduite répréhensible de ces femmes, Pygmalion préfère la fidélité d’une statue d’ivoire et se voue au célibat. Aphrodite donne alors vie à la statue : le dévouement et le talent du sculpteur Pygmalion sont récompensés par un amour absolu. Certes, Serge Le Tendre reprend la trame : un jeune artiste tombe amoureux de la statue qu’il a sculptée, avec la complicité de la déesse Aphrodite. Mais il place Agapé, amoureuse éconduite, au centre du récit. Il imagine que c’est l’esprit d’Agapé qui est entré dans la statue, par l’intervention d’Aphrodite. A l’inverse du mythe, Pygmalion dans la bande dessinée découvre l’amour auprès d’une femme, Agapé.
En 2022 également, Serge Le Tendre nous propose sa vision du minotaure, dans Astérios le Minotaure. Il imagine que Thésée, fils du roi d’Athènes Egée, est amoureux d’Ariane, fille du roi Minos, et se bat contre le Minotaure en plein cœur d’un gigantesque palais abandonné qui ressemble à un labyrinthe. Au terme d’une lutte loyale, tous deux sont blessés. Le minotaure est alors sincèrement désolé d’avoir blessé Thésée, qui pourtant était venu pour le tuer, et le soigne. Il lui révèle son prénom, Astérios, et la vérité sur ses origines… Bien des années plus tôt, à Athènes, architecte de talent, Dédale était admiré de tous. Ce sont les dieux eux-mêmes qui l’avaient doté d’un tel génie. Mais Dédale a fui en Crête. Sur l’île, il apprend que le trône est convoité par trois frères. L’un des trois, Minos, demande l’aide de Poséidon, Dieu des Océans, pour l’aider à devenir roi. Poséidon offre alors à Minos un taureau blanc, sorti des eaux, et exige qu’il lui soit sacrifié. Mais Minos, devenu roi, ne tient pas sa promesse. De colère, Poséidon fait accoupler la bête avec la Reine Pasiphaé, déguisée en une génisse de bois construite par Dédale. De cette union va naître Astérios, un enfant à la tête de taureau. Dédale se voit alors chargé par le nouveau roi Minos de veiller sur Astérios et édifie ainsi un labyrinthe…
Par ce scenario d’une grande originalité, Serge Le Tendre place ainsi l’humanité des différents protagonistes, et même du monstre réputé sanguinaire, au cœur du récit. Son minotaure, qui a un prénom, s’exprime courtoisement et se montre fort affable envers Thésée. Par cette émotion, le lecteur prend en pitié le monstre.
Le scénariste Serge Le Tendre vient de livrer un nouvel épisode de la mythologie grecque, Sisyphe, mais sur un ton nettement plus dramatique. Sisyphe, roi de Corinthe, parvient à éviter la mort en enchainant le dieu Thanatos qui était venu le chercher afin de l’emmener aux Enfers. Pour avoir osé défier les dieux, Sisyphe est condamné par Zeus à faire éternellement rouler, dans le Tartare, vers la crête d’une colline, une pierre ronde qui en redescend à chaque fois. Ainsi est sanctionné l’hybris de Sisyphe…
Serge Le Tendre reprend ainsi l’analyse du professeur Jean Haudry, spécialisé en civilisation européenne, qui expliquait que, selon ce mythe, un châtiment attend celui qui refuse sa mort. Il ajoute cependant quelques scénettes drolatiques au cœur de l’Olympe.
Le dessinateur Frédéric Peynet, né en 1977 à Saint-Rémy, a suivi des études d’Arts Appliqués à l’Ecole Pivaut de Nantes, où il a appris la perspective et l’anatomie humaine. Puis il a rencontré Serge Le Tendre, pour lequel il a dessiné les séries Les vestiges de l’Aube puis Le projet Bleiberg.
Lorsque Le Tendre a terminé le découpage, l’un vient passer une semaine chez l’autre, pour travailler côte à côte au storyboard. Il s’agit pour eux de vérifier si la narration et le découpage sont cohérents. L’album évolue alors, car de leurs suggestions respectives naissent parfois de grands changements dans le récit. Par exemple, pour Astérios le Minotaure, le dessinateur a demandé une modification du scenario afin que ce soit le minotaure qui raconte le passé.
Et après, Frédéric Peynet, qui explique son travail sur sa chaîne youtube Dans l’ombre des bulles, commence l’étape du dessin et de la colorisation, qu’il réalise en même temps. Cela va nécessiter un an de travail.
Il commence par réaliser les crayonnés à la main, sur des feuilles à part. Puis il scanne chaque crayonné qu’il intègre dans une planche sur ordinateur, ce qui lui permet d’effectuer des corrections numériques, notamment pour les proportions des personnages. Par la suite, il imprime chaque planche. Ce procédé permet, en cas d’erreur lors de l’encrage, de ne pas avoir à refaire les crayonnés. Il dessine davantage à la plume qu’au pinceau, à base d’encre de Chine, d’encres acryliques et de gouaches. Pour la colorisation, il commence par rechercher une ambiance, en jouant notamment sur le ciel et les paysages. Il fait les couleurs à la main, sauf à y revenir en numérique pour quelques retouches. Il réalise maintenant le lettrage à l’informatique.
Dans la collection Dargaud Mythologies, par son trait classique et élégant, son découpage dynamique et ses cadrages judicieux, il nous offre de magnifiques tableaux de la Grèce antique. Dans l’album Pygmalion, pour dessiner la ville imaginaire d’Amathous, censée être dans la Chypre antique, il s’est inspiré du port d’Heraklion. Il a modélisé cette ville en 3 D afin de rendre cohérents les dessins des lieux. Dans Astérios le Minotaure, on admire les paysages de Crète baignés de la lumière méditerranéenne. Son labyrinthe est un inextricable et gigantesque palais lugubre et morbide. Dans Sisyphe, il donne sa vision de Corinthe antique et des Enfers. Ses planches sont lumineuses en Grèce, mais sombres et froides dans les limbes.
L’expressivité de son dessin rend les personnages particulièrement fouillés et attachants. Il parvient ainsi à faire passer leurs émotions. Ses couleurs directes apportent beaucoup de lumière.
Sisyphe, Le châtiment des dieux, 60 pages, 17,95 euros. Ed. Dargaud.
Kristol Séhec.
Crédit photo : DR
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Une réponse à “La mythologie grecque selon Le Tendre (bande dessinée).”
Excellent pour la jeunesse et même les grands. Ce serait bien mieux que de se détruire la vie devant les écrans.