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« Papy et le Plombier », ou tout notre malheur actuel résumé en un conte pour enfants

Mon grand-père était un ouvrier. Sa maison était toute simple mais toujours bien tenue. Proprette. Et bien organisée. Papy arrivait toujours à l’heure au travail. Et ne causait de tort à personne.

Papy et toute sa famille, dont moi, habitions à Bellefrance-sur-Loire. C’était une belle ville.

Un jour Papy a eu une fuite d’eau sous son évier. N’étant pas de la partie, il a fait venir un plombier.

Le plombier est resté une demi-heure. A l’issue de son intervention, celui-ci a dit à mon grand-père : « Je m’installe ici !»

« Où ça, sous l’évier ? » s’est exclamé mon papy.

« Non non, chez toi. Ma maison à moi, que je viens juste de construire dans une autre ville, est mal faite, je n’arrive pas à la tenir propre et a gagner suffisamment d’argent pour faire vivre ma famille, alors je préfère m’installer chez toi. Ne t’inquiète pas, ça ne durera qu’un temps. »

« Bon d’accord… » Mon grand-père était quelqu’un de généreux et de compréhensif. Il nous a dit à tous qu’il fallait avoir grand coeur et accueillir le plombier comme s’il était de la famille. Celui-ci a été installé dans une chambre que Papy réservait normalement à l’un de mes oncles. Qui a dû faire de la place. Mon oncle et le plombier ont donc cohabité dans la chambre pendant un temps. En échange de son hébergement, mon grand-père avait donné quelques menus travaux à faire au plombier : descendre les poubelles, balayer la terrasse, tenir à jour la plomberie, etc…

Un soir, alors que mon grand-père et mon oncle rentraient du travail, le plombier leur a sorti un papier. Dessus, il était écrit qu’il avait le droit de faire venir toute sa famille dans la maison ! Le papier avait été signé par le docteur Giscard, maire de la commune. Apparemment, ça allait faire du bien à notre famille à nous d’accueillir celle du plombier.

Mon oncle Gérard a donc cohabité quelques temps avec le plombier, ses trois femmes et une vingtaine de gosses qu’il avait fait venir de sa maison toute délabrée.

Pas facile ! Mon oncle a fini par partir. Les enfants étaient insupportables. Papy a fini par lui aménager un petit cabanon dans le fond du jardin. Papy a aussi fini par partir de son étage car la cohabitation devenait impossible avec le plombier et sa smala qui s’agrandissait tout le temps. Papy s’est donc aménagé une petite chambre au grenier. Il était triste. Lui qui avait grand coeur, il voyait bien qu’il s’était fait avoir.

Au niveau du quotidien, je l’ai dit, le plombier faisait quelques travaux pour aider papy. Mais ses femmes et ses gosses, eux, ne faisaient rien. Pire, ils revendaient nos boîtes de sardine et le tabac de papy à des voisins ! Tout ce qu’ils pouvaient voler, ils le volaient et le revendaient !

Mais le plus étrange c’est que, chaque jour à la télévision et sur les journaux, on lisait à quel point notre papy était heureux de recevoir le plombier et sa famille. La mairie avait changé de couleur, maintenant c’était monsieur François qui dirigeait. Et monsieur François aimait le plombier et sa famille plus que notre famille à nous qui était pourtant là depuis des générations. D’ailleurs, à partir d’un moment, monsieur François et son conseil municipal ont commencé à s’en prendre à Papy et à Tonton parce qu’ils se plaignaient du comportement du plombier et de sa famille. Papy a dit « bah prenez-les chez vous, s’ils sont si bien que ça !» Monsieur François et son conseil habitaient dans des grandes et belles maisons. Mais, chez eux, personne n’avait le droit de s’installer ! Ils ont haussé les sourcils d’indignation et ont dit que Papy était un très méchant ! Et même qu’il avait une petite moustache sous le nez.

Lassé des plaintes que Papy déposait à la mairie, monsieur François a fini par mettre Papy en prison parce que Papy ne voulait plus accueillir le plombier et sa famille et que c’était mal. Tonton était furieux !

Avec Papa et Maman, nous habitions au rez-de-chaussée. Au début, nous n’avons pas été trop dérangé par le plombier et sa famille. Je jouais même avec ses enfants ! Certains étaient sympas.

Mais les enfants ont fini par avoir des enfants. Et ils ont même fini par faire venir leurs cousins. Et les cousins de leurs cousins. Et toute la ville d’à côté est venue habiter chez nous. La ville d’à côté était très laide. Mal gérée. Le maire était toujours le même depuis au moins 50 ans et il ne pensait qu’à s’en mettre plein les poches. Et puis ses administrés avaient beaucoup de mal à tenir leurs propres maisons à eux, à cultiver leur potager, à faire des économies pour pouvoir nourrir tout le monde. En plus, ils se battaient tout le temps entre eux. Et puis, ils faisaient beaucoup, beaucoup d’enfants. Il n’y avait pas de place pour eux dans la ville toute délabrée. Ils voulaient se trouver d’autres villes où il y avait des gens comme Papy. Qui, eux, tenaient bien leur maison.

Papy et Mamie avait eu 6 enfants. Comme il n’y avait plus de place pour eux à la maison, quatre des enfants de Papy sont partis habiter loin dans la campagne. Papa et Maman, quant à eux, sont restés et ont fait trois enfants : Mon frère Jean-Luc, ma sœur Greta et puis moi. Jean-Luc a épousé l’une des petites filles du plombier. Il a dit que c’était mieux pour la maison, qu’il fallait s’adapter. Et puis, il a dit que Papy avait fait venir le plombier autrefois donc que c’était bien fait si le plombier habitait chez nous maintenant !

Dans toute la rue, c’est devenu comme ça. Dans chaque maison, il y a plusieurs familles qui cohabitent. Personne ne s’entend entre les « anciens » et les « nouveaux ». Et les « anciens », les familles originaires de la commune partent ailleurs. Ou couchent dans le jardin. Tant pis pour elles  !

Ma sœur, elle, ne veut pas d’enfants. Elle dit que c’est mauvais pour la nature d’avoir des enfants. Sauf les enfants des enfants des cousins des voisins du plombier. Eux, ils ont tous les droits. Eux, ils sont mieux que nous. Et puis, de toute façon, ma sœur elle aime les filles. Dernièrement, elle a dit qu’elle voulait devenir un gars ! Ma soeur Greta a toujours été un peu compliquée. Et capricieuse.

Mon oncle a fait trois enfants lui aussi : Philippine, Thomas et Jordan. Thomas et Philippine ont été tués par ceux du plombier. Mon oncle est devenu fou à cause de ça. Le troisième, Jordan, vit désormais à la cave et refuse de laisser les clefs de la maison de Papy à la famille du plombier. Et il ne veut pas, non plus, vivre comme la famille du plombier. Il fait sa mauvaise tête de caca boudin.

Dans la maison, nous avons refait toutes les photos sur ordinateur. Sur les vieilles, on voyait Papy, Mamie et ses 6 enfants, tous joyeux. On me voyait même moi dans le ventre de maman. Maintenant, on y voit aussi la famille du plombier. Et même dans les très très très vieilles photos, on a mis la famille du plombier ! Ah bah on les reconnaît bien ! C’est bizarre mais c’est rigolo ! C’est comme s’ils avaient toujours été là ! Comme ça, on a l’impression d’être une grande famille toute mélangée. Par contre, la maison est devenue toute sale. Quand c’était Papy qui nettoyait ça allait. Mais la famille du plombier n’est pas très très portée sur la ménage… alors il a fini par abandonner. Notre maison est devenue comme leur maison toute délabrée d’avant. Moi ça me rend triste.

Ce que je n’ai jamais compris c’est que la mairie a demandé à Papy de donner de l’argent pour réparer la maison toute délabrée du plombier dans l’autre ville. Papy donnait chaque année ! Et pourtant, la maison n’a jamais été réparée. Aujourd’hui, c’est moi qui continue à donner. Et leur maison est toujours dans le même état. Voir pire !

Avec la mairie, la télévision et la radio qui sont de son côté, Jean-Luc essaye de convaincre Jordan que c’est mieux pour nous de vivre avec la famille du plombier. Qu’il faut laisser tomber sa tristesse. Que ça nous « enrichit » de les avoir. Mais Jordan il n’est pas d’accord. C’est un « gaulois réfractaire » dit le nouveau maire. Jean-Brigitte qu’il s’appelle. C’est un drôle de nom.

Dans toutes les maisons de toutes les rues, il y a des Jordan. Et il y a aussi des gens comme Jean-Luc. Avec Jordan ils ne se parlent plus. Ils veulent tous les deux être le prochain maire de Bellefrance. Dans les journaux, on dit que Jordan est méchant car il dit que la famille du plombier n’est pas chez elle. Bah oui mais maintenant que les petits-enfants et arrière petits-enfants du plombier sont nés dans la maison est-ce que c’est vrai ? Je ne sais pas. Je voudrais bien qu’ils rentrent dans leur maison toute délabrée dans l’autre ville mais on me dit que si je pense ça, je suis méchant et égoïste.

Moi de toute façon, je n’ai pas de travail. Et la mairie ne donne des aides qu’à la famille du plombier « qui a toujours été là » et « qui nous enrichit ». Je n’ai même plus d’endroit pour vivre dans la maison. Et tout le monde me dit que je dois avoir honte de moi. Mais pourquoi ?

Aujourd’hui, je ne sais plus très bien où j’en suis…

Et dire que tout cela est parti du fait que Papy a appelé un jour un plombier !

Mathurin Le Breton

Crédit photo : DR
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6 réponses à “« Papy et le Plombier », ou tout notre malheur actuel résumé en un conte pour enfants”

  1. Marcel dit :

    Est tellement réaliste de ce qu’il se passe dans notre  » bellefrance  »
    A faire lire à un maximum de français, si il en reste.

  2. Hadrien Lemur dit :

    Terrible métaphore de notre triste réalité.

  3. Patrick Yves GIRARD dit :

    Triste réalité qui devient nôtre aussi en Bretagne, merci la france !

  4. de Lépinau dit :

    J’adore!

  5. Paul dit :

    On dirait une histoire racontée par un élève de CE2 ? Ça vient d’une école ?

  6. Hadrien Lemur dit :

    Il y en a qui ne pigent pas le 2ème degré.

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