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Philippe Tourault : Aliénor d’Aquitaine est affublée d’une légende noire qui en fait à tort une reine débauchée et même diabolique [Interview]

Aliénor d’Aquitaine est une héroïne, une vraie. On ne compte plus les films, documentaires, biographies, romans ou encore bandes dessinées qui la mettent à l’honneur. Mais comment pourrait-il en être autrement avec un tel destin ?
Duchesse d’Aquitaine et héritière du plus vaste territoire français, Aliénor (v. 1122-1204) est mariée au roi de France Louis VII quand elle a tout juste 15 ans. Alors qu’elle est mal-aimée par une cour rétrograde qui la juge trop frivole et incapable de donner un héritier mâle à son époux, le couple se délite et le mariage est annulé après quinze ans d’union. Mais la vie de la reine déchue ne s’arrête pas là, tant s’en faut.

À 30 ans, elle épouse Henri II Plantagenêt, duc de Normandie et bientôt roi d’Angleterre. Ce dernier la tient vite à la lisière du vrai pouvoir. De plus en plus entravée mais refusant d’être évincée, la reine d’Angleterre décide alors de monter ses fils contre son mari. Sa tentative de coup d’État est un échec, et Henri II emprisonne son épouse pendant plus de quinze ans. Aliénor ne retrouve son rôle de conseillère politique qu’à l’avènement de son aîné (le célèbre Richard Cœur de Lion) en 1189 puis à celui de son cadet (Jean sans Terre) en 1199, avant de s’éteindre paisiblement à plus de 80 ans.

Cette fureur de vivre et ce caractère déterminé ne pouvaient qu’inspirer ses contemporains et leurs héritiers. Ils ont tour à tour vu en elle une épouse libérée ou une partenaire soumise, une mère exemplaire ou une génitrice indigne, enfin une femme de pouvoir ou une reine effacée. Derrière tous ces portraits et la légende (tantôt noire, tantôt dorée), retrouver la véritable Aliénor était donc une gageure. Philippe Tourault a relevé le défi, en proposant dans son dernier livre édité par Perrin un portrait biographique vivant et intime d’une femme hors du commun.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a inspiré à écrire un livre sur Aliénor d’Aquitaine, l’une des figures les plus emblématiques du Moyen Âge ?

Philippe Tourault : J’ai déjà publié Anne de Bretagne  et  Ces reines qui ont gouverné la France . Aliénor d’Aquitaine s’inscrit dans ce mouvement de continuité sous deux rois successifs, Louis VII de France et Henri II d’Angleterre.

Breizh-info.com : Aliénor d’Aquitaine est souvent décrite comme une femme de pouvoir dans un monde d’hommes. Comment décririez-vous son influence politique et culturelle à son époque ?

Philippe Tourault : A la différence de beaucoup d’autres reines mariées pour des raisons strictement politiques (alliances entre deux pays), Aliénor a voulu partager le pouvoir royal avec ses époux. Mais elle s’est heurtée à l’opposition des conseillers des princes, tel Suger avec Louis ou sous Henri à la diffamation systématique de la part du clergé régulier, qui dénonçait chez elle des mœurs honteuses.

L’influence politique de la reine a donc été réduite à rien en France comme en Angleterre, sauf après la mort d’Henri en 1189, sous ses fils Richard Cœur de Lion et surtout sous Jean sans Terre. L’effacement prolongé d’Aliénor a donc réduit sa réelle influence culturelle dans la littérature, l’architecture, la sculpture, la commande de vitraux…

Breizh-info.com : Quelles sont, selon vous, les qualités ou défauts d’Aliénor qui ont marqué ses décisions politiques ?

Philippe Tourault : Contrairement à ce que dit la légende noire, Aliénor avait des qualités de mère soucieuse de ses enfants auxquels elle leur a souvent témoigné son amour.

Elle était aussi un être qui avait toutes les qualités pour diriger un pays, comme elle l’a montré en Aquitaine en refusant toute annexion de son duché à ses maris. Connaissant bien la politique, elle fut toute sa vie une femme forte, au caractère bien trempé. Son goût du pouvoir l’a malheureusement empêché pendant longtemps de l’exercer vraiment.

Courageuse, déterminée, douée d’une solide santé, elle a pu accomplir toutes les missions que les rois ont bien voulu lui accorder : nombreuses traversées de la Manche par tous les temps, expédition en Terre sainte, franchissements des Pyrénées en plein hiver afin, par exemple, d’aller chercher sa future belle-fille, Bérengère de Navarre.

Cela ne l’a pas empêché de mourir très âgée à l’abbaye de Fontevraud où elle est encore célébrée.

Breizh-info.com : Aliénor a également participé à la Deuxième Croisade. Comment avez-vous abordé cet épisode dans le livre, et quelle importance avait-il pour elle en tant que reine et leader ?

Philippe Tourault : A la demande de Louis VII, Aliénor a participé à la deuxième croisade. Mais elle n’a pas pu, auprès d’un époux plus moine que roi s’imposer à lui dans tous les domaines. Lors d’une étape de l’expédition en Orient, elle a donc manifesté une grande joie à rencontrer son oncle, Raymond de Poitiers, devenu par mariage prince d’Antioche. D’un naturel joyeux et plein d’entrain, elle a passé de nombreux moments à discuter et à plaisanter avec lui, ce qui a fait dire aux chroniqueurs soucieux de discréditer une reine trop ambitieuse, qu’elle avait mené avec lui, puis d’autres personnages, une vie de débauche. Ce fut le point de départ de la légende noire d’Aliénor, qui a alimenté de nombreux récits médisants et croustillants jusqu’à un passé récent.

Breizh-info.com : L’une des périodes marquantes de sa vie est son emprisonnement par Henri II. Comment cet événement a-t-il influencé le reste de sa vie et son rôle en politique ?

Philippe Tourault : Aliénor s’est révoltée avec trois de ses fils contre Henri II, décidément trop autocrate et soucieux de garder pour lui seul le pouvoir. Elle a voulu le contrer par les armes, n’hésitant pas à déclencher contre lui une guerre internationale. Vainqueur, son mari l’a fait emprisonner dans ses châteaux anglais, la condamnant au silence pendant quinze ans. Après sa libération en 1189, Richard et Jean, devenus rois l’un à la suite de l’autre, n’ont pas hésité à recourir à ses services. La reine mère instruite par une longue période de réflexion dans la méditation, n’a pas hésité à leur prodiguer ses conseils, qui se sont avérés précieux.

Breizh-info.com : Vous abordez aussi dans le livre la complexité de la gestion de ses territoires en Aquitaine. Quelles ont été, selon vous, les plus grandes réussites et échecs d’Aliénor en tant que duchesse ?

Philippe Tourault : L’Aquitaine s’est agrandie dans un passé récent de la Gascogne. Le pays est alors le plus étendu de France, allant de la Loire aux Pyrénées et de l’Atlantique au Massif central. Son importance géographique est une des grandes raisons de son instabilité politique et militaire car résistent alors de nombreux comtes et barons soucieux de leur indépendance envers Poitiers, la capitale de l’ensemble territorial. Aliénor parvient à y maintenir un certain équilibre. Elle réussit même à associer au duché de son vivant à son fils Richard, qui doit intervenir par les armes à plusieurs reprises pour faire respecter l’autorité de sa mère et la sienne propre.

Breizh-info.com : Aliénor d’Aquitaine est encore aujourd’hui une figure très admirée. Selon vous, pourquoi son histoire fascine-t-elle autant les générations contemporaines ?

Philippe Tourault : Si Aliénor d’Aquitaine reste connue de nos jours par tous les médias (télévision, radios, journaux, livres), c’est parce qu’elle est affublée d’une légende noire qui en fait à tort une reine débauchée et même diabolique. Des romanciers ont su exploiter ce filon, source de bons profits. Mais depuis 1950, des historiens tentent de donner une image véridique de la reine en s’appuyant sur les textes anciens qui sont parvenus jusqu’à nous.

Breizh-info.com : Avez-vous l’intention de prolonger votre exploration d’autres figures féminines marquantes du Moyen Âge ou d’autres périodes historiques ?

Philippe Tourault : J’ai décidé de ne plus étudier les reines du Moyen Age car je souhaite profiter de ma retraite pour me consacrer à un sujet qui m’est très cher depuis longtemps.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR
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