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Nostromo, le roman de Conrad adapté en bande dessinée.

Joseph Conrad, écrivain britannique d’origine polonaise, était un conservateur très attaché à l’idée nationale. Son roman Nostromo, qui dénonce l’impérialisme américain et le règne de l’argent, vient d’être adapté en bande dessinée par Maël.

A la fin du XIXème siècle, dans un pays fictif d’Amérique du Sud, le Costaguana. Deux généraux putschistes, les frères Montero, ont lancé une opération militaire contre le gouvernement légal du président Ribiera. La petite ville portuaire de Sulaco, jusqu’alors épargnée par les troubles, tient sa relative indépendance de sa situation géographique et sa prospérité de la mine d’argent de San Tomé. Cette mine est gérée par le riche britannique Charles Gould, fidèle ami du président. Mais le peuple se révolte et tente de s’emparer du bâtiment des douanes. Devant ces menaces, le gouvernement de la province de Sulaco s’apprête à capituler. Mais Martin Decoud, jeune journaliste, réussit à persuader Charles Gould que la seule solution politique consiste à déclarer la province de Sulaco république indépendante. Les notables de Sulaco apportent leur soutien au parti du président tout en songeant ainsi à faire sécession. Pour préserver la mine, ils confient les lingots d’argent au seul homme en qui ils ont confiance : Gian Battista, appelé Nostromo (littéralement, en italien, « Notre homme »), un marin italien à poigne devenu le Capataz de Cargadores (le chef des dockers). Nostromo, accompagné par Decoud, accepte d’emporter dans une gabare l’argent de la mine pour le livrer au premier navire faisant route vers le nord. Mais au cœur de la nuit, la gabare est éperonnée par le vapeur qui transporte les troupes des révoltés…

Maël, de son vrai nom Martin Leclerc, est né en 1976 en Isère. C’est son père, grand lecteur de bandes dessinées, qui l’a encouragé à suivre cette voie. Après des études à Sciences Po, il devient graphiste et conserve une passion pour la musique. Il est aussi chanteur et musicien dans le groupe folk-rock HitchcockGoHome. Autodidacte dans la technique du dessin, ses quelques défauts de jeunesse étaient à ses débuts dissimulés par son style parfois tremblotant. Après ses premières œuvres, Tamino, Les Rêves de Milton et Dans la colonie pénitentiaire (une adaptation d’un roman de Franz Kafka), il obtient, avec L’Encre du passé, le prix du jury œcuménique de la bande dessinée lors du festival d’Angoulême en 2010. Il connait le succès en 2009 avec la série Notre Mère la guerre, scénarisée par Kris, ce récit policier en quatre tomes étant consacré à la Grande Guerre. Après Revenants traitant du syndrome de stress post-traumatique chez les vétérans de guerre et Entre les lignes, encore sur la première guerre mondiale, il retrouve Kris pour la série en quatre volumes Notre Amérique. Celle-ci analyse les idéaux et les révolutions à travers l’histoire américaine.

Avec Nostromo, Maël s’est lancé, en tant qu’auteur complet, un véritable défi : adapter en bande dessinée un chef-d’œuvre méconnu de Joseph Conrad (1857-1924) publié en 1904. Issu de la noblesse polonaise, attiré par la carrière maritime, Józef Teodor Konrad Korzeniowski part en 1874 pour Marseille, où il embarque comme mousse sur un voilier pendant près de quatre ans. Puis il entre dans la marine marchande britannique pendant seize ans et prend la nationalité britannique sous le nom de Joseph Conrad. Dans ses ouvrages, Conrad s’inspire souvent des difficultés de sa Pologne natale, partagée entre trois empires occupants (Prusse, Autriche et Russie), pour créer des récits qui dénoncent l’impérialisme. Attaché à l’ordre, aux institutions et au conservatisme, sans illusions sur le progrès, il défend également les opprimés. Il pense que, compte tenu de la faiblesse de la nature humaine, la démocratie est dangereuse puisqu’elle offre des possibilités illimitées aux démagogues. Il accuse les sociaux-démocrates de son époque de tenter de dissoudre les identités nationales dans un melting-pot (Zdzisław Najder, Biographie Joseph Conrad).

Nostromo est le premier roman de Conrad qui soit véritablement une fiction puisqu’auparavant l’auteur écrivait en se fondant sur ses souvenirs, comme dans Au cœur des ténèbres. Il décrit un pays en proie à des troubles intérieurs et aux menaces d’un général putschiste. C’est la mine d’argent qui suscite la convoitise des pays occidentaux. Le récit tourne autour de la réussite ou de l’échec de la tentative de sécession de Sulaco, au pire moment de la révolte montériste. Même si Nostromo est au cœur de l’action, ce sont moins les personnages que les enjeux politiques et économiques qui portent le récit : révolution populaire, capitalisme naissant et début de l’impérialisme américain…  Ce qui donne au roman toute son originalité et sa richesse, c’est le mouvement narratif choisi par Conrad pour expliquer cette situation révolutionnaire, avec ses retours sur le passé des personnages principaux, le lecteur devant reconstituer lui-même la chronologie des évènements.  Pour se concentrer sur le cœur de ce roman aux ramifications complexes, Maël limite ces flash-backs pour proposer une version linéaire.

Le trait fin et sensible de Maël est caractéristique. Il travaille toujours avec les mêmes outils : crayons, plumes et encre de chine, pinceaux et aquarelle. Il s’explique ainsi : « j’encre avec une plume assez dure et nerveuse, par-dessus un crayonné assez précis pour être juste, mais un peu flou pour laisser une marge d’interprétation à l’encrage. Comme j’ai une légère tremblote et que j’encre vite, ça donne ce trait accidenté, mais fin et, j’espère, expressif. L’aquarelle est l’évident prolongement de cette démarche : il faut travailler assez vite, sans repentir, dans un mélange de préparation et de spontanéité qui laisse de la place à l’imprévu » (Planetebd.com, 1er déc. 2010).

Comme pour ses œuvres antérieures, son style donne de l’ampleur au récit. Il montre bien le charisme que dégage Nostromo auprès du peuple de Sulaco. Sa colorisation à l’aquarelle et aux lavis apporte beaucoup de lumière.

Dans une longue postface illustrée par des croquis de Maël, Sylvain Venayre, professeur d’histoire contemporaine à l’université Grenoble-Alpes, expose le message que Joseph Conrad voulait transmettre. Sylvain Venayre avait auparavant aidé Jean-Philippe Stassen à adapter en roman graphique les nouvelles Au cœur des ténèbres et Un avant-poste du progrès de Joseph Conrad, puis L’Île au trésor de Robert Louis Stevenson. Il continue d’adapter la littérature en bande dessinée, en scénarisant À la Recherche de Moby Dick, d’après le roman d’Herman Melville, avec le dessinateur Isaac Wens, puis Milady ou Le Mystère des Mousquetaires d’après Alexandre Dumas, avec le dessinateur Frédéric Bihel. Sylvain Venayre considère que le personnage de Nostromo dessiné par Maël lui rappelle Blueberry et Corto Maltese…

Kristol Séhec

Nostromo, 128 pages, 24 euros, Editions Futuropolis.

Illustrations : DR
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