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Ouessantines, les îles bretonnes selon Weber et Nicoby (bande dessinée).

Avec Ouessantines, Belle-Île en père, Sang de Sein et Cache-cache mortel à Bréhat, le duo Patrick Weber (au scénario) et Nicoby (au dessin) ont réalisé de superbes bandes dessinées sur les îles bretonnes. La nouvelle édition de Ouessantines, en format poche, est l’occasion de toutes les relire.

1- Ouessantines

A Conquet, la jeune bretonne Soizic, qui n’a pas froid aux yeux, a décidé de changer de vie. Malgré les avertissements de sa mère, elle embarque pour Ouessant, afin d’ouvrir une maison d’hôtes. Avec une météo exécrable, le voyage est éprouvant pour les touristes peu habitués à la houle. Soizic va vite déchanter. Elle rencontre son contact sur l’île, lequel n’a pas les panneaux solaires et reste d’une humeur massacrante. Surtout, l’accueil des insulaires, entre méfiance et médisances, est hostile. Il se murmure même que ce nouveau gîte serait un lupanar ! La jeune femme à la personnalité joyeuse et avenante va découvrir que ce ne sera pas si simple de se faire accepter par les habitants de l’île. Seule la vieille Marie l’accueille avec bienveillance, au grand dam de ses quatre amies célibataires, les « corneilles ». Mais Marie est retrouvée pendue chez elle, peu de temps plus tard. Selon son testament, elle lègue ses économies aux « corneilles », mais tous les objets de sa maison à « la nouvelle venue sur Ouessant », qu’elle avait pris en affection. Soizic se met alors en quête du secret de Marie. Mais elle subit la haine des amies de la défunte, qui ne comprennent pas ce legs à une fille du continent…

Le journaliste belge Patrick Weber, connu pour ses nombreux scenarios de bandes dessinées ayant pour cadre l’Histoire (Novikov, Alix 26, 27 et 28, La dernière reine, Loïs 3, 4 et 5, 1066, Sparte, Les Aventures de Kathleen…), s’est aussi intéressé aux îles bretonnes. Par un scénario intimiste, Patrick Weber montre que la méfiance des ouessantins envers les étrangers n’est pas une légende. Soizic représente l’espoir de nombreux jeunes qui cherchent à pratiquer une activité professionnelle agréable et qui a du sens. Elle analyse la situation insulaire avec lucidité. Cette histoire avance en douceur avant d’aboutir à une recherche de la vérité sur le passé : une histoire de naufrage, de trésor et d’un terrible secret entre amies. Mais le rythme reste toujours aussi paisible.

On peut trouver la présentation des vieilles ouessantines un rien caricatural. Sans doute ne sont-elles pas aussi mégères, farouches et hostiles envers les « étrangers ». Mais il est vrai que cette communauté insulaire tente, tant bien que mal, de se préserver du tourisme. On peut seulement regretter quelques facilités : les touristes parisiens insupportables, en contraste avec le sympathique couple de lesbiennes qui prennent le temps de vivre. L’enquête semble également improbable. Mais Weber rappelle que les femmes de cette île, pendant que leurs maris étaient en mer, collectaient le précieux goémon, s’occupaient des troupeaux et, parfois, pillaient les épaves au nom du droit de bris. On comprend alors ce vieux dicton : « Qui voit Ouessant voit son sang ».

Le dessinateur rennais Nicolas Bidet, alias Nicoby, avait auparavant réalisé A Ouessant dans les choux. Dans ce récit, acceptant l’invitation du Festival de Penmar’ch, Nicoby se rend sur l’île d’Ouessant pour réaliser une bande dessinée. Il espère même en profiter pour entamer un régime. Son programme est simple : isolement au sémaphore et soupe au chou pendant 15 jours. Ce retour à la nature, au beau milieu des petits lapins et des moutons, lui permet de découvrir la faune et la flore locales, ainsi que le quotidien des ouessantins. S’il souffre parfois de la rude vie sur Ouessant, si son régime lui procure même des hallucinations, il poursuit son œuvre. Il parcourt en effet l’île à pied ou à vélo, armé de son carnet de dessins. Il transcrit ainsi son séjour dans une bande dessinée truffée d’anecdotes humoristiques. Mais le choix d’une couleur unique, le vert pâle, ne restitue pas la luminosité de cette île (A Ouessant dans les choux, 48 p., Editions 6 pieds sous terre).

Dans Ouessantines, Nicoby s’attache à peindre la psychologie de chacun. Le personnage de Soizic est bien campé. Son dessin, assez épuré, entre bleu et gris, ne reconstitue pas l’île avec minutie, mais crée une atmosphère. Les paysages sauvages et brumeux sont bien reproduits. Nicoby reconnaît que « c’est toujours très agréable d’aller sur les îles bretonnes. Si j’étais déjà allé à Ouessant et à Belle-Île, j’y suis quand même retourné pour préparer les albums. Comme à Sein d’ailleurs, que j’ai découvert à cette occasion, mais où je suis déjà retourné depuis… Ce qui m’a le plus marqué sur ces îles, c’est une sensation de dépaysement. On est à seulement quelques kilomètres de la terre et pourtant, c’est comme si les problèmes du continent ne venaient pas jusque-là. Une sorte de douceur de vivre, qui commence avec l’arrivée du premier bateau et s’arrête avec le départ du dernier » (site auracan.com, 20 avril 2018).

En fin d’album, un cahier d’une dizaine de pages, accompagnées de photos, nous présente l’île d’Ouessant.

2- Belle-Île en père

Après avoir remporté une émission de téléréalité, Rozenn, sous son nom de scène Vanessa Blue, est devenue la vedette d’Au premier regard, série télévisée qui pulvérise les records d’audience. Ne supportant plus la notoriété et une vie faite de paillettes, elle annonce, à la fin du tournage d’un épisode, sa décision de mettre fin à sa carrière. Le metteur en scène est furieux. Mais elle ne change pas d’avis. Son compagnon Aymeric, écrivain coqueluche du quartier latin, lui propose alors une pièce de théâtre pour bobos. Désireuse de faire le point sur sa vie et sa carrière, la jeune femme s’en va ainsi seule en Bretagne, à Belle-Île. Un lieu sauvage et isolé propice aux remises en question. Mais le choix de cette île n’est pas dû au hasard… Il s’agit de l’île de ses ancêtres. Elle part en vérité sur les traces d’un père qu’elle a peu connu et qui se serait suicidé. Sur Belle-Île, dès son arrivée, une femme lui offre mystérieusement de lui rendre ses dessins d’enfance à condition qu’elle s’en aille. Mais Vanessa reste bien décidée à découvrir le passé de son père. Elle va découvrir de secrètes histoires de famille…

Le scénariste Patrick Weber s’est inspiré de la vie de Sarah Bernhardt, qui venait chaque été à Belle-Île. En août 1893, Sarah Bernhardt découvrit la Pointe des Poulains, en Sauzon. Elle acquit le fortin en 1894. Autour du fortin désaffecté, elle fit bâtir plusieurs villas (villa Lysiane, villa des Cinq Parties du Monde) et aménagea des jardins. Durant près de trente ans, elle séjourna régulièrement dans ce fort avec ses nombreux amis. Elle exprimait ainsi son bonheur d’y séjourner : « la première fois que je vis Belle-Ile, je la vis comme un havre, un paradis, un refuge… J’y découvris, à l’extrémité la plus venteuse, un fort, un endroit spécialement inaccessible, spécialement inhabitable, spécialement inconfortable – et qui, par conséquent, m’enchanta. Je me précipitai aussitôt pour l’acheter et j’y parvins. J’ajoute que, malgré toutes ces épithètes, le fort de Belle-Ile fut un des endroits les plus exquis de mon existence – et un des plus confortables, moralement parlant… ».

Patrick Weber décrit le destin parallèle de deux femmes qui, à des époques bien différentes, fuient la célébrité pour se ressourcer dans une quête identitaire. Son scenario, au rythme plutôt lent, se focalise sur les relations entre les personnages. La lecture est divertissante.

Au dessin, Nicoby fait ressortir le caractère paisible de Belle-Île. Son trait épuré convient bien au scénario. Mais on regrette qu’il n’exploite pas davantage les magnifiques paysages de cette île bretonne.

Belle-Île en père, 144 pages, 18,50 euros, Editions Vents d’Ouest.

3- Sang de Sein

Vainqueur d’un prestigieux prix littéraire pour son dernier roman, Mes émois et moi, Brieg Mahé profite de la cérémonie pour annoncer qu’il va créer le roman policier ultime, prévoyant même de faire de l’ombre à Agatha Christie. Pour cela, il projette de passer trois jours enfermé dans le phare d’Ar-Men, au large de l’île bretonne de Sein, en compagnie de quelques personnes de son choix qui l’aideront à trouver l’inspiration : un auteur de thriller assez caustique, une célèbre cinéaste, un spécialiste de l’œuvre d’Agathe Christie, un commissaire à la retraite et un ancien gardien de phare. Payés chacun 10.000 euros, ils acceptent tous. Sur place, Brieg Mahé leur demande de s’isoler chacun de son côté et de réfléchir aux éléments indispensables pour l’écriture d’une intrigue policière. Mais au moment de confronter leurs idées, Brieg Mahé est introuvable. La fiction devient alors réalité, avec disparition et meurtres…

Après Ouessantines et Belle-Île en père, Patrick Weber nous offre une nouvelle intrigue se déroulant sur une île bretonne, tout en dévoilant d’anciens événements historiques. Il reste passionné par les îles bretonnes : « en découvrant Ouessant, j’avais été frappé par le sentiment d’être vraiment au bout du monde ou au bout d’un monde. J’ai aussi compris à quel point il ne devait pas toujours être simple d’être adopté par les îliens et c’est d’ailleurs ce qui rend les choses intéressantes. Chaque fois que je visite un lieu et qu’il me touche, je me plonge dans la littérature qui le concerne. Les histoires, les légendes, les faits divers… tout me passionne !… Je me sens étrangement bien sur une île. Un peu comme si j’étais protégé mais sans savoir pourquoi… À Ouessant, j’ai été frappé par le rôle des femmes. À Belle-Île, par le souvenir de Sarah Bernhardt. À Sein, par le mystère d’un phare mythique et inaccessible » (site auracan,com, 20 avril 2018).

On retrouve de nouveau une critique du parisianisme, sous la forme cette fois-ci d’un écrivain prétentieux. C’est d’ailleurs en couchant avec la directrice du cabinet du ministre de la culture qu’il obtient l’autorisation de passer trois jours dans le phare d’Ar-Men ! Nicoby parvient à montrer la mer déchainée ainsi que les réactions des personnages face aux événements dramatiques.

4- Cache-cache mortel à Bréhat.

Luigi Rocchi, restaurateur sur Paris, emmène sa femme enceinte et son fils Nathan passer quinze jours de vacances sur l’île de Bréhat, où ils louent une petite maison. Ils font la connaissance de leur voisine, Audrey Lesueur, une comédienne à la retraite, puis de leur voisin, Tristan Lannoy, un nouveau riche père de trois jeunes filles insupportables qui vivent à Miami mais sont venues pour les vacances. Le jeune Nathan sympathise avec Audrey qui l’emmène faire des balades sur l’île. Ils rencontrent Hervé, un cantonnier un peu fou qui les effraie en racontant les plus terrifiantes légendes de l’île. Mais alors que la famille Rocchi pensait passer des vacances reposantes, Nathan aperçoit un corps flottant dans la piscine de Lannoy, lequel donne l’alerte. La police débarque du continent. C’est la commissaire Rose Le Plouedec’h qui mène l’enquête. Mais la police se fait voler le corps du mystérieux noyé. L’affaire est plus complexe qu’elle n’y parait…

Patrick Weber construit son intrigue sur la petite île de Bréhat, autour d’un noyé inconnu dont le corps disparaît mystérieusement. Comme dans un roman d’Agatha Christie, la commissaire rassemble à la fin les protagonistes de l’affaire pour donner ses conclusions. Weber s’amuse à révéler la cohabitation houleuse entre les anciens bréhatins et les nouveaux bobos…

Nicoby par son graphisme semi-réaliste crée une ambiance estivale qui va, au fil des pages, se dégrader. Ses dessins reflètent bien l’île : le moulin à marée, le sémaphore, et tous ses lieux magnifiques.

Ouessantines, format poche, 10 euros, 128 p., Vents d’Ouest.

Belle-Île en père, 144 p., 18,50 euros. Vents d’Ouest.

Sang de Sein, 136 p., 18,50 euros. Vents d’Ouest.

Cache-cache mortel à Bréhat, 136 p., 18,50 euros. Vents d’Ouest.

Kristol Séhec

Illustrations : DR
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