Une équipe de scientifiques de l’Ifremer vient de révéler une découverte étonnante : un mécanisme commun entre la vulnérabilité des huîtres à un herpèsvirus et certains processus impliqués dans le cancer chez l’Homme. Publiée dans la revue Science Advances, cette étude ouvre des perspectives nouvelles dans la compréhension du vieillissement et des maladies virales, tant chez les huîtres que chez les humains.
L’huître creuse, un modèle biologique pour l’étude du vieillissement
Les chercheurs ont concentré leurs efforts sur l’huître creuse, une espèce bien connue des amateurs de fruits de mer, mais aussi un modèle biologique particulièrement intéressant pour les scientifiques. En effet, sa reproduction est simple, rapide, et elle ne fournit aucun soin parental à sa descendance, ce qui permet d’éviter des biais dans les études. Les scientifiques ont voulu explorer deux phénomènes principaux : la survie et la croissance des larves d’huîtres et leur résistance à une infection virale courante dans le monde marin, l’herpèsvirus OsHV-1, responsable de la mort de nombreux jeunes spécimens.
Les résultats sont frappants. Les jeunes huîtres issues de parents plus âgés sont non seulement moins robustes, mais aussi plus sensibles à ce virus, provoquant des épisodes de forte mortalité chez les huîtres à travers le globe.
Télomères et télomérase : des mécanismes communs au vieillissement et au cancer
Pour expliquer cette sensibilité accrue des jeunes huîtres à l’infection virale, les scientifiques se sont intéressés à deux éléments clés du vieillissement : les télomères et la télomérase. Les télomères, situés aux extrémités des chromosomes, jouent un rôle essentiel dans la protection de l’ADN au fil des divisions cellulaires. Leur raccourcissement est associé au vieillissement des cellules. La télomérase, quant à elle, est l’enzyme responsable de la réparation des télomères, leur permettant de rester fonctionnels.
L’étude montre que les télomères des jeunes huîtres issues de parents âgés s’érodent plus rapidement, ce qui pourrait expliquer leur sensibilité accrue au virus OsHV-1. En parallèle, les chercheurs ont observé que lors de l’infection par ce virus, la télomérase s’active, un phénomène qui n’avait été observé jusqu’ici que sur des cellules humaines en laboratoire.
Un parallèle troublant avec le cancer chez l’Homme
Cette activation de la télomérase en réponse à l’infection virale n’est pas anodine. En effet, elle rappelle un processus similaire que l’on retrouve dans 90 % des cancers humains. Lorsqu’un virus oncogène (comme certains types de papillomavirus) infecte des cellules humaines, il déclenche une activation de la télomérase, rendant les cellules cancéreuses « immortelles » et leur permettant de se multiplier de manière incontrôlée, créant ainsi des tumeurs.
Chez l’huître, le phénomène est similaire : sous l’effet de l’herpèsvirus OsHV-1, la télomérase s’emballe, provoquant une croissance anormale des télomères. Si cette activation est initialement bénéfique pour aider l’huître à lutter contre l’infection, elle devient rapidement destructrice lorsque les télomères s’allongent de façon excessive. Cela provoque alors des désordres génétiques, rendant les jeunes huîtres vulnérables à des complications mortelles à l’âge adulte.
Une avancée prometteuse pour la recherche sur le cancer
Cette découverte est la première démonstration in vivo de l’activation de la télomérase en réponse à une infection par un herpèsvirus. Elle ouvre de nouvelles perspectives pour la compréhension des mécanismes cellulaires liés à l’immortalité des cellules, tant chez les huîtres que chez l’Homme. Les chercheurs espèrent que ces travaux permettront de limiter l’activité de la télomérase lors d’infections virales, à commencer par celles touchant les huîtres.
En poursuivant leurs recherches, les scientifiques souhaitent explorer de nouvelles pistes pour contrôler l’activation de la télomérase et éviter ses effets néfastes, non seulement chez les huîtres, mais aussi chez d’autres espèces, y compris l’être humain. En parvenant à réguler cette enzyme, il pourrait être possible d’atténuer les effets de certains virus oncogènes et, pourquoi pas, contribuer à des avancées significatives dans la lutte contre le cancer.
Cette étude ouvre donc la voie à de nombreuses pistes de réflexion et de recherche. D’une part, elle permet de mieux comprendre comment certaines infections virales, comme celle de l’herpèsvirus OsHV-1 chez l’huître, sont liées au processus de vieillissement et à la vulnérabilité des jeunes organismes. D’autre part, elle souligne le rôle crucial des télomères et de la télomérase dans la santé des cellules et dans leur réponse aux infections, avec des implications directes pour la recherche sur les cancers humains.
L’Ifremer, en collaboration avec d’autres institutions, compte bien poursuivre ces travaux afin de trouver des moyens de limiter l’activation de la télomérase et ainsi contribuer non seulement à la protection des huîtres, mais aussi à l’amélioration des traitements contre le cancer chez l’Homme.