Le splendide estuaire de la Rance, entre Dinan et Saint-Malo, autrefois lieu de beauté naturelle et de prospérité maritime, est aujourd’hui en proie à une situation écologique alarmante. Depuis plusieurs décennies, la vase envahit progressivement les fonds de cet estuaire, mettant en danger la navigation, les écosystèmes et les promeneurs. À certains endroits, comme à l’écluse du Châtelier ou au Pont Lessard, la couche de vase dépasse les 4 mètres, rendant la circulation des bateaux à voile et à moteur extrêmement périlleuse. Au-delà des problèmes maritimes, cette accumulation de vase représente une menace directe pour la sécurité des riverains, des promeneurs et des pêcheurs, victimes d’enlisements dangereux. Cette dégradation lente mais implacable de la Rance soulève une question cruciale : EDF, qui gère l’usine marémotrice installée sur l’estuaire, est-elle responsable de ce désastre écologique ?
Un barrage unique au monde
Le barrage de la Rance, véritable prouesse technologique de son époque, a été inauguré en 1966 par le Général de Gaulle, devenant la première usine marémotrice au monde. Cet ouvrage de 750 mètres de long, reliant Dinard à Saint-Malo, est conçu pour utiliser les marées montantes et descendantes afin de produire de l’électricité. Avec ses 24 turbines, il génère environ 550 GWh d’électricité par an, soit 2,4 % de la consommation énergétique de la Bretagne en 2010, alimentant environ 250 000 habitants. Cette énergie, renouvelable et non polluante à première vue, a été saluée à l’époque comme une révolution dans la production d’électricité marine.
Cependant, malgré cette prouesse énergétique, des inquiétudes sur l’impact environnemental de l’ouvrage ont émergé bien avant son inauguration. Dès 1957, alors que la construction n’avait pas encore débuté, des voix s’élevaient déjà pour avertir des risques de sédimentation accrue dans l’estuaire. Le conseil municipal de Pleudihen-sur-Rance, par exemple, avait émis un avis favorable à la construction du barrage, mais en mettant en garde contre les effets potentiellement néfastes du projet sur l’accumulation de vase. Le maire de l’époque, David Boixière, avait même demandé dans la délibération que EDF soit responsable de la gestion des sédiments en cas de dégradation de l’estuaire.
Un avertissement ignoré
Ces avertissements ont, semble-t-il, été ignorés. Quelques années à peine après la mise en service de l’usine marémotrice, les premiers signes d’envasement sont apparus. Des élus locaux et des riverains ont rapidement alerté EDF sur les dérèglements provoqués par l’installation du barrage. Le mode de fonctionnement de l’usine, notamment le contrôle des marées et la régulation artificielle des flux d’eau, a contribué à modifier l’écosystème naturel de la Rance.
Le barrage empêche le libre écoulement des sédiments vers la mer, ce qui provoque leur accumulation dans l’estuaire. Au fil des décennies, cette sédimentation a pris des proportions alarmantes, transformant certaines zones en véritables pièges de vase. À marée basse, des parties de l’estuaire deviennent impraticables, non seulement pour les bateaux, mais également pour les promeneurs. Plusieurs incidents ont été signalés, notamment dans les environs de Mordreuc, où des pêcheurs et randonneurs se sont retrouvés piégés dans la vase, ne devant leur salut qu’à des secours in extremis.
EDF, un coupable désigné ?
En mars 2024, l’association Rance Environnement a décidé de prendre des mesures judiciaires, déposant une plainte contre EDF pour sa gestion de l’usine marémotrice. Selon l’association, le barrage est la cause principale de l’envasement catastrophique de l’estuaire. Les membres de Rance Environnement, ainsi que de nombreux riverains et élus locaux, accusent EDF d’avoir ignoré les signaux d’alerte pendant des décennies, aggravant ainsi une situation qui aurait pu être contrôlée dès le départ.
EDF, de son côté, a toujours affirmé que l’usine marémotrice n’est pas la seule responsable de l’accumulation de vase dans la Rance. L’entreprise avance que d’autres facteurs, comme les pratiques agricoles dans le bassin versant ou les changements climatiques, contribuent également à la sédimentation. Elle souligne également les efforts menés pour surveiller l’écosystème de la Rance et pour minimiser l’impact de l’usine.
Cependant, cette position ne convainc pas les associations environnementales ni les élus locaux. Pour eux, le fonctionnement de l’usine et la gestion des marées restent la cause première du phénomène. L’accumulation de vase est en effet directement corrélée aux périodes de contrôle des flux d’eau par le barrage. Les marées, qui autrefois nettoyaient naturellement l’estuaire en emportant les sédiments vers la mer, ne remplissent plus leur rôle.
Quel avenir pour la Rance ?
La question de l’envasement de la Rance est plus que jamais d’actualité. Outre les dangers pour la navigation et les promeneurs, l’écosystème tout entier est menacé. Les sédiments qui s’accumulent privent de nombreuses espèces de leur habitat naturel, et les eaux stagnantes favorisent la prolifération de certaines algues, perturbant encore davantage l’équilibre de l’estuaire.
Pour l’heure, aucune solution claire n’a été mise en place. Les dragages, qui pourraient permettre d’enlever la vase accumulée, sont coûteux et délicats à réaliser. EDF, quant à elle, continue de produire de l’électricité grâce à l’usine marémotrice, mais sans apporter de réponse concrète aux préoccupations environnementales.
L’action en justice de l’association Rance Environnement pourrait être un tournant dans cette affaire. Si EDF est reconnu responsable de l’envasement, l’entreprise pourrait être contrainte de financer des opérations de nettoyage à grande échelle. Cependant, cela ne réglera pas le problème de fond : le mode de fonctionnement du barrage.
Conclusion : un dilemme entre énergie verte et protection de l’environnement
L’histoire de l’estuaire de la Rance pose une question essentielle : comment concilier production d’énergie verte et protection des écosystèmes naturels ? Si l’usine marémotrice a permis à la France de se distinguer dans le domaine des énergies renouvelables, elle semble également être la cause d’un désastre écologique qui affecte gravement la Rance. Alors que l’avenir énergétique du pays repose en partie sur le développement de ce type d’infrastructures, il est crucial de trouver des solutions pour préserver l’environnement tout en continuant à exploiter des ressources naturelles durables.
EDF peut-elle se dédouaner de ses responsabilités ? L’enquête et les actions judiciaires à venir devront éclaircir cette question. Mais pour les riverains de la Rance, une chose est sûre : l’estuaire ne pourra pas continuer de subir une telle dégradation sans que des mesures drastiques soient prises rapidement.
Voir le reportage sur la question, ci-dessous, signé Armel Joubert des Ouches
Photo d’illustration : DR
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4 réponses à “Dinard – Saint Malo. EDF est-il responsable de l’envasement catastrophique de la Rance ? [Enquête vidéo]”
Bonsoir, mais bien sûr qu’il convient de désenvaser la Rance quelles que soient les causes de cet envasement. L’État devra en prendre ses responsabilités pour préserver ce barrage EDF qui nous permet une électricité compétitive en sortant du marché européen de l’électricité et en arrêtant de subventionner l’éolien et le solaire. Sinon, nos factures d’électricité augmenteront encore et encore. Salut
ils savent mais ne font rien ! un curetage coute il cher? j’ai l’impression que nos zélites remettent à demain, au suivant , je-m’en-foutisme évident
En 2017 suite à l’action de l’association Cœur Émeraude une circulaire interministérielle débouchait enfin sur un plan de gestion des sédiments qui n’a pas été appliqué par EDF, l’Etat,et le maître d’ouvrage nommé par l’Etat. Seules des mesurettes coûteuses et inefficaces ont été mises en place. L’association Environnementale agréée Rance Environnement mène un combat courageux et légitime. EDF reconnaissait à l’époque du contrat de baie ses responsabilités et acceptait même de financer les dommages. Pourquoi ne plus assumer actuellement cette catastrophe écologique et environnementale ? Merci aux élues et élus, riveraines et riverains, association et collectif pour la défense de notre environnement.
Ras le bol de l’Ecologie! 2024 année la plus chaude depuis…(ils ne savent même pas les surdoués!) eh bien à l’Ouest hormis 5 jours nous n’avons que de la pluie et un temps gris c’est la faute à Louis XIV et à ses péchés disaient les Jansénistes alors vite des apparitions démoniaques teintées de ce dolorosisme janséniste!