Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Bertrand Salquain (co-auteur avec Maryvonne Bréant du livre Secret défense, mon mari a disparu) : « Notre système juridique est totalement défaillant » [Interview]

Maryvonne Bréant est la veuve inconsolable d’un pilote militaire français disparu au Proche-Orient en 1969. Pendant 55 ans, l’État français a refusé d’ouvrir les archives et de reconnaître que son mari était mort pour la France. Ce n’est qu’en février 2024, grâce à la justice helvétique, que Maryvonne et son avocat ont pu récupérer plus de quatre cents documents confidentiels et des télégrammes échangés entre la France, la Suisse, le Maroc, l’Égypte, Israël, la Syrie, etc.

Son livre Secret défense, mon mari a disparu, paru aux éditions Max Milo, raconte son combat pour connaître la vérité.

En mars 1969, Gilbert Bréant est pilote dans l’armée. Pendant une permission, il part pour le compte d’une société marocaine avec des bureaux à Paris, photographier des installations au Koweït, à bord d’un Piper Aztec. Il est accompagné d’un pilote suisse. Ils ne reviendront pas, ils ne seront jamais retrouvés.

Maryvonne, enceinte de son second fils lors des faits, n’aura de cesse de demander des explications, de remuer ciel et terre, de faire intervenir ses relations familiales proches des pouvoirs politiques. Aucun des pays traversés par l’avion lors du retour ne aurait eu connaissance de l’attaque d’un engin par des pilotes, ni de pilotes tués. La mère de famille a dû se débrouiller seule pour élever ses deux premiers enfants, sans aucune indemnité.

Pour évoquer cette histoire folle, nous avons interviewer d’abord Maryvonne Bréant directement, puis son avocat Bertrand Salquain, spécialisé dans les dysfonctionnements de la justice et les abus de l’administration.

Breizh-info.com : Pouvez-vous nous raconter comment vous avez appris la disparition de votre mari en 1969 ?

Maryvonne Bréant :  J’ai appris la disparition de l’avion de mon mari par un télégramme diplomatique (jaune) de l’ambassadeur francasi de nicosie (chypre)

Breiezh-info.com : Comment avez-vous vécu les 55 années d’attente et d’incertitude ? Pouvez-vous nous parler des moments les plus difficiles de cette période ?

Maryvonne Bréant :  La naissance de mon deuxième fils née deux mois apres la disparition avec tous les problemes de reconnaissance de son pere disparu,ca été le plus difficile

Breizh-info.com : Quel rôle ont joué vos enfants dans votre quête de vérité ?

Maryvonne Bréant : Le rôle de mes enfants a été très important dans ma quête de vérité. Je me suis battue pour eux, pour qu’ils ne manquent de rien malgré la disparition de leur père.

Breizh-info.com : Quelle a été votre réaction lorsque vous avez enfin obtenu les documents confidentiels en 2024 ?

Breizh-info.com : Pouvez-vous nous parler de votre relation avec les différentes personnalités politiques mentionnées dans le livre, comme Jean de Broglie et Robert Boulin ?

Maryvonne Bréant : Jean de Broglie faisait partie du cercle familial de mon mari. Il cherchait à connaître la vérité jusqu’à son décès, mais ses efforts n’ont abouti à rien. Quant à Robert Boulin, il n’avait aucun lien avec moi, mais il était cité dans l’affaire, car il était ami avec Broglie.

Breizh-info.com : Comment avez-vous réussi à refaire votre vie tout en continuant votre combat pour la vérité ?

Maryvonne Bréant : L’envie de vivre étant plus forte, un remariage m’a aidé à vivre et à supporter cette douleur, tout en me permettant de poursuivre ma quête de vérité.

Questions à Bertrand Salquain, avocat de Maryvonne Bréant

Breizh-info.com : Comment avez-vous été impliqué dans cette affaire et qu’est-ce qui vous a motivé à aider Maryvonne Bréant ?

Bertrand Salquain : Je rencontre Maryvonne Bréant à l’occasion d’une affaire personnelle qu’elle confie à mon cabinet d’avocat. Elle vient à l’un de mes vernissages (je suis peintre à mes heures perdues). Elle me propose de m’occuper de mes expositions en 2014 et nous sommes devenus amis. C’est à cette occasion qu’elle me confie pour la première fois l’histoire de son mari, pilote disparu en 1969.

Elle m’expose les 50 ans de mensonges des autorités françaises autour d’un secret d’État, et je choisis de l’aider à faire la lumière sur cette tragédie.

Breizh-info.com : Pouvez-vous nous expliquer les principaux défis juridiques que vous avez rencontrés dans cette quête de vérité ?

Bertrand Salquain : Le principal défi juridique réside dans le fait que lorsque j’écris au ministère des Armées, celui-ci m’indique n’avoir aucun dossier sur cette affaire. Il me renvoie vers le ministère des Affaires étrangères, qui me dit n’avoir aucun dossier non plus. Lorsque je m’adresse au cabinet de François Hollande, ce service certifie lui aussi n’avoir aucune archive. On peut donc en déduire que les autorités françaises considèrent cette affaire comme n’ayant jamais existé. Elles prétendent ne jamais en avoir entendu parler.

De plus, les faits sont anciens, ils datent de plus de 45 ans en 2014, quand je prends ce dossier en charge. Je sais qu’ils mentent car Maryvonne m’a remis de nombreux documents qui prouvent qu’un dossier a bien existé à l’époque.

Breizh-info.com : Comment avez-vous réussi à obtenir les documents confidentiels grâce à la justice helvétique ?

Bertrand Salquain : Alors que les autorités françaises prétendaient depuis 2014 qu’elles n’avaient aucun dossier sur cette disparition et me renvoyaient de services en services, Maryvône me met en relation avec Sylviane Bernasconi, la sœur du pilote suisse disparu le même jour.

Elle me procure des articles parus en Suisse en 1970 sur ce mitraillage. Elle m’a mis en relation avec un confrère helvétique qui a effectué de discrètes démarches, puis avec les autorités helvétiques qui ont accepté de déclassifier le dossier que la Suisse avait constitué sur cette disparition entre Damas et Le Caire le 24 mars 1969.

Breizh-info.com : Pouvez-vous nous parler des dysfonctionnements de la justice et des abus de l’administration que vous avez rencontrés dans cette affaire ?

Bertrand Salquain : Dans cette affaire, j’ai saisi le ministre d’un recours préalable après avoir épuisé toutes les phases amiables. J’ai déposé mon recours préalable le 30 septembre 2021. J’ai saisi le tribunal de Paris, qui a renvoyé l’affaire devant le tribunal administratif de Nantes le 3 mai 2022.

J’ai communiqué une requête, un mémoire et plus de 400 pièces.

Le ministère des Armées n’a pas communiqué la moindre pièce depuis trois ans, ni le moindre mémoire, ni fourni la moindre explication depuis le 30 septembre 2021. De nombreux justiciables se plaignent de ce dysfonctionnement endémique des juridictions administratives, comme si l’on voulait empêcher les justiciables de faire condamner l’État.
À cet égard, les juridictions judiciaires ne sont pas mieux loties.

Malgré la gravité d’une affaire qui a endeuillé une famille, le tribunal n’exerce aucune pression sur le gouvernement pour qu’il s’explique. Cette affaire n’a toujours pas de date d’audience, trois ans après le dépôt de la requête initiale et en l’absence de la moindre écriture du gouvernement. Notre système juridique est totalement défaillant.

Je me bats aussi plus généralement pour dénoncer ce scandale institutionnel et le fait que les avocats exercent un métier adossé à des institutions dysfonctionnelles qui nuisent à notre image. J’ai fait condamner l’État une douzaine de fois pour le dysfonctionnement de sa justice.

Breizh-info.com : Quelle est votre opinion sur la manière dont l’État français a géré cette affaire pendant 55 ans ?

Bertrand Salquain : Mon opinion est définitivement arrêtée. Il s’agit d’un secret défense, et j’ai pu recevoir les explications de François Hollande en juin 2022, lors d’un colloque qu’il présidait à La Rochelle sur ce thème. Les mensonges, même les plus grossiers, seront toujours opposés aux justiciables lorsqu’il s’agit de nier même des évidences.

Breizh-info.com : Pensez-vous que cette affaire pourrait avoir des répercussions sur d’autres cas similaires ?

Bertrand Salquain : L’affaire de Maryvonne Bréant pourrait constituer un précédent. C’est une nécessité, car il faut que les élus soient conscients du vide juridique qui est à l’origine de ce drame. La disparition d’un agent secret ne rentre dans aucune case.

Maryvonne ne peut pas être déclarée veuve d’un militaire mort en Opex, puisque pour le gouvernement français cette mission n’a jamais existé et que la France ne fait pas de renseignement aérien avec des avions civils. La France ne fait pas non plus sauter des navires dans le port d’Auckland. Elle n’incendie pas non plus des paillotes en Corse,…

Il est urgent qu’un régime, même confidentiel, d’indemnisation soit mis en place pour assurer la prise en charge des veuves et des orphelins dont les ayants droit lorsque des missions de renseignement tournent mal.
On ne peut pas continuer à laisser des veuves élever seules des orphelins après des missions qui ont échoué, comme celle de mars 1969.

Et cette dernière question complète la première : c’est aussi pour cela que j’ai souhaité aider Maryvonne, car au-delà de son cas personnel, les familles des agents envoyés en mission doivent pouvoir bénéficier d’un régime de protection adapté.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2024, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky