« Large » pour RTL, Libération et France Info, « écrasante » pour la Croix, le Parisien, l’Opinion et le Télégramme , « historique » pour le Monde… La victoire du centre-gauche en Grande-Bretagne, le 4 juillet dernier, a déclenché une surenchère d’adjectifs élogieux dans les médias français, qui ont voulu y voir une préfiguration du 2ème tour français.
En réalité, le parti travailliste n’a recueilli que 33,69 % des votants (plus 1,61 % par rapport à 2019). En voix, il a même perdu plus de 500 000 électeurs, passant de 10,2 à 9,7 millions, ces élections, courues d’avance, n’ayant pas tiré les Britanniques de leur flegme ni suscité de participation conséquente. Le centre-gauche grand-breton n’est donc majoritaire au parlement que grâce à un type de scrutin à un tour qui, appliqué en France, aurait donné au RN et à ses alliés 297 des 577 députés de l’Assemblée nationale !
Victoire sans enthousiasme et par défaut, dû mécaniquement à l’effondrement de l’autre parti de gouvernement : à seulement 23,70 %, les conservateurs voient disparaitre quasiment la moitié de leur électorat (- 19,93%). Une grande partie a filé vers le Reform Party de Nigel Farage, qui a capté 4,1 millions de voix, soit 14,29 % (+12,28%). Le parti patriote prend ainsi la 3ème place en Grande-Bretagne, devant les centristes libéraux-démocrates (12,22%) ; ces derniers n’augmentent leur score que de 0,67 %, malgré les exploits médiatiques de leur leader Ed Davey, un lord excentrique faisant campagne sur paddle ou en saut à l’élastique.
5 députés pour le Reform Party…
Le Reform Party est donc la première grande nouveauté de ce scrutin, où il a même décroché 5 sièges de députés : avec 46,2 % des voix pour Nigel Farage à Clacton, station balnéaire décatie du sud-est de l’Angleterre ; 42,8 % à Ashfield, dans le nord, à quelques lieues de la mythique forêt de Sherwood ; 38,4 % à Boston-Skegness, 35,3 % à Great Yarmouth, 30,8 % à Basildon South-East Thurrok, petites villes de l’est et du sud-est. Il s’agit de bastions conservateurs, à l’exception d’Ashfield, traditionnellement travailliste. Lee Anderson, le nouveau député Reform Party de la ville, est un ancien mineur de charbon, longtemps militant du parti travailliste avec qui il a rompu par opposition au wokisme.
Le point commun de ces 5 circonscriptions n’est pas politique, mais socio-ethnique. Les habitants y sont moins diplomés (38 % ayant reçu une « bonne éducation » à Ashfield contre 49,5 en Grande-Bretagne), ont plus souvent une voiture (80 contre 77), sont davantage propriétaires de leur maison (68 % contre 63), mais on n’est pas dans Downton Abbey (prix moyen de la maison de 160 000 livres contre 313 000 au niveau national) ; la population y est blanche à 96 %, contre 83 % en Grande-Bretagne ; le vote en faveur du Brexit y a atteint 71 % (contre 52 à l’échelle nationale). Ces chiffres concernent Ashfield, mais rejoignent ceux des autres circonscriptions du Reform Party.
Dans le même ordre d’idées, le parti patriote a fait aussi de bons scores au Pays-de-Galles, avec 16,9 %, passant devant le Plaid Cymru, parti nationaliste gallois de gauche (14,8%).
… 4 pour les pro-palestiniens
Mais une toute autre orientation civilisationnelle se dessine dans les grandes villes mondialisées de l’île. Là, il y a une réelle mobilisation électorale de gauche, au point de déborder le parti travailliste lui-même. 4 députés indépendants se sont fait élire sur des bases communautaires dans des circonscriptions traditionnellement travaillistes, en affichant leur soutien à la cause palestinienne. Le plus marquant de ces élus est Shockat Hussain Adam, personnel soignant qui a conquis le siège de Leicester South, contre le député sortant Jonathan Ashworth, un baron du parti à qui était promis un poste ministériel. La circonscription de Leicester South, au sein d’une agglomération de 600 000 habitants du nord de l’Angleterre, a un profil « banlieue » : il compte 39 % de blancs, une majorité de locataires (44 % de propriétaires de leur logement, d’une valeur moyenne de 237 000 livres), un niveau de diplômés légèrement supérieur à la moyenne (52%) ; on y a voté à 39 % pour le Brexit et le candidat du Reform Party s’est contenté de 5,9 % des voix.
Autre figure marquante, Jeremy Corbyn, ancien leader du parti travailliste, antisioniste militant exclu pour « antisémitisme », s’est fait réélire triomphalement par 49,5 % à Islington North, contre le candidat officiel de la direction (34,4%).
Cette circonscription de la banlieue londonienne a davantage une coloration bobo : elle a un niveau de diplôme universitaire supérieur à la moyenne nationale (69%) ; on s’y déplace peu en voiture (31%) ; on y est surtout locataire (31 % de propriétaires), les prix de l’immobilier étant élevés (prix moyen d’un logement : 750 000 livres), signe de l’attractivité du territoire ; la population y est blanche à 62 %. Le vote en faveur du Brexit n’y a atteint que 22 % et le candidat du Reform Party n’a récolté que 3,5 % des votes le 4 juillet.
Enora
Source des statistiques : Electoral Calculus
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