Nous retrouvons Paul-Henri Jaulin, que nous avions interviewé à l’époque de la sortie de son premier livre, Des Guerriers et des Bardes, premier tome d’une trilogie consacrée à la Guerre des Gaules.
Les éditions l’Harmattan viennent de publier la suite, intitulée « Ami ou ennemi ? La guerre des Gaules 56-54 av J.-C. », à commander ici.
Nous avons interviewé l’auteur ci-dessous
Breizh-info.com : Pouvez-vous faire un point sur la fin de votre premier livre, là où vos lecteurs en étaient restés ?
Paul-Henri Jaulin : Des Guerriers et des Bardes, relatait les événements de 58 et 57 av. J.-C. : l’avènement du conflit que l’on nommera la guerre des Gaules. La surprise des Gaulois face à l’intrusion de César et leurs difficultés à saisir les enjeux de son immixtion dans leurs affaires politiques a pu être mise en valeur à travers les regards croisés de divers protagonistes historiquement attestés, mais peu connus. Ainsi avons-nous suivi l’Helvète Divico jusqu’à la chute de sa tribu, l’Eduen Dumnorix, contraint de faire cause commune avec le proconsul pour conjurer la menace germanique, son frère, le druide Diviciacos, éminence grise de ce cataclysme historique qui offrit à l’aventureux romain le titre de protecteur de Gaule, et l’Helvien Domnotauros, encarté parmi les auxiliaires au service du patricien latin. Ce premier volet romanesque s’achevait sur une trêve entre César et la confédération Belge.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a inspiré à explorer cette période spécifique de la guerre des Gaules dans votre second volet ?
Paul-Henri Jaulin : Ce second volet suit chronologiquement le fil du premier et couvre les années 56 à 54 av. J.-C. Le Titre évoque l’opacité politique qui obvie aux ripostes des princes gaulois. Le statut officiel acquis par César requalifie le réflexe défensif des entités autochtones en entreprises séditieuses et réduit la fidélité aux institutions politiques traditionnelles à une inféodation personnelle. Ainsi les rapports de force se trouvent-ils confondus par la duplicité du politicien, à la fois protecteur et envahisseur, personnage biface qui astreint ses homologues gaulois à une impuissance et à une désunion induites par l’ambivalence de son attitude. Cet enlisement politique laisse peu à peu place à la frustration et à la colère, qui se manifestent d’abord par des révoltes éparses, puis par une défiance générale qui menace de se répandre sur la totalité de l’espace politique gaulois.
Breizh-info.com : Pouvez-vous expliquer comment l’administration césarienne gangrenait les institutions politiques de Gaule ?
Paul-Henri Jaulin : Le conseil druidique, de compétence juridique, ayant perdu au Ier siècle avant J.-C. en prestige auprès des tribus, la seule instance intertribale détentrice d’un pouvoir d’initiative sur la totalité de l’espace gaulois est le fameux consilium totius Galliae évoqué par César. Dès 58 avant J.-C., du fait de l’intrusion de César en Gaule, ce sont les Eduens d’une brigue particulièrement bien disposée envers la République romaine qui dominent cette institution politique. Les intérêts commerciaux de ce parti le rendant naturellement enclin à s’accorder avec Rome, la contribution de César à sa prise de pouvoir ne représente qu’un nouvel argument pour réaliser un rapprochement officiel. Ainsi la tenue du Conseil de toute la Gaule de 58 avant J.-C. est il un prétexte pour désigner l’intru romain comme le protecteur de la Gaule, même si certains n’entendent dans cette nomination qu’un traité instituant César en supplétif pour repousser l’invasion germanique. Cette menace écartée, la place prise par César interroge cependant les tribus dont les intérêts politiques et commerciaux divergent d’avec ceux de l’axe méditerranéen. Les unes après les autres, ces tribus se voient cependant imposer des traités lors de rapports de forces au cours desquels les légions ne leur laissent aucune chance. Profitant de son protectorat, César impose le versement de lourds tributs qui lui permettent de gagner en force, tout en déployant à travers le pays, en parallèle des institutions politiques gauloises, les ramifications de son administration depuis un centre névralgique qu’il instaure dans la cité de Noviodunum, sous juridiction éduenne. Son statut lui permet de lever au sein de chaque cité des contingents armés qui décuplent sa puissance et affaiblissent ses ennemis, ponctionnés sur leurs forces vives. La séduction, les otages, les promesses d’ascension _ bien souvent non tenues_, la menace et la violence constituent les ressorts d’une diplomatie intense. Les cantonnements des légions deviennent de véritables centres d’assujettissement. Très vite, César convoque lui-même le conseil intertribal et lui impose son autorité. Il est notable que ce pouvoir investi par César ne vaut que dans le système politique gaulois, le proconsul de Rome n’ayant aucune mandature du Sénat romain. On imagine aisément la sidération des élites gauloises, condamnées pour réagir à la spoliation césarienne à déroger à leur propre coutume politique.
Breizh-info.com : Quels sont les principaux chefs de guerre que vous mettez en avant dans votre livre et pourquoi ?
Paul-Henri Jaulin : Viridorix, seul chef de l’alliance armoricaine mentionné par César, prend la parole dans la première branche du roman. A travers la révolte de ce puissant chef de guerre, c’est l’impasse politique dans laquelle se trouvent acculées les cités des confins gaulois qui est mise en perspective. Contraints à la révolte, les Armoricains se mettent en porte-à-faux avec leurs pairs et échouent, malgré leurs efforts, à soulever leur réseau continental, à l’exception de quelques tribus belges et aquitaines. C’est la lutte de ces dernières, à la fois épique et vaine, que nous découvrons à travers les yeux du jeune Teutomatos, futur compagnon de Vercingétorix. Inexorablement, et malgré l’effroi qu’ils suscitent chez l’occupant, ces faits d’armes vaillants dévoilent l’inanité des révoltés, voués à être esseulés loin d’alliés politiquement bridés. La machine infernale des légions n’a plus qu’à concentrer ses forces sur les récalcitrants. C’est ensuite le roi Commios des Atrébates qui dévoile son jeu, manœuvrant en sous-mains avec les puissants princes gaulois tout en faisant bonne figure auprès de César pour ménager ses intérêts, sur fond de campagnes contre la confédération britonne. Enfin, en prémices de la grande insurrection à venir, Ambiorix narre sa conjuration et ses exploits permis par le ralliement d’une grande confédération. C’est le prélude d’une plus grande épopée à venir, alors que l’assiette du pouvoir césarien se fissure et que, dans les coulisses, un jeune spectateur, Vercingétorix, s’affirme peu à peu en acteur prometteur.
Breizh-info.com : Comment décririez-vous la noblesse gauloise de cette époque, et en quoi leur caractère irrévérencieux a influencé leur résistance ?
Paul-Henri Jaulin : Il apparaît que la noblesse ne constitue pas un bloc. La réaction nobiliaire face à l’enlisement politique diffère en fonction de la situation de chaque tribu dans le nouveau système. Les patriciens des cités centrales, comme celle des Eduens, ont pour beaucoup abnégué leur rôle guerrier au profit de leurs intérêts économiques et les opportunités que leur offre nouvel ordre césarien leur convient, tout du moins dans un premier temps. En revanche, les édiles des tribus situées aux marges du monde gaulois se trouvent clairement lésées. Leur irrévérence repose sur un mépris du nouveau monde césarien et puise dans la coutume et l’imaginaire traditionnels pour asseoir leur posture de résistants. Il faut également, pour ce qui est des cités centrales, évoquer une rupture générationnelle au sein de la noblesse. Là ou les anciens accueillent l’ordre nouveau et contractent avec César des traités qui garantissent leur position, la jeunesse nobiliaire, sacrifiée comme otage et condamnée par tractation à servir comme auxiliaires auprès de César, possède un pied dans les deux mondes, sans discerner d’avenir nulle part. César lui promettait des magistratures dans les cités, dont les sièges étaient déjà occupés par les vieux politiciens protégés par le proconsul. Cette bouillante jeunesse, rompue au métier des armes, saura fonder la légitimité de sa révolte préparée en sous-main sur la colère populaire.
Breizh-info.com : Votre livre parle de la lutte, de la négociation, de la conjuration et de la feinte. Comment ces stratégies se manifestent-elles dans le récit ?
Paul-Henri Jaulin : Ces stratégies officieuses cherchent à contourner le pouvoir césarien qui partout étend ses ramifications. Il s’agit pour les protagonistes de faire bonne figure auprès du proconsul tout en manœuvrant dans l’ombre afin de mettre en place des coalitions pour contrer l’oppresseur. Dans le récit, ce sont les émissaires, les conseils secrets, le levier de la Cour druidique, celui du clientélisme et des vieilles inféodations ainsi que la politique matrimoniale qui constituent la trame de ces conjurations, dont les acteurs prennent des risques tels que la menace de la mort représente leur quotidien.
Breizh-info.com : Comment avez-vous équilibré les points de vue des différents personnages pour donner une image complète de la résistance gauloise ?
Paul-Henri Jaulin : Le choix des personnages s’est en effet fondé sur le besoin de brosser un tableau complet de cette résistance aux multiples facettes. Avec Viridorix, nous explorons l’insoumission des marges, avec Teutomatos, le louvoiement d’un jeune aristocrate balloté malgré lui d’un camp à l’autre, avec Commios, le génie d’un infiltré jouant sur tous les tableaux et avec Ambiorix, la force épique d’un puissant stratège politique et guerrier. Il faut tenir compte de tous ces aspects, de toutes ces postures pour concevoir la cohérence historique de cette résistance.
Breizh-info.com : Pouvez-vous nous parler de votre processus de recherche pour ce livre ? Quels défis avez-vous rencontrés ?
Paul-Henri Jaulin : Il a fallu lire de nombreux travaux de recherche ainsi que les publications archéologiques, revenir aux sources antiques et comparer les interprétations qu’en ont faites les historiens. En laissant de côté l’historiographe caduque du XIXe et de la première moitié du XXe siècle, un choix s’est imposé au regard des divergences de représentation que les historiens contemporains se font de la période. Malgré les dernières découvertes, qui rebattent totalement le cartes en ce qui concerne la guerre des Gaules, certains réflexes, clairement idéologiques, continuent de brider la perception de quelques éminents savants. Nous pouvons par exemple nommer le regretté Christian Goudineau qui maintenait, contre toutes les évidences, que la Gaule ne constituait qu’une pure invention césarienne, en dépit de la réalité culturelle, ethnologique, juridique et politique que rappellent Jean-Louis Bruneau et bien d’autres encore. Il s’agit sans aucun doute d’une réticence à admettre une identification concernant nos ancêtres, puisque la génétique historique nous situe désormais clairement dans le lignage de ces Gaulois, même si les spécialistes peinent encore à assumer le résultat de leurs propres recherches.
Breizh-info.com : Avez-vous des plans pour un troisième volet ou d’autres projets littéraires en cours ?
Paul-Henri Jaulin : Le dernier volet de cette trilogie, Sacrifice Royal, concernera les années 53 à 51 avant J.-C. et laissera enfin la parole à Vercingétorix. Dans le cadre de la guerre, il s’agira de l’aboutissement de toutes les initiatives jusque là bridées par le contexte politique, pour donner lieu au soulèvement magistral, porteur de tous les espoirs, et, du fait des caprices du destins, voué à une fin tragique.
Propos recueillis par YV
Illustrations : DR
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