Anouk Aimée a disparu, le passage Pommeraye et la Cigale sont en deuil. Les lecteurs de Julien Gracq, le fils Poirier, et ceux de Jean Sarment, un précurseur des « surréalistes », sont eux aussi en deuil. Il ne subsiste de Mademoiselle Nicole Françoise Florence Dreyfus que ce que mon cousin, Jacques Demy de Pontchâteau, a livré d’elle : un bouleversant film fétiche, tourné en 1960 dans un Nantes pas encore débarrassé des horreurs de la guerre. Le pont transbordeur venait juste d’être démonté. Et Roland Cassard regardait passer les trains sur le quai devant ses interrogations, avant d’aller flâner dans la librairie Beaufreton. Anouk est restée figée en icône, dans nos âmes tendres, au point qu’elle a pu dire, cinquante ans après : « Je ne sais plus où commence Anouk et où commence Lola, où finit Lola et où finit Anouk ».

Ne me parlez pas du film du père Lelouche, Un homme et une femme, qu’il a tourné une éternité plus tard, du côté de Deauville, pour nous faire verser des larmes — ce qui n’a rien à voir avec Nantes, pensez ! La dernière fois que je l’ai rencontré, « ma » Lola, c’était à Eymoutiers, sur le territoire de Georges Guingouin, pour la présentation de La Petite Prairie aux bouleaux, de Marceline (Loridan)… Anouk était « Myriam », une survivante du camp qui, du temps des nazis, s’appelait « Birkenau »…

Ca ne lui rappelait rien, forcément, parce que, gamine de dix ans, sa mère, l’actrice Geneviève Durand, dite Geneviève Soria (c’était pas mieux), avait pris la précaution de lui changer son prénom et son patronyme en « Françoise Durand », et de l’envoyer à l’abri de l’étoile jaune, dans une ferme, à Barbezieux-Saint-Hilaire, en Charente. Plus tard, à treize ans, dans un bistrot où elle dînait avec sa mère, elle avait rencontré, « par hasard », Henri Calef, ébloui par sa beauté… puis Jacques Prévert qui lui avait conseillé  d’ajouter « Aimée » à son prénom « Anouk ». Elle était entrée ainsi au cinéma, et, pendant soixante-treize ans, elle a tourné dans soixante-quatorze films et séries… et reçu « de prestigieuses récompenses ».

Evidemment, en faire la liste serait fastidieux. D’autant que les bons réalisateurs furent légion : Jacques Demy, on a déjà dit, mais aussi le père Lelouche, André Cayatte, Alexandre Astruc, Agnès Varda, Charlotte de Turckheim, Philippe de Broca, George Cukor, Robert Altman…Vittorio De Sica, Alberto Lattuada, Alessandro Blasetti, Sergio Leone, Dino Risi, Marco Bellocchio, Bernardo Bertolucci et Federico Fellini pour La Dolce Vita et Huit et demi… D’avoir été mariée quatre fois et avoir vécu un nombre impressionnant de jours avec le dessus du panier des grands hommes de l’art n’ont pas détruit son aura… Anouk a disparu, Lola demeure.

MORASSE

Crédit photo : Flickr (cc)
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2 réponses à “Pour Lola”

  1. Raymond NEVEU dit :

    C’est débordant de nostalgie comme d’autres éprouvent une effrayante nostalgie en se souvenant d’un monde qui a disparu et qui me laisse une immense nostalgie, souvenons-nous de Péguy évoquant « un peuple que nous ne reverrons jamais » (Ch L’argent écrit par Ch. Péguy). Je suis d’une génération plus jeune plus intéressé par Clint Eastwood ou par Dr Jivago bien sûr je connais la Passage Pommeraye mais les oeuvres cinématographiques du genre… »Un homme une femme » ou « la voisine d’en face », « Le chien de la voisine »…et autres je trouvais cela d’un barbant lorsque je devais accompagner frères et soeurs au cinéma…Ceci dit Aet eo d’an Anaoned ha setu bremañ Doue d’he ‘fardono! (hervez ar mod Emgleo Breiz!)

  2. Le Caloch dit :

    Je ne me souviens pas d’Anouk Aimée dans la Dolce vita mais d’Anita Egberg.

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