LFI : Frédéric Mathieu n’était pas propriétaire de sa circonscription

Jean-Luc Mélenchon a de la mémoire, il n’oublie rien. Les critiques, le comportement fractionniste de quelques-uns, il n’apprécie pas ; il sait régler ses comptes le moment venu au sein de LFI. « A 23 heures, vendredi 14 juin, plusieurs de ses piliers ont appris, à la faveur de la publication de la liste des investitures, qu’ils n’étaient pas reconduits : Alexis Corbière, Raquel Garrido, Hendrik Davi, Danielle Simonnet ou Frédéric Mathieu. Leur point commun : leur désaccord avec la ligne du vieux chef. » (Le Monde, dimanche 16-lundi 17 juin 2024). Exit les frondeurs ! Réclamer davantage de démocratie dans le fonctionnement du parti reviendrait à créer des courants – comme au PS – et ça « Méluche » ne veut pas en entendre parler. Pour justifier la « purge » et la mise à la porte de ses anciens compagnons, Mélenchon a su utiliser une autre explication sur France 3 (dimanche 16 juin) : leur éviction s’imposait « par la nécessité de faire de la place pour “les milieux associatifs et syndical“ (…) “Il n’y a pas d’investiture à vie chez LFI “, rappelant avoir “rendu 100 circonscriptions“, en référence à 2022, quand LFI avait obtenu 326 investitures dans le cadre de la Nupes. » (Le Monde, mardi 18 juin 2024).

Frédéric Mathieu était pourtant un vieux de la vieille ; il avait quitté le PS avec Mélenchon, milité au Parti de gauche avec Mélenchon, participé au démarrage de La France insoumise avec Mélenchon ; il aime à rappeler qu’il est « membre fondateur du parti Les insoumis » (Ouest-France, Ille-et-Vilaine, lundi 20 juin 2022)). On retrouve ce fils de gendarme candidat aux élections législatives de 2022 dans la circonscription de Rennes-Bruz ; il bat facilement au second tour la candidate de la majorité présidentielle Hind Saoud (52,62 %/47,38 %). D’où cette déclaration triomphale : « On referme la parenthèse La République en marche à Rennes métropole » (Ouest-France, Ille-et-Vilaine, lundi 20 juin 2022) ; aujourd’hui ses ennemis pourraient ajouter qu’on referme la parenthèse Mathieu !

Ce fidèle de Jean-Luc Mélenchon possède un grave défaut : il n’est pas inconditionnel et conteste souvent le fonctionnement le LFI. Ainsi sa réaction après le passage du député Louis Boyard (LFI, Val-de-Marne) sur le campus de Rennes 2 pendant les manifestations contre la réforme des retraites ; suite à l’intervention de Louis Boyard avait été décidé le blocage de Rennes 2. Mathieu se désolidarise de la démarche de Boyard : « J’ai reçu un SMS, samedi soir, laconique, m’indiquant que Louis Boyard venait à Rennes 2. J’ai été, comme mes collègues, mis devant le fait accompli. J’ai trouvé sa communication fort hasardeuse. La démarche assez indélicate pour ne pas dire extrêmement irrespectueuse. Après, que pouvais-je faire ? Je n’allais pas me mettre sur les rails pour empêcher le TGV d’entrer en gare de Rennes. » (Ouest-France, Rennes, 11-12 février 2023). « Cela avait créé des tensions. J’avais essayé de le dissuader de venir et ils ne m’ont jamais pardonné. » (Dimanche Ouest-France, Ille-et-(Vilaine, 16 juin 2024). Celui qui avait « porté une exigence démocratique au sein du mouvement » (Le Monde, dimanche 16-Lundi 17 juin 2024) va payer cher ce genre d’« impertinence » envers un proche du Lider maximo.

Les trotskistes ont l’habitude des purges

Vendredi 14 juin, au soir, Frédéric Mathieu est encore candidat. Mais, dans la nuit, la direction de La France insoumise publie la liste de ses candidats ; Frédéric Mathieu n’y figure pas. Ce dernier commente ce mauvais coup en ces termes : « D’abjectes manoeuvres calomnieuses exercées par des cercles mélenchonistes apparaissent comme le prix à payer pour ma liberté de pensée et d’expression au sein du mouvement. » Il s’estime victime d’une purge : « Mélenchon est en train de couper les têtes. » (Ouest-France, Ille-et-Vilaine, mardi 18 juin 2024). Certes Mathieu a bien tenté de se maintenir en tant que candidat indépendant mais, faute de trouver une suppléante (tout le monde se défile), il a jeté l’éponge dimanche soir. Pourtant, samedi 15, le député sortant n’était pas inquiet par ce duel avec la candidate officielle LFI parachutée par la direction du parti : « On n’est pas menacé par le RN sur la circonscription. Il y aura une primaire à gauche, le 30 juin, pour voir qui sera au second tour contre le candidat Renaissance. » (Dimanche Ouest-France, Ille-et-Vilaine, 16 juin 2024). Question emploi, Mathieu ne sera pas contraint de s’inscrire à France Travail car il est cadre dans un truc qui dépend de la Défense nationale – donc garantie de l’emploi assurée.

Un fin connaisseur de l’histoire de la gauche, Bernard Poignant, ancien député-maire de Quimper (PS), résume l’affaire ainsi : « Mélenchon résume sa nature profonde, celle d’un trotskiste, se référant aux violentes purges entre Bolcheviques au lendemain de la Révolution de 1917. » (Le Journal du dimanche, 16 juin 2024). Quant au quotidien de la gauche sociale-démocrate, il dénonce dans un éditorial  « la pratique autoritaire et sectaire qui prévaut au sein de l’appareil LFI » (Le Monde, dimanche 16-lundi 17 juin 2024).

Bernard Morvan