« Fasciste ! » : itinéraire d’une insulte. Interview à Adriano Scianca

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, Staline conseillait à ses disciples de traiter d’emblée leurs adversaires politiques de « fascistes », lors de quelque débat, pour empêcher ces derniers d’argumenter. La leçon fut entendue et perdure encore aujourd’hui, où le terme a été galvaudé jusqu’à en perdre toute signification et devenir un simple synonyme d’autoritarisme.

Qu’est-ce que le Fascisme ? Petit rappel aux ignorants qui utilisent ce mot à tout bout de champ

En 1944, George Orwell, écrivait déjà : 

 » Tel qu’il est utilisé, le mot « fascisme » n’a presque aucun sens. Dans les conversations, bien sûr, il est utilisé encore plus largement que dans les documents imprimés. J’ai entendu cela appliqué aux agriculteurs, aux commerçants, au Crédit Social, aux châtiments corporels, à la chasse au renard, à la corrida, au Comité de 1922, au Comité de 1941, à Kipling, Gandhi, Chiang Kai-Shek, à l’homosexualité, aux émissions de Priestley, aux auberges de jeunesse, à l’astrologie, aux femmes, aux chiens et je ne sais quoi d’autre. (…) « 

Pourtant, le fascisme revêt une signification. C’est un mot qui a un sens propre, provenant d’une doctrine politique particulière. Pour remettre quelques pendules à l’heure, nous sommes allés à la source, en Italie, et nous avons demandé à Adriano Scianca, journaliste et essayiste italien de nous en dire plus sur ce thème qu’il connaît bien.

Breiz-Info.com : L’insulte « Fasciste ! » lancée à tout-va, à droite comme à gauche, semble être la pire des calomnies dont on peut être affublée. Mais le fascisme, au juste, qu’est-ce que c’est ?

Adriano Scianca : C’est une question à laquelle il est difficile de répondre, parce que le fascisme, à la différence par exemple du marxisme, n’est pas l’application d’une philosophie systématique, il n’a pas de « livres sacrés ». Sa définition est donc toujours quelque peu insaisissable. J’essaierai de fournir quelques éléments pour une définition de principe, nécessairement synthétique, sur la base des élaborations des fascistes eux-mêmes et des études des historiens.

Le fascisme constitue la structuration concrète sur le plan politique d’un vaste mouvement spirituel et social de révolte à la vision du monde égalitaire, démocratique, massifiée et économiste. Cette rébellion intellectuelle investit pratiquement tout le continent européen dès le milieu du XIXe siècle. Enraciné dans la tradition et dans l’identité européenne, il présuppose cependant aussi la remise en cause de ce bagage culturel et sa « reconquête héroïque », en termes futuristes et avant-gardistes.

En ce qui concerne sa vision du monde, le fascisme se présente comme un « optimisme tragique », c’est-à-dire comme une approche vitaliste et volontariste de l’histoire, de l’existence et du monde. Il préfère le héros au marchand, la communauté à l’individu, la hiérarchie à la démocratie. Étranger à l’utilitarisme, il rappelle toutefois le concret, le pragmatisme et le rejet des abstractions. Sans être nécessairement amant de la guerre, le fascisme apprécie les vertus guerrières, et s’il ne déteste pas toujours la paix, il méprise toujours le pacifisme. Contraire aux Lumières, il se présente comme un adversaire radical de toutes les idéologies modernes. Néanmoins, il fait preuve d’un certain sens commun moderne empreint de dynamisme et rejette certainement toute voie régressive, réactionnaire et bucolique.

Du point de vue organisationnel, le fascisme se présente comme un parti-milice, un mouvement de producteurs et de combattants. C’est-à-dire comme un mouvement de masse de nature interclassiste mais dont la force motrice provient des classes moyennes émergentes et porteuses de dynamisme social. Sa nature est éminemment révolutionnaire et palingénétique, visant à subvertir l’état des choses présentes et à y substituer un nouvel ordre. Une fois le pouvoir pris, le parti-milice, dans le fascisme, tend à se transformer en un « ordre de croyants et de combattants » qui entend être le moteur d’une révolution permanente et totalitaire visant à la fascistisation de la nation. En ce sens, le fascisme est un moment de synthèse entre élément identitaire et élément social, visant à nationaliser les masses, ou à les encadrer dans une communauté organique de destin. Cela se fait par le renforcement substantiel et progressif de la dignité sociale du peuple et par une liturgie politique spécifique capable de donner un sens de communion et de camaraderie aux masses.

Le fascisme reconnaît à l’économie une valeur instrumentale et subordonnée à la politique. Cela lui permet une absence de scrupules innée et un anti-dogmatisme marqué dans la recherche des solutions adaptées aux contingences. Cela ne signifie bien sûr, pas que toutes les recettes économiques soient équivalentes et équidistantes au cœur de la vision du monde fasciste. Lui sont d’ailleurs intimement liés : un fort interventionnisme étatique, un refus de la lutte des classes, la participation aux bénéfices et/ou à la gestion de la production par les travailleurs. Du point de vue identitaire, l’élément caractéristique du fascisme est le fait de se « poser le problème » des frontières, des origines, du destin du peuple sur lequel la révolution va opérer de manière créative. C’est-à-dire de se demander qui en fait partie et qui non, et comment agir sur lui sur la base de son propre projet politique. La révolution fasciste, en somme, a aussi un caractère anthropologique marqué en vue de la création d’un « homme nouveau ». Tous les rapports avec l’autre sont subordonnés à cette problématique de fond.

Breiz-Info.com : Comment un terme, qui revêt une réalité particulière a-t-il pu être à ce point galvaudé ?

Adriano Scianca : Comme l’a bien expliqué Giorgio Locchi, le fascisme a eu une fonction historique : en représentant l’émergence du « totalement autre » par rapport à toutes les idéologies égalitaires, il leur a rappelé leur parenté intrinsèque. C’est grâce au fascisme que l’égalitarisme arrive à sa synthèse, que les libéraux, les marxistes, les chrétiens se souviennent d’être frères, fils d’une seule et même souche. Cela signifie aussi que le fascisme est « nécessaire » au système égalitaire, parce qu’il en représente justement l’unique force légitimante. Il doit donc être éternellement évoqué.

Breiz-Info.com : Aujourd’hui encore, le mot est utilisé constamment. Il semble même être plus puissant que jamais. Comment s’explique une telle longévité selon vous ? Quels sont les pires crimes du régime fascistes qui peuvent expliquer une telle diabolisation ?

Adriano Scianca : La diabolisation du fascisme est basée sur les massacres de masse qui ont eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale, mais qui, malgré leur caractère incontestable et inexcusable, ont causé beaucoup moins de morts que le communisme, par exemple. Mais mon opinion est que le fascisme n’est pas détesté pour ce qu’il a fait aux morts, mais pour ce qu’il a fait aux vivants. Je veux dire que la vraie raison de la répulsion métaphysique que beaucoup ressentent envers le fascisme n’est pas tant basée sur la répression et les assassinats, mais sur les aspects « positifs », constructifs de ces régimes. C’est précisément le mode de vie, la conception globale du monde des fascistes qui est rejetée. La véritable faute qui est imputée aux fascistes n’est pas d’avoir fusillé quelques personnes, mais d’avoir fait marcher toutes les autres, d’avoir imposé une vision martiale, non-utilitariste, « héroïque » de l’existence. C’est cela qui est considéré comme intolérable.

Breiz-Info.com : A contrario, pourquoi le terme « fasciste » n’a pas du tout un caractère péjoratif pour beaucoup d’Italiens encore aujourd’hui  ?

Adriano Scianca : En Italie, un lieu commun très répandu dit : « Mussolini a fait aussi de bonnes choses ». Il s’agit évidemment d’une affirmation simpliste et vague (qu’est-ce que cela signifie, en politique, de faire « de bonnes »? « Bonnes » pour qui?), mais qui témoigne néanmoins d’un véritable sentiment populaire. Les raisons de ce phénomène ne sont pas difficiles à expliquer. Dans n’importe quelle ville italienne, même très petite, on trouve encore des traces de symbolisme fasciste. Sur les écoles, les mairies, les bureaux de poste, les égouts, les lampadaires. Ceci est significatif : dans de nombreuses régions d’Italie, le fascisme a coïncidé avec l’arrivée de l’État où il était auparavant absent. Rappelons ensuite que dans un pays à l’époque pauvre et paysan, de nombreux enfants ont vu la mer pour la première fois grâce aux institutions sociales du fascisme. On parle d’un régime misogyne et patriarcal, mais dans un pays où les jeunes femmes, dans de nombreuses villes, surtout dans le sud, ne pouvaient sortir de chez elles qu’accompagnées, le fascisme a donné la possibilité aux filles de faire du sport, de se libérer de la tutelle familiale, de se réapproprier de leur corps et de le montrer en public. Ce sont là de petites choses, mais qui marquent une population. Cela ne signifie évidemment pas qu’il y ait une grande partie du peuple italien qui soit prête à instaurer un régime fasciste demain matin. Cela signifie seulement que le jugement moral et métaphysique du fascisme comme « mal absolu » est un phénomène marginal, qui concerne quelques minorités intellectuelles.

C’est lorsque l’on évoque l’alliance avec l’Allemagne et de la guerre que le sentiment condescendant des Italiens envers le fascisme disparaît. Mais, là encore, nous pouvons nous demander s’il s’agit d’un jugement moral ou si l’on reproche à Mussolini d’avoir simplement perdu la guerre. Ce qui pourrait signifier que l’on lui reproche de ne pas avoir… été assez fasciste, c’est-à-dire d’avoir manqué aux qualités guerrières et conquérantes dont il se vantait.

Propos recueillis par Audrey D’Aguanno

Crédit photo : DR

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3 réponses à “« Fasciste ! » : itinéraire d’une insulte. Interview à Adriano Scianca”

  1. ld dit :

    L’article mentionne que Staline crea cette insulte. Il me semble qu’un point essentiel est oublie, cette insulte issue de la langue italienne avait l’avantage de ne pas contenir de reference au mot « Socialisme » a la difference de « Socialisme National » qui aurait pu encourager les cerveaux a reflechir.

  2. patphil dit :

    fachiste, néonazi, complotiste etc. aujourd’hui encore l’insulte voudrait remplacer par l’argument mais il semble que les gens n’y croient plus et c’est tant mieux

  3. Julien Rainaud dit :

    Tu contestes le réchauffement climatique anthropique, tu es un complotiste et un fasciste.
    Tu contestes la vaccination Covid tu es un complotiste , un ennemi de la nation et un fasciste.
    Tu contestes l’enseignement de la sexualité à l’école primaire, la théorie du genre, tu es un fasciste.
    Tu critiques l’immigration massive ruineuse et dangereuse tu es un fasciste.
    Tu critiques les « résistants » du Hamas qui tuent et violent, tu es un fasciste.
    Alors je suis content d’être un fasciste et j’emmerde tous ceux qui veulent me faire entrer dans le moule de la bien-pensance à commencer par la grande gueule d’antisémite de Mélanchon, par les écolos et tous leurs alliés de circonstance du Nouveau Front Populaire qui ne pensent qu’à la gamelle et au fauteuil.

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