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A la découverte des Saints Bretons. Le 11 juin c’est la St Majan

Nous vous proposons dans cette rubrique de découvrir l’histoire des Saints Bretons. Les saints bretons désignent des personnalités bretonnes vénérées pour le caractère exemplaire de leur vie d’un point de vue chrétien. Peu d’entre elles ont été reconnues saintes par la procédure de canonisation de l’Église catholique (mise en place plusieurs siècles après leur mort), mais ont été désignées par le peuple, leur existence même n’étant pas toujours historiquement attestée. La plupart des vitae de saints bretons qui nous sont parvenues datent en effet des ixe et xe siècles ou ont été réécrites dans le contexte de la réforme grégorienne qui induit parfois les clercs à remodeler les documents hagiographiques, issus de traditions orales transmises aussi bien dans le vieux fond populaire que dans le milieu savant, dans leur intérêt (légitimation de la figure épiscopale, du bien-fondé d’une réforme d’une communauté monastique). Le développement du culte de ces saints se développe au Moyen Âge tardif lorsque plusieurs familles de l’aristocratie bretonne s’approprient les légendes hagiographiques en justifiant par des arguments généalogiques, de la protection particulière d’un saint ou de son adoption comme ancêtre de substitution dans leurs lignages.

Les historiens actuels éprouvent encore beaucoup de difficultés pour distinguer entre imaginaire et réalité. L’historicité des épisodes de la vie de ces saints reste ainsi souvent douteuse car ces épisodes se retrouvent dans l’hagiographie tels qu’ils apparaissent dans les coutumes ou dans le folklore. La structure même du récit des vitae se rencontre dans d’autres Vies de saints dont les auteurs reprennent généralement des « conventions littéraires d’un modèle biblique qui façonnait leurs modes de pensée et d’expression ».

En 2022, environ 170 saints bretons sont représentés, chacun par une statue, à la Vallée des Saints, en Carnoët.

Le 11 juin c’est la St Majan

Né de Tudon au pays de Galles au 7e siècle, frère de Gouesnou et de Tudona, fonde un ermitage à Plouguin

L’auge de Saint Majan

Les Saints bretons dont les vies merveilleuses nous sont racontées par les auteurs anciens, étaient des hommes courageux et intrépides. Ils n’hésitaient pas à affronter une nature sauvage et austère pour civiliser et évangéliser. La grâce étaient en eux, leur permettant d’accomplir ou de révéler des choses surnaturelles. Mais une des choses les plus mystérieuses les concernant est leur arrivée en Armorique. Ne dit-on pas qu’ils traversèrent la Manche dans des auges en pierre!

Comme tant d’autres, Majan utilisa ce moyen pour venir du lointain Pays de Galles. Ne me demandez pas comment il se tenait dans cette embarcation rudimentaire, ni comment il la propulsait et la guidait. Avait-il une rame, ou dressait-il une voile dans le vent de l’Iroise ? Nul ne le sait. Pourtant, sans nul doute, ces hommes aux talents mystérieux, faisaient confiance à leurs bateaux de pierre dont certains ont longtemps été vénérés, là même ou les Saints les avaient laissés en débarquant.

Majan débarqua d’abord à Brest. Bientôt il reparti vers l’ouest, longeant la côte, en quête d’un site isolé où il pourrait vivre plus loin des biens terrestres, donc plus près de Dieu. Il contourna la pointe Saint-Mathieu, remonta vers le nord, hésita entre les îles désolées et le continent, pour finalement s’engager dans le second Aber dont l’aspect lui parut propice à l’exaltation de l’âme. Non loin d’une rivière qui se jetait dans l’aber, il rencontra une source et décida que c’était là qu’il vivrait le reste de ses jours. Il bâtit un ermitage, aménagea une fontaine, construisit une chapelle et donna à ce lieu de paix le nom de Lokmajan .

Les années passèrent. La présence du Saint bénit la source qui révéla bientôt des qualités surprenantes. Son eau soulageait bien des maux, surtout les douleurs de l’âme. Aujourd’hui encore, la source fortifie et guérit les nombreux malades qui viennent avec ferveur chercher ici consolation; mais autrefois, si proche de Majan, ses vertus étaient beaucoup plus puissantes.

Quand Saint Majan mourut, son corps fut mis en terre sous le coeur de sa chapelle. Près de là son vaisseau de pierre fut utilisé pour aménager la fontaine guérisseuse. L’eau joyeuse sautait du rocher, se reposait un instant dans la belle vasque où les malades venaient puiser, puis s’écoulait rapidement dans la mer toute proche.

Les années, les siècles s’écoulèrent lentement. C’est ainsi que le temps avait autrefois l’habitude de s’écouler.

Quand les hommes du nord apparurent, ce coin d’Armorique leur plut. Ils voulurent en chasser les Bretons, et établirent un camp près de la fontaine de Lokmajan. A cette époque, la fontaine avait encore le pouvoir de guérir, sans doute la vieille auge y était-elle pour quelque chose. Et puis en ce temps là, la foi pouvait encore remuer des montagnes. Malgré l’occupation étrangère de toutes les terres autour de l’Aber, le peuple breton continuait à venir, en prenant de grands risques, solliciter la grâce de Saint Majan. Les Vikings, païens cruels, en prirent ombrage et détruisirent la fontaine. L’obscurité normande dura un siècle. Puis les Vikings cessèrent leur raids dévastateurs. Quelques-uns étaient restés et avaient fondé un foyer avec des femmes de chez nous. Ils s’étaient civilisés. Beaucoup étaient repartis vers leur lointaine patrie.

L’ordre régna de nouveau, avec des forts et des faibles, des riches et des pauvres.

Le seigneur de Pen Ar van avait deux enfants. Elsa, sa fille aînée était belle et intelligente. Sesni, son fils était malade et chétif. C’était un enfant intelligent, en qui son père mettait tout son espoir pour lui succéder. Mais sa santé fragile laissait craindre que le château resterait sans héritier mâle, ce qui le ferait alors tomber aux mains de la famille voisine des seigneurs de Trouzilit, des vauriens, des fainéants, des profiteurs.

De nombreux médecins du Léon, de Brest, et même de Cornouaille avaient été appelés au chevet de l’enfant. Tous les guérisseurs d’Armorique avaient été consultés, ainsi que de nombreux mages, imposeurs de mains, cartomanciens, devins et astrologues.

Mais le mal inexorable semblait hors d’atteinte de tous leurs pouvoirs.

Passant un jour par le moulin de Pont-Ours, triste et fatigué, le seigneur de Pen Ar van s’arrêta près du bief. Des enfants jouaient en chantant une ancienne complainte:
« Dans leurs vaisseaux de pierre
Ils navigaient naguère
Les Saints de nos aïeux
Majan était l’un d’eux
Celui qui souffrait
Celui qui pleurait
Auprès de lui venait
A sa source il se baignait
Et ses maux s’en allaient »

Il écouta un moment puis questionna une fillette
« -Je ne connais pas votre chanson, Qui est Majan?
-Majan est mort il y a longtemps. Grand mère dit que sa source avait autrefois un grand pouvoir de guérison. Malheureusement, l’auge a été perdue. Si on la retrouvait ce serait un grand bonheur pour tous, car Majan nous protégerait de nouveau de biens des maux. »

Le seigneur alla visiter l’ancêtre, vieille femme toute pliée en deux. Elle confirma les propos de l’enfant, ajoutant que ce serait une grande chance pour tous si un puissant seigneur se lançait dans cette quête formidable: la recherche de l’auge perdue.

Dès le lendemain, le seigneur de Pen ar Van se mit à explorer le bord de la rivière. Bien sûr, il ne vit rien qui ressemblât de près ou de loin à un vaisseau de pierre. Cela aurait été trop facile.

Les grands arbres qui se penchaient sur l’eau s’agitaient dans le vent. On aurait dit qu’ils avaient quelque chose à dire. Certains étaient déjà là quelques siècles plus tôt et avaient été les témoins secrets de la profanation. Ils semblaient insister, bruissant sans relâche, mais personne ne comprenait leur message.

Le seigneur se dit que s’il trouvait un homme capable de parler aux arbres et de les comprendre, il retrouverait l’auge de Majan. Aujourd’hui, plus personne ne comprend le langage des animaux, des plantes ou des objets. Il n’en était pas de même autrefois. Au fond de certaines forêts, au coeur de certaines landes, ou au flanc de montagnes solitaires, vivaient des êtres à demi sauvages, seuls au milieu d’une nature encore jeune, et pour qui tout ce qui les entouraient étaient source d’échanges et de dialogues.

Le seigneur de Pen ar Van se mit en route vers l’Arrée. Prés des pitons désolés au dessus du Relecq, il trouva un ermite vivant dans une drôle de cabane en ardoises. Il lui expliqua son affaire. L’ermite lui dit qu’il connaissait le langage des pierres, si nombreuses alentour, mais pas celui des arbres car il n’y en avait pas en ce lieu. Il lui conseilla de continuer sa route vers le sud où se trouvaient d’autres montagnes, couvertes d’arbres, où vivait un de ses amis.

Il dirigea ses pas vers les Montagnes Noires, s’enquit auprès des paysans du lieu de l’endroit où vivait l’ermite, et trouva bientôt sa hutte. L’habitation était entourée d’oiseaux qui s’envolèrent à son approche. L’homme le reçut et l’écouta attentivement, mais il lui expliqua que s’il pouvait comprendre et parler aux oiseaux, aux grillons et même aux poissons, par contre, il ignorait le langage des arbres et des plantes. Il lui conseilla d’aller consulter son maître dans la forêt d’Huelgoat.

Le maître vivait sous des roches cyclopéennes dans la forêt. « Je suis l’ami des arbres » dit-il « Je comprends le langage des pins, des saules et des chênes. Ici ils me parlent d’autrefois, du temps qui passe. Ils me racontent tout ce se passe dans la forêt. Mais si je m’avance où vivent les hommes, les arbres crient et pleurent sous les coups de haches ou dans les flammes. Pourtant, s’il le faut j’irai avec toi au pays des Abers. J’irai questionner les plus vieux des arbres qui ont vu les hommes, encore eux, détruire l’oeuvre du saint et dissimuler son vaisseau de granit.. Mais il faut me promettre une chose: plus jamais tu ne devras abattre ou utiliser un arbre vivant, que ce soit pour la construction ou pour faire du feu ».

La condition ne paraissait pas trop dure. Le Seigneur de Pen ar van n’hésita pas. Solennellement il jura de ne plus blesser ni tuer arbre ou arbuste durant toute sa vie.

« Si tu oublies ta promesse lui dit le sage, ne passe plus jamais sous un arbre, ou près de lui, il t’arriverait un malheur. »

Quand le Seigneur revint à Pen ar van, cela faisait déjà un mois qu’il était parti. Son enfant ne pouvait presque plus se lever. Il respirait difficilement, l’issue semblait prochaine.

A la tombée de la nuit on guida le vieux sage jusqu’à la chapelle de Lokmajan, puis il demanda qu’on le laissât seul. La nuit passa, puis le jour, et encore une nuit. L’impatience des gens du château était à son comble, d’autant plus que l’état de l’enfant semblait s’aggraver doucement. Enfin, l’ermite revint « Prenez des pioches et des pelles » dit-il. « Si j’ai été si long, c’est que les arbres voulaient d’abord me raconter tout le mal que les gens d’ici leur font. Ils ont tant à raconter ! Mais les arbres ne sont pas rancuniers, ils acceptent d’aider les hommes, espérant un jour gagner leur amitié ». Il les guida ensuite vers le bord de l’aber Benoît et il leur montra l’endroit où ils devraient creuser, dans le lit de la rivière. Les pioches rencontrèrent bientôt un rocher, mais quand il fut dégagé, il apparut que c’était en fait une auge effilée, posée à l’envers. Les hommes remontèrent l’objet volumineux près de la chapelle. Avec des bottes de paille, une charrette fut rapidement aménagée pour permettre de transporter l’enfant devenu si fragile. Bientôt, un étrange cortège se mit en route, alors que partout alentour, à Castellouroup, au Quinquis, à Meznaot, à Kerboulou et ailleurs, dès qu’ils entendirent parler de l’auge de Majan, les gens se dirigèrent vers Lokmajan pour aller la voir.

Une cérémonie fut bientôt organisée. On avait transporté quelques seaux remplis de l’eau de la fontaine que l’on avait versée dans l’auge. Alors que la foule se rassemblait en groupes de plus en plus nombreux dans l’enclos et sur les pentes escarpées qui dominent la chapelle, la charrette s’arrêta près de l’auge. Le seigneur de Pen ar Van prit son fils dans ses bras et l’assit au bord du vaisseau de pierre, les pieds dans l’eau. L’enfant rit en remuant les orteils, car l’eau était froide. Le rire léger s’éleva dans le silence recueilli de la foule étonnée. C’était un présage favorable. Le seigneur émerveillé d’entendre ce son merveilleux, presque oublié de sa maison, s’exclama: « Gloire à Dieu, gloire à Majan, mon fils va guérir ». De la foule enthousiaste s’éleva une grande clameur.

Le sage de Huelgoat se pencha sur l’enfant. Il proposa de le remettre sur le lit de paille pour pouvoir l’examiner. Il était un peu guérisseur et savait l’usage des plantes.

Après l’examen soigneux, il se tourna vers le père et lui dit: « Votre fils va guérir. Pour aider à le fortifier contre la maladie et hâter sa guérison, je vous apporterais demain un remède souverain ».

Pendant plusieurs semaines, l’enfant dut avaler une potion amère. Des couleurs réapparurent sur ses joues pâles, ses forces revinrent. Il guérit.

L’auge de Majan fut de nouveau scellée sous le jet de la source, et longtemps encore on puisa son eau pour guérir les malades. Ceux qui le pouvaient venaient y plonger les pieds et riaient de la trouver si froide.

Quelques siècles plus tard, de cette histoire véridique il ne restait qu’une croyance, celle d’une banale fontaine miraculeuse. Un seigneur de la région décida de vendre tous les arbres entre le moulin de Meznaot et Lokmajan pour construire les bateaux du roi. Une nuit de tempête, l’arbre le plus ancien, un chêne de 600 ans s’abattit sur la fontaine, brisant l’auge de Majan. Il restait une belle pierre, elle fut amenée au bourg, au Prat. On l’utilisa pour aménager le dessus d’un nouveau puits qu’on venait de creuser.

Photo : DR

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