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Ukraine : l’escalade suicidaire

Le sort des armes est défavorable à l’Ukraine. La défaite est inscrite dans les faits. L’inquiétude des Occidentaux transparaît dans leurs commentaires. Selon Richard Haass, président honoraire du Council on Foreign Relations, l’Ukraine devrait tout à la fois attaquer la Russie sur son sol et négocier un cessez-le-feu avec Moscou ce qui semble quelque peu contradictoire. Loin d’amener les Russes à la table de négociation, ces attaques génèreront une réaction de leur part d’autant plus violente qu’ils connaissent la provenance des missiles utilisés. Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale, souhaite que l’Ukraine lance une contre-offensive. Cette proposition est irréaliste compte tenu de l’état de l’armée ukrainienne. Cette inquiétude américaine frise la panique en Europe où le premier ministre slovaque, Robert Fico, a été victime d’un attentat en raison de sa décision de ne plus financer l’Ukraine. Tout aussi grave, mais sur un autre registre, les médias ne cessent d’alarmer l’opinion sur une invasion de l’Europe – invasion qui ferait suite à la défaite de l’Ukraine. La Russie n’a ni l’intention ni les moyens d’envahir l’Europe. En décembre 2021, Moscou a envoyé un projet d’architecture européenne de paix à Washington et à Bruxelles. Les Occidentaux se sont bien gardés d’y donner suite. Quant à l’Ukraine, nous connaissons les objectifs russes : démilitarisation, dénazification et neutralité.[1] Ces rumeurs infondées de guerre et d’invasion créent un climat anxiogène qui laisse présager un futur cataclysmique. Au vu de ces évènements, la question qui se pose est comment va évoluer le conflit ? La réponse se trouve dans la politique étrangère des Etats-Unis.

Priorité à l’arme atomique

Premiers détenteurs de l’arme atomique depuis août 1945, peu désireux de sacrifiés les « boys » dans une guerre avec l’Union soviétique, et conscients du coût de l’entretien d’une armée comparable à celle de l’Armée rouge, les Etats-Unis ont donné priorité à l’arme atomique dès la fin de la Second Guerre mondiale. Voilà pourquoi dans une guerre conventionnelle en Ukraine, l’armée américaine serait anéantie ce que les militaires savent mais que les politiques ignorent car « dépourvus de tout sens de la réalité ».[2] Les « boys » ne seront donc pas envoyés en Ukraine d’autant que le public américain comprendrait mal ce que leurs enfants ou petits-enfants iraient faire dans un pays lointain. Après l’humiliant retrait d’Afghanistan, et celui du Niger, tout aussi humiliant mais moins médiatisé, une défaite en Ukraine serait un désastre pour l’empire américain – désastre qui doit être évité à tout prix.

L’escalade dominante

Une opinion largement répandue veut que la supériorité nucléaire américaine n’ait jamais fait partie de leur panoplie diplomatique. Cette opinion est contredite par les faits. Une interview de Richard Nixon parue dans Time Magazine en juillet 1985 le confirme. Le président rappelle que cette arme joua un rôle décisif en Corée, dans la crise de Suez de 1956 et celle de Berlin en 1959. Il considéra l’utiliser lors de la guerre israélo-arabe en 1973.[3] Les Etats-Unis ont souvent menacé des nations du tiers-monde de l’arme atomique afin d’obtenir leur allégeance. Les Américains appellent cette politique « Escalation Dominance », ou escalade dominante. Elle repose pour partie sur une escalade de la violence et pour partie sur le bluff à l’image de ce que fit Hitler en Rhénanie ou en Tchécoslovaquie – c’est la « Stratégie de l’ambiguïté »,[4] aussi connue sous l’expression : « théorie de l’Homme fou » (Madman) quand Richard Nixon l’utilisait au Vietnam.

Les Etats-Unis ont la capacité d’escalader un conflit au plus haut niveau de violence, c’est-à-dire jusqu’à la guerre nucléaire. Cet exercice étant potentiellement suicidaire, les dirigeants américains ont trouvé la parade dans la miniaturisation de l’arme nucléaire et la stratégie de l’ambiguïté. Les dirigeants américains menacent la nation récalcitrante d’utiliser des armes nucléaires dites conventionnelles, suffisantes pour fragiliser la nation sans cependant la rayer de la carte. L’attitude en apparence irrationnelle des dirigeants américains traumatisent les dirigeants nationaux qui cèdent au chantage.

Pragmatisme américain

Dans la vision géopolitique américaine, les traités de non-prolifération nucléaire, salués par les médias comme une avancée vers une paix pérenne, ne sont que des accessoires, rejetés dès qu’ils interfèrent avec les objectifs de l’empire. Ainsi, George W. Bush se retira-t-il du traité antibalistique de mai 1972 afin d’installer des missiles antibalistiques en Roumanie au motif qu’ils décourageraient l’Iran d’attaquer ses voisins, alors que leur objectif est de détruire les missiles balistiques russes en cas de conflit nucléaire. De la même manière, Donald Trump dénonça le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire de décembre 1987 afin de placer de tels missiles sur le pourtour de la Chine.[5] Bien évidemment, ni les Russes, ni les Chinois ne sont dupes de ces tactiques. Au vu de ces évènements, il est logique de penser que Washington a réfléchi à l’utilisation de l’arme nucléaire en Ukraine.

La guerre des étoiles

Les Etats-Unis disposent d’un glaive et d’un bouclier, c’est-à-dire de missiles intercontinentaux et de satellites. Alors que les premier visent à détruire les bases nucléaires russes dans une première frappe, les seconds sont destinés à contrer la réaction russe en détruisant leurs missiles au décollage. Présenté comme arme défensive par Ronald Reagan en mars 1983, ce système satellitaire, populairement connue sous l’expression « guerre des étoiles », est en fait une arme offensive qui protège les Etats-Unis d’une contre-attaque russe. Elle permet donc d’envisager une première frappe qui mettrait fin au conflit en détruisant la Russie. Une telle victoire aurait un coût humain. Environ trente millions d’Américains seraient tués car le système satellitaire, aussi efficace soit-il, ne détruirait pas tous les missiles russes lancés en réponse à l’attaque américaine. Le chiffre de trente millions de morts est jugé acceptable par les experts.[6]

Ne disposant pas de « bouclier » et connaissant les intentions américaines, les Russes ne peuvent qu’être tentés de frapper les premiers. Quelle est la ligne rouge à ne pas franchir qui justifierait cette décision, si elle l’était par les Occidentaux ? A ce point du conflit, le risque d’embrasement est élevé. L’Ouest sous-estime la détermination des Russes d’atteindre leurs objectifs. Des MIG31ig-35 équipés de missiles hypersoniques Kinzhals porteurs de bombes nucléaires de 5 kilotonnes, faisaient récemment des exercices d’entraînement auprès de la frontière ukrainienne, adressant ainsi un message à l’Occident.

Aux origines du conflit

La guerre en Ukraine n’a pas commencé en février 2014, comme l’écrivent les médias, mais en octobre 1853 quand une coalition dirigée par la Grande-Bretagne s’opposa à l’expansionnisme russe. Une rivalité naquit alors entre deux empires que l’émergence d’un troisième atténua le temps de la Première Guerre mondiale. La rivalité était profonde. Elle fut exacerbée par les écrits d’un géographe, Halford Mackinder, qui en 1904 crût voir dans le développement du chemin fer un renforcement de la puissance russe qui nuirait à l’empire britannique. L’empire américain qui supplanta l’empire britannique en 1945, reprit à son compte cette vision du monde – vision qui impliquait l’asservissement de l’Union soviétique. La rivalité entre ces deux empires qu’Alexis de Tocqueville avait annoncé dès 1840, n’a pas lieu d’être. Ce chemin de fer qui inquiétait tant Halford Mackinder, pourrait être un lien entre les Etats-Unis et la Russie, comme l’explique William Gilpin dans un livre publié en 1890 : « The cosmopolitan Railway ». Un chemin de fer reliant les Etats-Unis à la Russie serait profitable aux deux nations. Le vice-président des Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, Henry Wallace, adhérait à cette théorie à laquelle Franklin Roosevelt n’était pas insensible. Le sort voulu que Roosevelt mourut trop tôt et que la convention démocrate préféra Harry Truman à Henry Wallace.

Un conflit apocalyptique

Ce conflit entre Est et Ouest n’a pas cessé depuis 1853, et explique pour partie la guerre en Ukraine. Le sénateur Lindsay Graham qui conseille à Israël de larguer des bombes nucléaires sur Gaza,[7] pourrait terminer ses discours par cette phrase célèbre qui concluait ceux de Caton le censeur il y a deux mille deux cents ans : « et Carthage sera détruite », sauf qu’il ne s’agit plus de Carthage mais de Moscou. C’est tout le sens de la guerre en Ukraine – une guerre dont la nature dicte le dénouement. Sa conduite échappe aux protagonistes. Du point de vue russe, la guerre en Ukraine est une guerre civilisationnelle. Une défaite signifierait le démembrement de la Russie sa disparition de la planisphère – inacceptable pour l’élite russe.[8] [9] Du point de vue américain, la, guerre en Ukraine est une guerre hégémonique dont l’objectif est la domination du monde. Une défaite américaine signifierait la fin de ce rêve – inacceptable pour les néoconservateurs.[10] [11] [12]

Une guerre qu’aucun des deux adversaires ne peut perdre. En l’absence d’autorité morale, politique ou religieuse, ou d’un évènement fortuit susceptible d’y mettre fin, cette guerre annonce la fin des temps. En 1946, Albert Einstein déclara que l’atome avait tout changé, sauf nos modes de pensée, et qu’en conséquence nous nous dirigions vers une catastrophe sans précédent.

Jean-Luc Baslé

[1] Discours du Président de la Fédération de Russie, 24 février 2022

[2] L’armée américaine serait anéantie en Ukraine. La Cause du peuple, 10 mai 2024.

[3] To win a nuclear war (p. 7).

[4] Gilles Andréani, professeur affilié à Sciences Po, se fait l’avocat de cette méthode dans un récent article intitulé : « Ukraine, troupes au sol, ambigüité stratégique : il faut mettre fin à la désunion occidentale », telos, 22 mai 2024.

[5][5] With allies, the U.S. builds a military arc. New York Times, 16 mai 2024.

[6] To win a nuclear war (p. 23).

[7] Un sénateur américain dit qu’Israël devrait larguer des bombes nucléaires sur Gaza. Greenville Post. 14 mai 2024.

[8] Discours de Vladimir Poutine le Septembre 21, 2022.

[9] Conférence de presse Sergey Lavrov du 18 mai 2024.

[10] The American Century, Henry R. Luce, Life magazine, 17 Février 1941.

[11] Defense Planning Guidance, Paul Wolfowitz, Février 1992.

[12] Project for a new American Century, Robert Kagan & co. 1997.

Crédit photo : Domaine public (photo d’illustration)
[cc] Breizh-info.com, 2024, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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8 réponses à “Ukraine : l’escalade suicidaire”

  1. Gaï de Ropraz dit :

    Un bon article, doublé d’une bonne analyse.

    Rappelons pour le lecteur que la Russie n’a ni l’intention ni les moyens d’envahir l’Ukraine et l’Europe. Et tout autant, que cette guerre fratricide n’est due qu’à la monumentale connerie de Biden qui s’était pris au jeu, espérant pouvoir placer ses fusées aux portes du Kremlin…

    Il va sans dire que l’arrivée de Trump aux affaires remettra les choses en place.

  2. René dit :

    Hello : Raison de plus pour aller voter le 9 juin prochain contre la Macronie qui prône cette guerre en Ukraine en choisissant un bulletin de vote pour une liste qui prône la sortie de l’OTAN, la paix, et la prospérité en Europe. Electeurs électrices : faites votre choix en toute connaissance de cause si ce n’est fait ; je vous invite, donc, à lire tous les programmes que vous allez recevoir dans vos boîtes aux lettres et à aller sur les sites pour confirmation ; quant à moi, je choisis déjà celle des Patriotes mais il y a aussi celle de l’UPR que je respecte malgré tout… Salut et bon dimanche de fête des mères.

  3. de la Tour dit :

    A voir les réponses à cet article j’ai l’impression d’être le seul avec vous de savoir lire
    Tout à fait d’accord avec vous
    Un accord est toujours plus profitable qu’un procès (il y a un juge ) qu’une guerre et là il n’y a pas de juge

  4. Gaï de Ropraz dit :

    T’affole pas, « de la Tour ». Il n’y aura pas de guerre.

    Comme je l’ai dit et écrit (Et apparemment tu sais lire…) il n’y aura pas plus de guerre que de Biden dans les parages … Et l’Ukaine (qui vient du mot russe « Ukraïne » qui veut dire dans le coin) restera sous l’oeil vigilent des Russes.

  5. Gaï de Ropraz dit :

    Dear de la Tour, il n’y a ni juge , ni procès.
    Bien qu’il soit fort tard en Europe (J’ai 6 heures de decallage avec vous) sache Dear de la Tour, que l’Ukraine étant un territoire Russe (UKraine, et je le répète, vient du mot Russe « Ukraïne » qui veut dire « Dans le coin » (Merci de comprendre : « Dans le coin de la Russie ») est une territoire Russe au départ. Le reste, c’est un peu de politique, et beaucoup de blah, blah, blah …

  6. patphil dit :

    si les accords de minsk avaient été respectés, et que l’ukraine avait signé les accords de turquie, des milliers de jeunes seraient encore en vie, l’otan et les usa sont mes meurtriers les occidentaux complices

  7. kaélig dit :

    Quel gâchis…Moi qui rève d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural!
    Certains jours, je me demande s’il n’eut pas mieux valu qu’Adolf ou Joseph Staline gagne la Guerre 39/45…Certes après des débuts difficiles, il n’est pas certain qu’ils traitassent les peuples conquis en esclaves.
    Une anecdote que vous ne verrez jamais sur internet ou ailleurs racontée par le célèbre chroniqueur judiciaire Frédéric Pottecher relatant sa vie sur une émission de France 3:: »En octobre 1941, Hitler décide de libérer tous les prisonniers de guerre Corses, Basques et Bretons « car ils ne sont pas Français » »…Je ne peux pas me tromper, j’ai vu le reportage retransmis 3 fois.
    Eh bien la Grande Europe, c’est foutu pour longtemps à la grande satisfaction des anglo-saxons, Angleterre et USA. Nous auront droit à une UE croupion satellite des US, une Europe sans ressources énergétiques et minières, ouverte à la submersion du Tiers Monde et dont le économistes prévoient que son PIB atteindra le 1/3 de celui des USA en 2070 malgré une population supérieure de 100 M.
    d’hab. Poutine peut encore faire la guerre pendant 10 ans, il en a les ressources pour 1 siècle.

  8. mouchet dit :

    Article intéressant mais devant le fait accompli de l’actualité l’occident s’abstiendra et pour cause la Russie et ses alliés les BRICS 75% de l’humanité ne se laisseront pas conter fleurette par la faillite des USA. Ce conflit est avant tout que la Russie Chine Inde pour les principaux contournent le dollars. Le rêve des USA d’affaiblir et peut être envahir la Russie tient du rêve des imbéciles. La Russie a autant d’armes nucléaires d’immenses sous marins indétectables et d’armées plus que quiconque 4 millions de militaires avec un allié de poids la Chine.Les USA ramasseraient une râclée mémorable partout dans le monde malgré leur armada. La dédollarisation du dollars à 100% en échanges commerciaux commence à peser lourdement sur la masse monétaire du dollars. La suite économique de ses dettes de plus de 50’000 milliards irremboursables risque bien d’inverser totalement la situation économique irréversible.

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