Kate Forbes et le fragile pluralisme écossais

Aodán Hill est un étudiant en politique et relations internationales originaire du Royaume-Uni. Il a écrit ce texte (en anglais) au sujet de la situation politique en Ecosse. Nous vous en proposons sa traduction ci-dessous.

Il y a un peu plus d’un an, une rare colère politique a éclaté en Écosse, un pays dont la politique est plutôt bipartisane et simple. Dans un camp se trouvent les nationalistes, qui soutiennent la séparation de l’Écosse du Royaume-Uni et son rétablissement en tant qu’État indépendant. L’autre camp est constitué des unionistes, qui s’y opposent. Lorsque l’un des camps connaît des difficultés internes, l’autre en profite pour marquer des points politiques à bon compte. Mais la démission soudaine du premier ministre et la course à la direction du Parti national écossais (SNP) de centre-gauche qui s’en est suivie ont changé la donne. La jeune ministre des finances, Kate Forbes, s’est présentée face au controversé ministre de la santé Humza Yousaf et à la féministe Ash Regan, très critique à l’égard des questions de genre.

Forbes a annoncé sa campagne deux jours après Yousaf et Regan, de retour d’un congé de maternité après la naissance de son enfant. Elle s’était forgé l’image d’un visage neuf et sensé pour le parti. Elle était une jeune mère et parlait le gaélique dans les Highlands. Mais une attaque coordonnée a été lancée contre elle avant même qu’elle ne dévoile son intention de se présenter.

Elle était fondamentaliste. Une bigote. Une homophobe. Une représentante de l’extrême droite. Certains ont même dit qu’elle était soutenue par la droite américaine. Il est vrai que Forbes est à la droite du Parti national écossais, mais le SNP est un parti de centre-gauche, et cette « droite » n’est pas plus à droite que ne l’était Tony Blair. Néanmoins, il est important de se demander pourquoi elle a été étiquetée de la sorte. La réponse est simple : c’est une chrétienne et, fait unique dans la politique britannique, c’est une chrétienne qui n’a pas honte de sa religion, de ses croyances ou de son identité.

Forbes est membre de l’Église libre d’Écosse, ou Wee Frees. Il s’agit de presbytériens conservateurs et, à ce titre, elle adhère à leurs convictions morales. Elle estime que les relations sexuelles extraconjugales sont répréhensibles, que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme et que l’avortement est une erreur. En d’autres termes, ses convictions morales sont conformes à celles du christianisme. Elles sont enracinées dans les Écritures, dans les écrits des premiers chrétiens tels que la Didaché et ceux des Pères, ainsi que dans les ancêtres de la tradition réformée. Il est important de noter que Mme Forbes n’a jamais tenu à faire campagne sur ces questions. Elle n’a exprimé ses convictions morales personnelles que lorsqu’un journaliste l’a interrogée à ce sujet. Elle a même tenu à préciser qu’elle ne les imposerait pas à l’ensemble de la société.

Et pourtant, cela n’a pas suffi à ceux qui prêchent la tolérance et le pluralisme. Le libéralisme progressiste a toujours été sous-tendu par un totalitarisme latent. Il est devenu trop fatigant de le souligner, mais la réaction des libéraux progressistes lorsqu’ils sont confrontés à des visions du monde divergentes ne ressemble pas à celle d’un individu éclairé et ouvert d’esprit qui valorise un « marché des idées » diversifié. Elle ressemble plutôt à celle de Carl Schmitt et à sa conception ami-ennemi de la politique. Pour Schmitt, la politique est le champ de bataille entre l’« ami » et l’« ennemi ». L’ennemi politique n’a pas besoin d’avoir tort, d’être une mauvaise personne, ni même d’être un concurrent. Il suffit que l’ennemi soit un « étranger » et, à partir de là, l’ennemi est traité comme s’il était mauvais.

Mme Forbes a choisi de s’écarter de l’orthodoxie progressiste. Elle ne l’a pas contestée, elle s’est contentée d’être en désaccord avec elle et est allée jusqu’à dire qu’elle ne la remettrait pas en question. Et pourtant, cela n’a pas suffi à rassasier la soif de sang de ses ennemis politiques. Cette exigence de soumission n’est pas nouvelle pour le libéralisme progressiste. Les révolutionnaires français exigeaient la loyauté de l’Église et persécutaient violemment ceux qui ne s’y engageaient pas, même s’ils ne résistaient pas activement. Le théoricien libéral Karl Popper, lui-même critique du totalitarisme, a affirmé que la « tolérance illimitée » ne profiterait qu’aux intolérants et que tout véritable partisan de la tolérance devrait être intolérant à l’égard de ceux qui le sont. Il s’agit d’une croyance raisonnable qui favorise l’auto-préservation, et je serais heureux de supposer qu’il existe des preuves empiriques à l’appui de cette affirmation. Mais il ne s’agit pas tant d’un paradoxe que d’un habillage de la véritable nature du libéralisme progressiste.

Il s’agit d’une tradition idéologique qui, comme toute autre, a un ensemble de croyances morales qu’elle souhaite promouvoir. En termes d’engagement positif envers un idéal substantiel, il n’y a pas de différence entre l’homme politique conservateur chrétien qui souhaite légiférer contre les droits des homosexuels et le libéral progressiste qui souhaite légiférer en leur faveur. On peut discuter de la question de savoir si leur législation est bonne ou vraie, mais il n’y a pas de différence fondamentale dans la forme de leur acte. Tous deux légifèrent sur leurs convictions morales et pourtant, de nombreux libéraux progressistes prétendent le contraire, que leur législation transcende en quelque sorte la moralité.

Lorsque je condamne le libéralisme progressiste, je m’en prends à cette tradition spécifique et non à la tradition libérale dans son ensemble. Ce que le libéralisme progressiste menace, c’est le pluralisme, un principe nécessaire à l’existence et à la préservation d’une société libre. Les démocrates occidentaux de tous bords sont fiers de la nature pluraliste de nos démocraties, où des hommes et des femmes de tous horizons peuvent apporter leurs idées, même si elles dépassent les bornes. La tradition démocratique chrétienne à laquelle j’adhère, et qui a tant fait pour reconstruire la démocratie dans l’Europe d’après-guerre, est fière de son engagement en faveur du pluralisme. C’est grâce au pluralisme que la démocratie peut le mieux assurer une gouvernance propice au bien commun, non seulement pour une classe, un sexe, une religion ou les résidents d’une zone géographique, mais pour l’ensemble du corps politique.

C’est pourquoi, en tant qu’Écossais, voir nombre de mes compatriotes sombrer dans la fureur à cause des convictions morales de Kate Forbes me préoccupe grandement. L’assaut renouvelé contre elle à la suite de la démission de Humza Yousaf risque de plonger le pays, déjà divisé par l’appartenance religieuse, la classe sociale et la politique, dans un chaos encore plus inutile. Si quelqu’un souhaite contester Kate Forbes en raison de son « conservatisme économique », qu’il le fasse ! Si l’on souhaite exprimer un désaccord avec elle sur ses convictions morales, c’est son droit. Mais l’idée selon laquelle le simple fait d’avoir ces convictions morales la rend inapte à exercer une fonction équivaut à dire que tout chrétien orthodoxe pratiquant ne devrait pas exercer de fonction.

Pour que la démocratie écossaise prospère à l’avenir, nous devons nous accrocher fermement à une conception du pluralisme selon laquelle tout Écossais, quelle que soit sa religion ou son absence de religion, peut participer à notre démocratie et être traité sur un pied d’égalité. Notre discours politique doit se concentrer sur la politique, celle qui a un effet tangible sur le peuple écossais, et non sur des opinions personnelles qui n’auront aucun effet.

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2 réponses à “Kate Forbes et le fragile pluralisme écossais”

  1. NEVEU RAYMOND dit :

    Tiens aucun commentaire…rien à dire chez les bavards habituel.le.s??? Pourtant les gens dûment diplômés de l’Université pourraient répondre…1295 Pacte d’Alliance France-Ecosse jamais vraiment remis en cause. Ecoutez FLOWER of SCOTLAND divin!

  2. patphil dit :

    « un individu éclairé et ouvert d’esprit qui valorise un « marché des idées » diversifié. » !!! et les écossais ont élu premier ministre un pakistanais musulman antiblanc…

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