Cette série se propose de confronter aux exigences de la dégustation, des vins qui tiennent une place à part dans le patrimoine et l’imaginaire des grands vins du monde. Ainsi, les candidats retenus, sont des vins de haute stature, dont la personnalité s’est durablement installée dans l’histoire récente du vin, grâce à leur caractère intemporel, quasi indémodable.
Inutile cependant d’y inclure des vins de haute spéculation, à l’instar des Premiers Grands Crus classés du Bordelais, un vin de légende n’est pas nécessairement une bouteille s’abritant derrière un prix astronomique.
Ils revendiquent avant tout une part de l’histoire culturelle du vin, en étant les dépositaires d’un style unique, presque idiosyncrasique*. De fait, ils incarnent une expression singulière d’un terroir que tout amateur désireux de s’édifier à la culture universelle du vin, se doit d’intégrer dans ses références.
Par conséquent, si leurs tarifs demeurent significatifs, certains vins de légende n ’en restent pas moins accessibles : entre 30 euros et 100 euros maximum. J’entends déjà les cris d’orfraie, s’agissant de vins dépassant les 30 euros et la longue litanie des contre-propositions moins dispendieuses…
Devançons les indignations en rappelant que la culture d’un connaisseur en vins ne se forge pas que sur les » bonnes affaires ». Comme pour les Humanités, elle se doit d’intégrer des « classiques », dont la valeur se jauge aussi à l’aune de leur influence et de leur rôle tenu dans le monde et l’histoire du vin.
Leur dégustation participe d’une démarche plus haute que la recherche du bon rapport qualité/prix, elle permet en outre, d’appréhender la diversité du génie de la vigne qui prospère dans les 4 coins du monde.
D’ailleurs, certaines dégustations se solderont sans doute par quelques mécomptes voire de franches déconvenues, j’en ferai état avec honnêteté, mais quoi qu’il en soit, le résultat décevant d’une dégustation ne saurait remettre en question ce statut de vin de légende qui s’est édifié sur plusieurs décennies.
L’histoire de ce vin : L’enfant terrible du Margaux
Dès ses débuts, la propriété de Bel Air Marquis d’Aligre sise à Soussans montre une orientation anticonformiste. Les premières mises en bouteille du 19ème siècle, sont destinées à une consommation familiale et s’adressent à un cercle restreint d’intimes, avec ce curieux avertissement sur l’étiquette : « défendu d’en laisser », d’où son surnom de margaux défendu…
D’ailleurs cette non-conformité de l’étiquette avec les règles en vigueur entérinera sa place de rebelle dans l’univers conventionnel médocain en l’excluant notamment du grand classement de 1855. Bel Air Marquis d’Aligre retrouve néanmoins les chemins officiels avec sa consécration en grand cru exceptionnel à l’occasion du classement des crus bourgeois de 1932, tombé, depuis lors, en désuétude et mis à rude épreuve par des contestations et des révisions successives.
Qu’importe la reconnaissance des concours, la réputation de Bel Air Marquis d’Aligre se forge dans l’individualisme forcené de ses vins et dans une impitoyable quête d’exigence qui pousse la famille Boyer à renoncer à certains millésimes (comme ce fut le cas entre 1991 et 1994 !!). Oui l’abandon des mauvais millésimes renvoie à une pratique en vigueur chez d’Yquem …
Et pourtant la propriété est loin du lustre des grands crus classés, foin de tocades d’architectes et de pelouse tondues en green de golf, juste une vieille bâtisse décatie. Les vignes qui occupent des croupes de graves de fine épaisseur, jouxtent celles du grand château Margaux avec lequel il s’inscrit en faux par la légèreté de son style…
Millésime 2009
L’année 2009 signe un millésime quasi caniculaire, marqué par un haut degré d’alcool et une maturité physiologique (tannins et anthocyanes) exceptionnelle. C’est d’ailleurs un millésime qui a été excessivement encensé, à grand renfort de battage médiatique orchestré savamment par le CIVB (Comité interprofessionnel des vins de Bordeaux). Avec le recul une grande partie de ces grands bordeaux flamboyants à la richesse démesurée, révèlera des difficultés à porter cette opulence dans le temps.
D’où un certain étonnement de voir que le titre alcoométrique du Marquis d’Aligre affiche sur ce millésime chaud un sage 12.5 ° ! En contrepoint, le bordeaux supérieur de l’île Margaux connu pour être une des très belles valeurs du terroir de Margaux, alignait sur ce millésime, un plantureux 15 degrés…
De fait, le Bel Air Marquis d’Aligre 2009 semble balayer les postulats qui assignent aux vins généreux en alcool et richement élevés en barrique, un destin tout tracé pour la longue garde.
Outre son style léger, « tout en dentelle » comme on dit dans le Haut Médoc, le vin s’exonère des ornements du bois neuf par l’emploi d’une vinification et d’un élevage en cuve béton (à l’exception d’un léger soutirage pour un court séjour en barrique de bois usagé).
Autrement dit la margaux du Marquis d’Aligre s’inscrit dans une ligne texturale légère, capable néanmoins de rayonner dans toutes ses nuances, des décennies plus tard. Le secret de cette formidable tenue dans le temps tient à la fois aux modestes rendements (moins de 35hl/ hectare), à la densité de plantation 10 000 pieds à l’hectare et sur une vinification à « l’ancienne », lente, non sur-extraite et peu interventionniste, qui ne brusque pas le vin.
En dégustation
Sa robe grenat interpelle pour un vin âgé de 14 ans ! D’une belle profondeur, exempte de toute évolution comme l’atteste l’absence de toutes nuances orangées sur les pourtours du disque, sa coloration intense indique un vin totalement préservé du temps. Au nez, il montre aussi un profil vaillant, presque juvénile, les fragrances de fruits rouges aux contours terreux se livrent avec douceur sans la lourdeur des vapeurs de l’alcool. Mais ce qui signe son raffinement se manifeste avant tout dans les rappels de notes de tabac blond se posant en marqueurs d’une élégance toute médocaine.
Note personnelle : 96/100
Prix : 67 euros
Où acheter ce vin : Cave du Bonheur sur Saint Brévin ZA DE LA GUERCHE (tenue par Emmanuel Cœur , ancien sommelier du restaurant la Marine, à Noirmoutier). D’autres millésimes plus anciens et tout aussi cultes sont disponibles sur le site Vins étonnants qui entretient avec le domaine une relation privilégiée.
Raphno
* Vin idiosyncrasique : vin dont les caractéristiques et la personnalité définissent un style unique qui lui sont propres.
[cc] Breizh-info.com, 2024, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine
Une réponse à “J’ai bu un vin de légende : Bel-Air Marquis d’Aligre 2009, Margaux”
Bel article qui me met le vin à la bouche! je note la référence et à la première occasion, je goûte..