Christophe Levalois sur le retour du Loup en Bretagne « Une nouvelle réjouissante pour la nature, la vie sauvage et les écosystèmes » [Interview]

Depuis des dizaines de milliers d’années, l’être humain entretient une relation particulière et privilégiée avec le loup. De Fenrir, le fossoyeur du monde, à la louve nourricière de Romulus et Rémus, du grand méchant loup au frère loup de saint François d’Assise, en passant par les loups cheyennes Maheone Honehe et Evevsev Honehe, il existe vis-à-vis du loup une véritable fascination qui plonge ses racines dans les tréfonds de l’âme humaine, mais aussi dans un compagnonnage dont l’origine se perd dans la nuit des temps.

Christophe Levalois propose dans un ouvrage intitulé « Le Loup et son mystère » (Le livre a reçu le Prix Jean Dorst décerné par l’Académie vétérinaire de France et le Groupement des écrivains médecins) un grand voyage dans l’histoire des sociétés humaines, de la préhistoire à nos jours, explorant mythes, légendes, rites, aventures extraordinaires, et convoquant aussi faits historiques, découvertes scientifiques et archéologiques. Saviez-vous que le grand conquérant mongol Gengis Khan prétendait descendre du loup bleu Börte Tchino ? Qui étaient les peuples loups et les guerriers-loups ? Quelle est l’histoire du loup-garou ? Cette relation privilégiée de l’homme au loup porte aussi d’autres questions qui nous taraudent depuis toujours et aujourd’hui d’une actualité brûlante, à savoir notre relation avec la nature : la nôtre et celle qui nous entoure. Sommes-nous prêts pour une réconciliation ?

Un livre passionnant. Alors que le loup est de retour en Bretagne, nous avons interrogé l’auteur.

Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Christophe Levalois : Je suis professeur d’histoire-géographie dans l’enseignement secondaire, auteur de plusieurs ouvrages sur les relations des sociétés avec le sacré, comme La royauté et le sacré (Cerf, 2016), rédacteur en chef du site Orthodoxie.com.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a initialement attiré vers le sujet du loup et qu’est-ce qui vous a motivé à écrire un livre sur cet animal ?

Christophe Levalois : C’est mon troisième livre sur le loup ! Le premier, Le symbolisme du loup, a été publié en 1986, épuisé en peu d’années et traduit en italien ainsi qu’en espagnol. Il a été amplifié pour un second ouvrage paru en 1997, Le loup. Mythes et traditions, lui aussi épuisé depuis longtemps. J’ai repris ce travail, pour ce troisième ouvrage, apporté de nombreuses modifications et de nouveaux développements. Au départ, il y a quarante ans, il s’agissait d’un article qui s’est vite étoffé. Déjà l’animal et sa relation particulière avec l’être humain depuis si longtemps, très présente dans un grand nombre de traditions, me fascinait, en plus du fait que j’ai été louveteau et que j’ai recueilli enfant des souvenirs familiaux évoquant la présence de loups.

Breizh-info.com : Avez-vous fait des découvertes surprenantes concernant le loup et sa relation avec l’homme ?

Christophe Levalois : On ne peut pas dire que j’ai découvert quoi que ce soit, mais j’ai mis en valeur et j’ai relié un grand nombre d’éléments relevant de différents domaines. Je me suis attaché à comprendre cette relation privilégiée avec les sociétés humaines qui est observable sur plusieurs continents. Celle-ci se perd dans la nuit des temps. L’histoire du chien, le « meilleur ami de l’homme », nous le montre bien. Tous les chiens descendent du loup, ou plutôt de loups de différentes sous-espèces. C’est une histoire vraiment à part. Cette domestication a commencé des milliers d’années, au moins, avant toutes les autres domestications. Sans doute plus de 20 000 ans avant pour les toutes premières domestications de loups dont nous avons quelques traces en Belgique et en Asie centrale ! Nos ancêtres ont perçu tout le profit qu’ils pouvaient tirer des qualités du loup, notamment comme chasseur et gardien protecteur. En outre, le loup présente de nombreuses similitudes avec l’être humain, non par sa morphologie et sa physiologie bien sûr, mais par sa vie en collectivité, à savoir la meute, l’organisation sociale de celle-ci, ou encore ses tactiques de chasse s’appuyant sur un groupe organisé. Cela explique que des groupes d’Homo sapiens l’ont intégré dans l’intimité de leur vie tribale. Ce fut une grande première qui nous dit aussi beaucoup de choses sur l’intelligence de l’être humain de ces temps ! Certains chercheurs n’hésitent pas à parler d’une alliance entre l’Homo sapiens et le loup ! La relation complexe des sociétés humaines avec cet animal, tout comme la fascination qu’il exerce, se fonde sur ce passé préhistorique qui s’étend sur des dizaines de milliers d’années.

Breizh-info.com : Le loup occupe une place importante dans les mythes et légendes de nombreuses cultures. Comment interprétez-vous la symbolique du loup et son évolution à travers le temps ?

Christophe Levalois : Le loup est en effet très présent dans les mythes et légendes des cultures de tout l’hémisphère nord depuis des milliers d’années. Les premières traces, des gravures rupestres, de lycanthropes, d’hommes-loups, se trouvent dans le sud de la Libye et datent du néolithique, il y a environ 7000 ans, peut-être plus. De manière générale, la symbolique du loup est ambivalente, à la fois liée à la mort (comme avec le loup Fenrir dans la mythologie germano-scandinave), qui est aussi le passage obligé pour un nouveau cycle, et à la naissance ou la renaissance, comme avec les jumeaux romains Romulus et Rémus allaités par une louve. Plus qu’une évolution dans le temps, la perception du loup a évolué avec les types de sociétés. Son image est plutôt positive dans les sociétés nomades ou semi-nomades, il y est même souvent un modèle, je pense aux traditions turques ou à celles de tribus amérindiennes d’Amérique du Nord ; en revanche, son image est plus négative dans les sociétés sédentaires et agricoles où il est par excellence le ravisseur, même si parfois dans ces sociétés il peut aussi représenter un contre-modèle, avec un puissant pouvoir d’attraction, à savoir le « sauvage » en opposition au « civilisé » et cela dès l’Antiquité gréco-latine. Cette dernière dimension, celle du « sauvage », a pu aller jusqu’à en faire un symbole de la liberté face à la servitude. C’est par exemple le cas de la fable de La Fontaine « Le loup et le chien », ou du magnifique poème d’Alfred de Vigny « La mort du loup », ou encore des romans de Jack London.

Breizh-info.com : Le loup est souvent au centre de débats entre protection de la nature et des préoccupations des agriculteurs. Quelle est votre perspective sur cette controverse ?

Christophe Levalois : Le retour du loup en France, où il avait disparu depuis plusieurs décennies, a concerné au premier chef les éleveurs. C’est pour eux une contrainte supplémentaire qui s’ajoute, dans une profession qui comme d’autres n’en manque pas ! Face à cette situation, l’État apporte une aide notable, la plus importante des États d’Europe occidentale, même si c’est loin d’être simple (lenteurs, formulaires à remplir, etc.). Des moyens et un accompagnement bien nécessaire existent pour limiter au maximum les dégâts sur les troupeaux. Ils sont de plus en plus utilisés par les éleveurs avec souvent des résultats remarquables. En outre, je crois même possible une forme de dialogue avec chaque meute, sachant qu’une meute gère un territoire et connaît ses possibilités et ses dangers, ce qui n’est pas le cas avec un individu isolé de passage qui est d’ailleurs le plus souvent chassé par la meute du secteur, lequel s’étend généralement sur 200 à 400 km2. Actuellement, pour moi, les débats prennent une mauvaise tournure aussi bien à l’échelle nationale qu’européenne, avec une évolution en préparation pour la suppression du statut d’espèce strictement protégé à une moindre protection, ce qui signifie que beaucoup plus de loups seront « prélevés », c’est-à-dire tués. Nous sommes déjà aujourd’hui à des autorisations des pouvoirs publics pouvant affecter jusqu’à près de 20 % du nombre estimé de loups en France. Je pense qu’il s’agit là d’un net et triste recul écologique, plus particulièrement dans nos relations avec la vie sauvage.

Breizh-info.com : Y a-t-il une histoire ou une anecdote particulière concernant les loups que vous avez trouvée particulièrement marquante lors de vos recherches ?

Christophe Levalois : Bien des choses sont étonnantes ! L’animal a été vers l’homme, cela a donné le chien, mais l’être humain a été aussi vers l’animal, de là les hommes-loups et les femmes-louves, le thème du loup-garou, ainsi que les êtres humains qui ont vécu avec des loups. À notre époque, l’histoire de Shaun Ellis est particulièrement marquante et extraordinaire. Cet Anglais, remarquable connaisseur des animaux, a vécu quelques temps avec une meute de loups en pleine liberté dans l’Idaho, laquelle meute l’a en quelque sorte adopté. Je précise qu’il était adulte et recherchait cette expérience aux limites de nos capacités humaines. Il a aussi vécu avec des loups en captivité.

Breizh-info.com : Le loup semble être de retour en Bretagne depuis quelques temps. Faut-il s’en inquiéter, ou s’en réjouir ?

Christophe Levalois : Officiellement, selon l’Office français de la biodiversité, le loup est en Bretagne depuis le printemps 2022. Il s’agit vraisemblablement de jeunes loups adultes en phase de dispersion, c’est-à-dire à la recherche d’un nouveau territoire pour y établir une meute, donc de passage. Au-delà de ce constat, il est difficile de savoir avec exactitude pour le moment si cette dispersion a donné des résultats pour les animaux en question et si, par conséquent, une installation a commencé ou non.

Pour moi, il s’agit d’une nouvelle réjouissante pour la nature, la vie sauvage et les écosystèmes. Mais des dispositions de protection sont à prendre pour les élevages.

Par ailleurs, pour nous, il n’y a pas lieu de s’en inquiéter. Le loup, même en groupe, craint les êtres humains et les fuit, sauf dans le cas d’un animal atteint par la rage. La plupart du temps, le loup nous repère de loin, c’est pourquoi il est très difficile de l’observer intentionnellement. Après, comme tout animal sauvage, comme les sangliers et les cerfs notamment dans nos contrées, s’il se sent mis en danger par notre attitude, par exemple si on lui barre le chemin, il peut se montrer agressif et dangereux. C’est d’ailleurs également vrai pour les animaux domestiques. Je rappelle que depuis son retour en France, soit depuis plus de 30 ans, il n’y a eu aucune agression avérée d’un être humain par un loup, juste un cas de confrontation tendue il y a un an dans les Alpes-de-Haute-Provence, justement dans une situation où un promeneur faisait involontairement obstacle à la progression de toute une meute. Les loups ont fini par rebrousser chemin.

Dans le même laps de temps de trois décennies, dans la nature, les agressions de chiens errants ou domestiques, parfois confondus avec des loups, ont été très nombreuses chaque année, avec plusieurs milliers de morsures par an dont certaines graves, voire très graves et parfois fatales, en plus de celles d’autres animaux !

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR

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7 réponses à “Christophe Levalois sur le retour du Loup en Bretagne « Une nouvelle réjouissante pour la nature, la vie sauvage et les écosystèmes » [Interview]”

  1. françois THEOBALD dit :

    Vers les années 1880 un voisin de mon grand-père maternel (Julien LOUIS habitant le bourg de Hombourg-Haut en Moselle) a été agressé par un loup alors qu’il rentrait des champs. Le paysan était installé sur le banc de sa charrette tirée par un cheval . Le loup s’est précipité sur le paysan et l’a mordu à la gorge. Le paysan s’est défendu en étreignant le loup dans ses bras. Le cheval a ramené l’attelage tout seul à la maison. A l’arrivée l’homme et le loup étaient morts dans la charrette.

  2. anonyme dit :

    Les foulards rouges

    Le journal du Centre 17/03/2024
    « Le loup on n’en veut pas dans la Nièvre . . . « 

  3. Nathalie Rancoule dit :

    Une histoire du loup
    Jean Marc Moriceau, historien spécialiste du monde rural, professeur d’histoire moderne à l’université de Caen a enquêté pendant de longues années sur le loup. Dans son livre «Histoire du méchant loup. Trois mille attaques sur l’homme en France, XVe-XXe siècle», éd.Fayard, 2007, il recense les attaques de loups sur l’homme survenues en France.
    L’image de cette espèce sauvage, dite craintive et sans danger pour l’homme est mise à mal.
    L’historien fait état, entre 1200 et 1920, de 7 600 victimes. Parmi elles, 4600 ont été agressées par des loups anthropophages et 3 000 par des bêtes enragées.
    Au cours de ses recherches, il écrit : « Une autre fois, je suis tombé sur un acte de décès datant de février 1693 et rédigé par un curé. Il disait : «Ce jour a été inhumée dans le cimetière une partie de la tête de Marie Mignet, 12 ans, trouvée dans les bois de Marcoussis où elle a été dévorée par les loups en gardant les vaches.» 
    L’historien conclut : «Le risque zéro n’existe pas, pour l’homme comme pour l’agriculture et pour l’élevage. Si on veut du loup, il faut l’accepter. Je plaide pour une vision pragmatique et territoriale, je pense qu’on peut protéger le loup à l’échelle planétaire mais le chasser, si besoin est, à l’échelle régionale; instaurer des zones de protection absolue et des zones où le loup peut être chassé.»

  4. Franck dit :

    Je propose que l’on retourne vivre dans des grottes, vétus de peaux de bête et armés de lances afin que la biodiversité s’épanouisse sur terre

  5. Hervé dit :

    Ceux qui dise que le loup attaque les humains sont des menteurs. Le loup mange seulement des oiseaux, des escargots, des lézards, des souris. Quand il voit un homme, il a peur et s’enfuit.

  6. anonyme dit :

    Le burger « Le Phoque Brigitte Bardot » vous tente ?

    reporterre.net/Au-canada-manger-phoque-bon-environnemen…
    Au Canada, manger du phoque est « bon pour l’environnement
    4 déc. 2023 · « Bon pour vous, bon pour l’environnement. »

    Par Alexis Caron 04/12/2023

  7. anonyme dit :

    Le Phoque Brigitte Bardot

    La vie est parfois farceuse et elle peut vous jouer des tours pendables.
    Et si, pour la postérité, il ne restait d’elle que le nom d’un burger ?

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