Des « Pâques sanglantes » au traité de partition, quelles voies plurielles furent celles de l’indépendance irlandaise ? Et comment, d’une guerre d’indépendance contre les Britanniques, l’Irlande est-elle passée à une guerre civile ?
- Olivier Coquelin Maître de conférences en civilisation des îles britanniques à l’Université de Caen Normandie
- Alexandra Maclennan Maître de conférences en anglais et études anglophones à l’Université de Caen Normandie
L’Irlande compte parmi les plus beaux paysages au monde : ses falaises déchirées le long de la mer, ses petites îles cachées dans la brume, ses panoramas grandioses où le mouvement des nuages se joue du végétal, ses landes de pierre, ses lacs, ses rivières, tant de mystères sur ces terres, brûlées, au vent… Quant aux habitants, les Irlandais, les Irlandaises, quel accueil ! Mais quand il est question de l’histoire de l’Irlande, ce sont des luttes qui nous viennent à l’esprit : le Sinn Féin, les “Pâques sanglantes”, l’IRA, la partition, la guerre civile…
Une émission à écouter sur France Inter
Unionistes et nationalistes
À la fin du 19e siècle, le mouvement nationaliste irlandais prend de l’ampleur, nourri par un sentiment anti-britannique que les épreuves de la famine ont contribué à amplifier. Dès 1800, les Actes d’union avaient permis la fusion du royaume de Grande-Bretagne et du royaume d’Irlande en un Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande. Les partisans de cette mesure, les unionistes, s’opposent dès lors aux nationalistes, qui appellent de leurs vœux une plus grande autonomie de l’Irlande, voire son indépendance complète vis-à-vis de l’impérialisme anglais, tout en valorisant la culture et la langue gaéliques. En 1902, les membres de la Ligue gaélique fondent la revue Sinn Féin, expression qui signifie “nous-mêmes”. En 1905, un parti politique nationaliste, républicain et indépendantiste, le Sinn Féin, est à son tour créé, sous l’égide d’Arthur Griffith. D’après Alexandra Maclennan, au départ, le Sinn Féin était un parti « qui était pour la résistance passive, le pacifisme, le boycott, pour une double monarchie où un même monarque régnerait sur deux assemblées locales. Mais le Sinn Féin d’avant 1916 est très différent du Sinn Féin d’après 1916.”
Des dissensions dans le camp des nationalistes
Dès les origines, les nationalistes s’opposent sur la voie à suivre pour faire avancer la cause irlandaise, entre réforme pacifique et parlementaire, et lutte armée et clandestine. Les factions ne s’accordent pas toujours non plus sur le statut à donner à l’Irlande – un État indépendant et souverain, ou un État autonome qui resterait malgré tout lié au Royaume-Uni. Ces débats s’incarnent dans le projet du Home Rule, une demande d’autonomie pour l’Irlande sous la tutelle de la couronne britannique. Accepté en 1912 par le Parlement, le Home Rule accorde de fait une certaine autonomie à l’Irlande, mais ne satisfait pas les factions les plus radicales qui veulent se débarrasser définitivement du joug britannique.
1916, les Pâques sanglantes
En 1916, une insurrection, menée par les républicains, éclate à Dublin le jour de Pâques. Ces “Pâques sanglantes” sont le signe de l’insatisfaction d’une grande partie des nationalistes face au Home Rule. La République irlandaise est proclamée, mais bientôt les autorités britanniques écrasent la révolte dans le sang. « Le centre de Dublin est devenu un véritable champ de ruines à la suite de la rébellion qui a duré une semaine. (…) Les leaders ont été jugés, condamnés à mort et exécutés. 3500 personnes aussi, à peu près, ont été arrêtées » relate Olivier Coquelin. Cette répression brutale nourrit l’argumentaire des nationalistes les plus radicaux, et gagne le soutien d’une large partie de la population irlandaise, écœurée par les violences perpétrées par les Britanniques. Le Sinn Féin remporte ainsi les élections législatives de 1918.
Après sa victoire, le Sinn Féin refuse de siéger au parlement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande. En 1919, il constitue un parlement irlandais (le Dáil Éireann) et proclame l’indépendance de l’Irlande. C’est la République irlandaise (1919-1922), qui doit immédiatement affronter le pouvoir britannique, lors de la guerre d’indépendance irlandaise ou Tan War (1919-1921). L’Irish Republican Army, l’IRA, s’y illustre, et combat les Black and Tans, une milice britannique qui se distingue par ses méthodes violentes et sa brutalité envers la population civile.
Naissance de l’État libre d’Irlande
En 1921, le traité anglo-irlandais met fin à la guerre d’indépendance et organise la partition de l’Irlande, en créant un État libre d’Irlande, qui correspond à l’Irlande du Sud, à majorité catholique, tandis que l’Irlande du Nord, à majorité protestante, fait le choix de rester au sein du Royaume-Uni. L’État libre d’Irlande accède ainsi, enfin, à l’indépendance pleine et entière.
Néanmoins, les nationalistes irlandais eux-mêmes se déchirent sur la position à prendre vis-à-vis du traité. Arthur Griffith et Michael Collins, le chef de l’IRA, et leurs partisans y sont favorables, car cet accord est pour eux un moyen de faire avancer les intérêts de l’Irlande. Éamon de Valera et les anti-traité, au contraire, refusent la partition et une entente qu’ils conçoivent comme une compromission avec les Britanniques et une trahison de la cause nationaliste. L’État libre d’Irlande bascule alors dans une violente guerre civile, qui prend fin en 1923.
Pour en savoir plus
Olivier Coquelin est maître de conférences en civilisation des îles britanniques à l’Université de Caen Normandie et membre permanent de l’Équipe de recherche interdisciplinaire sur la Grande-Bretagne, l’Irlande et l’Amérique du Nord (ERIBIA) à l’université de Caen. Il est spécialiste des partis politiques et de leur formation, des idées politiques et de la question sociale en Irlande.
Il a notamment publié :
- L’Irlande en révolutions. Entre nationalismes et conservatismes : une histoire politique et sociale (18e-20e siècles), Editions Syllepse, 2018
Alexandra Maclennan est maître de conférences en anglais et études anglophones à l’Université de Caen Normandie, spécialiste de l’histoire de l’Irlande du 20e siècle, de sa civilisation, de sa politique culturelle et de son histoire religieuse.
Elle a notamment publié :
- L’Histoire de l’Irlande de 1912 à nos jours, Tallandier, 2016
- L’Etat et la culture en Irlande, Presses universitaires de Caen, 2010
Références sonores
- Archive de Denis R. Mac Donald, ambassadeur d’Irlande à Paris, France Culture, 1966
- Extrait de la mini-série irlandaise Rébellion, 2016
- Extrait du film Michael Collins de Neil Jordan, 1996
- Chanson : The Foggy Dew par The Chieftains (avec Sinéad O’Connor), 1995
- Archive de Joseph Kessel sur son expérience en Irlande en 1920, France Culture, 1956
- Extrait du film Le vent se lève de Ken Loach, 2006
- Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020
Crédit photo : DR
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Une réponse à “Lutter pour son indépendance, l’ire de l’Irlande. Une belle émission signée France Inter”
Ce genre de doc remplace aisément nos livres d’histoire sous censure…
Un peu comme celle du clan Manouchian…