Brigantus, la résistance des pictes face à l’Empire romain (bande dessinée).

Le talentueux dessinateur Hermann, âgé de 85 ans, poursuit son œuvre dans laquelle il révèle la noirceur de l’âme humaine. Son dernier album a pour cadre l’héroïque résistance du peuple picte face à l’Empire romain.

84 après J.-C, au nord de la Calédonie, future Écosse. La XXII ème légion fait régner la loi de l’Empire romain. Une cohorte romaine se déplace en territoire picte, sur un terrain marécageux. Elle fait halte dans un village modeste pour y collecter, de force, de la nourriture. Les habitants qui tentent de s’opposer sont éliminés. Les soldats reprennent leur chemin. Lorsqu’un soir, un jeune soldat reçoit l’ordre d’apporter un bol de soupe contenant un rat bouilli à celui qui tient la garde, un homme imposant et silencieux, celui-ci avale tout, sous les regards incrédules des autres soldats. Melonius Brigantus, cette force de la nature connue sous le nom du « Picte », est reconnu pour ses prouesses au combat. Mais peu de temps après, dans des marécages brumeux, les Romains tombent dans une embuscade de pictes aguerris au visage peint en bleu. « Le picte » va montrer ses talents de combattant en sauvant la vie de gradés. Pourtant, il n’est pas apprécié de ses compagnons d’armes. Fils d’une prostituée et d’un soldat romain, abandonné à la naissance, recueilli par la Légion qui en a fait l’un des siens, il est considéré par tous comme un bâtard. Pourtant, au cœur des combats, il défend par devoir, avec la plus grande pugnacité, les compagnons d’arme de sa centurie. Cependant, un jour, il vient en aide à une jeune femme picte et est condamnée pour trahison. Rejeté par les romains, ses frères d’arme, sera-t-il sauvé par les pictes, ses frères de sang ?

Né en 1938 en Belgique, dans un petit village des Ardennes, Hermann, de son vrai nom Hermann Huppen, a sans cesse voulu fuir les granges villes pour ressentir l’attrait d’une nature protectrice. Il obtient son diplôme d’ébéniste, mais suit en parallèle le soir des cours de dessin d’architecture et de décoration intérieure. C’est son mariage, en 1964, qui le rapproche de la bande dessinée : son beau-frère, Philippe Vandooren, futur directeur éditorial de Dupuis, dirige une revue scout à laquelle il livre sa première histoire. Il commence sa carrière de dessinateur par réaliser quelques Histoires de l’oncle Paul. Puis il entame les séries Bernard Prince (scenario de Greg), Jugurtha (scénario de Vernal) et Comanche (scenario de Greg). Il commence en 1977 sa première série solo, Jeremiah, toujours en cours. En 1984, il s’écarte provisoirement de Jeremiah pour créer Les Tours de Bois-Maury, une fresque médiévale où son réalisme fait merveille. En 1995, il publie Sarajevo-Tango, un album engagé né de son indignation à propos du siège de Sarajevo. Suivent d’autres albums indépendants : Caatinga, qui se déroule dans le nord-est brésilien des années 1930, On a tué Wild Bill, Lune de guerre (scénarisé par Jean Van Hamme)…

Hermann, bourreau de travail capable de dessiner une dizaine de planches par mois, ce qui lui permet de sortir deux albums pas an, a abordé une multitude de genres, allant du pur western (« Comanche »), au récit d’anticipation post-apocalyptique (« Jeremiah »), en passant par la saga médiévale (« Les Tours de Bois-Maury »), la grande aventure (« Bernard Prince ») et la géopolitique (Sarajevo-Tango).

L’œuvre d’Hermann, parfois appelé « le sanglier des Ardennes », est imprégnée de violence, fruit d’une société où la loi du plus fort règne, et ce quelles que soient les époques où évoluent ses personnages. Dans Sarajevo-Tango, Hermann renvoie dos à dos les instances internationales et les serbes. Après avoir lu Ravage de Barjavel, Hermann imagine dans Jérémiah que ses deux héros, Jérémiah et Kurdy, évoluent dans un monde post-atomique ravagé par une guerre raciale entre Blancs et Noirs, où règnent l’ultra-violence, la pédophilie et l’obscurantisme religieux. Jérémiah, un personnage droit et honnête, est progressivement contaminé par la dureté du monde, tandis que Kurdy est une crapule qui s’en accommode. En 2002, Jeremiah devient une série de trente-cinq épisodes diffusée sur Showtime. Mais cette série remplace le cataclysme nucléaire et la guerre raciale par une épidémie de virus, Kurdy étant même joué par un acteur noir…

Epris de liberté, Hermann explique qu’il « plaint par-dessus tout les femmes victimes de l’islam… Comment respecter une religion qui récompense ses guerriers en leur promettant des jeunes filles vierges dans l’au-delà ? J’ai une antipathie profonde pour les islamistes… J’ai peur que ça ne s’envenime et je crois que beaucoup de musulmans chez nous rêvent de nous islamiser. Mon discours n’est pas politiquement correct, hein ? Ce n’est pas comme ça que j’aurai un prix à Angoulême ! Je m’en fous. Je sais que je ne suis pas raciste » (Casemate 26 mars 2016). Pourtant, en 2016, après des décennies de débats controversés à ce sujet, le Grand Prix du Festival d’Angoulême, consécration suprême pour un artiste de bande dessinée, est enfin attribué à Hermann. Avant de recevoir le Grand Prix, certains de ses collègues le qualifiaient de « Réactionnaire », « Facho », ou encore « Vieux con » (Le Point, Hermann, le bad boy d’Angoulême, 25 janv. 2017). A ces critiques, Hermann préfère rappeler qu’il sonde la noirceur de l’âme humaine : « Je suis politiquement incorrect. Je n’ai pas le temps de me faire aimer par tout le monde » (BFM tv, 25 janvier 2017). Il affirme que « j’ai parfois des indignations qui font partie des chevaux de bataille de la gauche alors que, parfois, je suis carrément de droite quand la gauche va trop loin et risque de détruire nos propres idées, notre propre culture » (Vécu, n°27, 1987, p. 12).

Le scénariste Yves H. (Yves Huppen) a construit en 1995, pour Hermann, son père, un premier album (Le secret des hommes-chiens). Puis il a scénarisé, pour son père, Liens de sang, Rodrigo, Manhattan Beach 1957, Zhong Guo, Sur les traces de Dracula, Duke… En 2020 sort le film The Owners, réalisé par Julius Berg, adaptation d’Une Nuit de Pleine Lune de Hermann et Yves H.

Infatigable, ce duo père-fils nous offre une nouvelle série prometteuse se déroulant en Ecosse occupée par l’Empire romain. Cette nouvelle série reste, en effet, dans le style d’Hermann. Elle prend pour toile de fond la tentative de conquête romaine du territoire des pictes pour dévoiler, une fois de plus, la noirceur de l’âme humaine.

Il faut rappeler que l’Empire romain a tenté de conquérir l’Écosse (alors appelée Calédonie) depuis l’arrivée des légions, en 71, sous les ordres de Quintus Petillius Cerialis, jusqu’à leur départ, en 213. L’Écosse est alors occupée par plusieurs tribus utilisant les techniques de l’Âge du fer, dont la plus célèbre est celle des pictes. En 84, année du récit de cette bande dessinée, l’armée romaine dirigée par Cnaeus Julius Agricola parvient à vaincre les pictes à la bataille du Mont Graupius. Malgré cette victoire, les légions ne parviennent pas à pacifier ce territoire picte et repartent vers le sud.

Yves Huppen explique que « notre projet, avec Brigantus, n’était pas de réaliser une bande dessinée historique rigoureuse ni un ouvrage documentaire : au départ, c’est l’envie de se replonger dans une époque et d’en extraire une ambiance pour raconter une histoire » (Quand les légionnaires romains marchaient sur l’Écosse, actualitte.com, 2 fév. 2024). On retrouve en effet l’esprit des Tours de Bois-Maury, sa précédente série historique réaliste qui se déroulait dans un cadre médiéval.

Le scénariste imagine qu’une centurie a édifié un fort avancé en plein cœur du territoire picte, au nord de l’Ecosse. Ce peuple est resté hostile à la présence romaine. Mais si le cadre reste historique, le scénariste fait le choix de montrer la laideur de l’humanité, bien loin du péplum. Son héros, Brigantus, est rejeté et haï par les autres soldats romains en raison de son origine picte. Il est en effet né de l’union d’un légionnaire et d’une prostituée picte. Pourtant, par devoir, il continue d’accomplir les basses besognes. Cependant, un jour, venant en aide à une femme picte, il est rejeté par ses propres frères d’arme.

Hermann, âgé de 85 ans, dessine un Brigantus bestial, entouré de trognes d’horribles brutes. Pourtant, c’est lui qui a gardé un semblant d’humanité. On retrouve le trait reconnaissable d’Hermann au premier coup d’oeil, notamment ses visages aux mâchoires très carrées, même pour les femmes.

Il travaille en couleurs directes (sans passer par l’étape de l’encrage), toujours à l’aquarelle. Ses couleurs sont volontairement sombres. Le gris du décor contraste avec le rouge (du sang et des uniformes romains) et le bleu (du maquillage picte). Les paysages embrumés écossais succèdent aux scènes de violence. L’ambiance du récit est ainsi particulièrement dure.

Hermann démontre, un fois de plus, son incontestable talent.

Une bande annonce est disponible :

Brigantus, Tome 1, Banni, 54 pages, 15,95 euros.

Kristol Séhec

Crédit photo : DR

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Une réponse à “Brigantus, la résistance des pictes face à l’Empire romain (bande dessinée).”

  1. Thierry LECAT dit :

    Bande dessinée très décevante.Nombreux anachronismes sur l’armée romaine, dessin sommaire des personnages difficiles à identifier.
    Je regrette mon achat!

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