Comment la recherche contribue-t-elle à mieux comprendre et à réduire les captures accidentelles de dauphins ?

Interview croisée entre Clara Ulrich, coordinatrice des expertises halieutiques, et Emilie Leblond, coordinatrice du système d’informations halieutiques (SIH).

Les captures accidentelles mettent-elles en péril la population de dauphins communs du golfe de Gascogne ?

Clara Ulrich : D’après le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) qui fournit les avis scientifiques les plus précis possibles sur ces captures accidentelles, le nombre de captures accidentelles de dauphins communs dans le golfe de Gascogne a globalement augmenté depuis 2016 avec 4 000 à 9 000 individus capturés par an en moyenne, sur une population totale d’environ 630 000 dans l’ensemble de l‘Atlantique Nord Est. Il y a une part d’incertitude assez importante sur ces estimations du fait des difficultés d’observation et d’analyse de cette espèce, mais elles restent les plus fiables à ce jour. A l’heure actuelle, les densités de dauphins observées ne montrent pas de signes d’une diminution du nombre d’individus. Néanmoins, leur espérance de vie, estimée à partir de l’âge moyen des animaux échoués, est en baisse. Cela reflète un changement de la structure démographique de la population. La distribution géographique de la population change aussi, avec des bancs plus diffus et plus proches des côtes qu’il y a 10-15 ans. Le Conseil international pour l’exploration de la mer considère ainsi que les niveaux de capture sont supérieurs au taux biologique maximal qu’il ne faut pas dépasser si l’on veut préserver cette espèce protégée à long terme.

Quels engins de pêche causent le plus de dommages aux dauphins ?

Clara Ulrich : Nous manquons encore de données précises pour bien comprendre l’ampleur, l’origine et l’évolution spatiale et temporelle des captures, notamment parce que les déclarations de captures par les pêcheurs français et étrangers, pourtant obligatoires, restent largement insuffisantes à ce jour. La réticence des professionnels s’explique en partie par une crainte de l’exposition médiatique si les déclarations nominatives venaient à être partagées sur la place publique. Les seules informations qui permettent de documenter les captures accidentelles sont alors : les données des observateurs en mer (programme Obsmer en France), des échouages et plus récemment des résultats d’expérimentation volontaire de caméras embarquées dans le cadre des programmes OBSCAMe.

Emilie Leblond : Sur la base de ces données parcellaires, le CIEM considère que les engins impliqués dans les captures accidentelles sont les filets (trémail, maillant calé au fond), les chaluts (pélagique [en pleine eau] et bœuf de fond [tracté par deux bateaux]), et la senne pélagique. D’après son dernier avis, les filets sont les engins qui ont causé le plus de captures dans le golfe de Gascogne et au large de la péninsule ibérique entre 2019 et 2021.

Le CIEM estime en revanche que les captures des chaluts pélagiques en bœuf ont fortement diminué sur les années 2019-2021 par rapport à la période 2016-2018. On ne connait pas tous les facteurs qui expliquent cette diminution. Depuis 2020, l’installation d’effaroucheurs acoustiques (pingers) est devenue obligatoire pour les chalutiers français et espagnols. Les stratégies de pêche (espèces ciblées) des professionnels ont également pu changer, cela reste une hypothèse à approfondir. Des efforts ont également été faits pour accueillir un plus grand nombre d’observateurs scientifiques à bord de ces navires de pêche qui participent à mieux documenter les captures accidentelles.

A-t-on des pistes pour expliquer l’augmentation du nombre de captures de dauphins dans les filets ?

Clara Ulrich : Deux hypothèses sont considérées : une modification des pratiques de pêche, ou une modification de l’habitat des dauphins et en particulier de leur paysage alimentaire. Pour étudier la première, les scientifiques analysent actuellement les données de géolocalisation des navires à haute résolution spatiale et temporelle. La seconde hypothèse est liée aux évolutions de l’écosystème du Golfe de Gascogne avec le changement climatique. Des scientifiques de l’Ifremer ont en effet déjà documenté une diminution de la taille et un changement de la répartition des petits poissons pélagiques, notamment des sardines et anchois qui sont parmi les proies des dauphins. Pour mieux comprendre ces relations entre proies et dauphins, une campagne à la mer a été effectuée à l’hiver 2023 dans le cadre du projet Delmoges mené avec l’observatoire Pelagis (La Rochelle Université/CNRS), l’Université de Bretagne occidentale et le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins. Nous avons détecté de fortes concentrations de dauphins et de leurs proies préférentielles près des côtes, à moins de 100 m de profondeur, aussi bien par le drone de surface DriX que lors de survols aériens. Ce qui nous a surpris, c’est la présence de grands bancs de petits poissons pélagiques organisés en couches localisées très près du fond : nous n’avions encore jamais observé ce comportement. Peu mobiles, ces bancs sont restés cantonnés dans la bande côtière. Notre hypothèse est que les dauphins communs qui évoluent en hiver dans le golfe de Gascogne pourraient être amenés à plonger très près du fond pour se nourrir et à se retrouver, ainsi, en interaction avec des filets de pêche posés sur le fond, ciblant les poissons comme la sole. Une seconde campagne a lieu en ce mois de février 2024 pour vérifier ces premières observations.

La suite sur le site de l’IFREMER

Crédit photo : DR
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