Loi de finances 2024 pour les entreprises : pas de révolution, mais des évolutions

Impôt sur les bénéfices, modifications de crédits d’impôt, TVA, impôts locaux, contrôles fiscaux… : Philippe Hupé et Laure Virazels, respectivement associé et fiscaliste Walter France, déchiffrent et commentent les mesures de la loi de finances.

Pas vraiment de mesures phare pour cette loi de finances pour 2024 concernant les entreprises, mais de nombreux aménagements ou des prolongations de mesures existantes.

Certaines modalités de calcul de l’impôt sur les bénéfices sont modifiées

Création des « Jeunes Entreprises de Croissance »

Les jeunes entreprises innovantes étaient exonérées d’impôt sur les bénéfices à hauteur de 100 % leur premier exercice bénéficiaire et de 50 % le second. A compter du 1er janvier 2024, cette exonération est supprimée. En contrepartie, à compter de cette même date, une nouvelle catégorie de JEI est créée, les « Jeunes Entreprises de Croissance », qui vont bénéficier du même type d’avantages tout en ayant moins de contraintes. En effet, le statut de JEI s’appliquait aux entreprises dont les dépenses de recherche et de développement représentaient au moins 15 % de leurs charges. Pour ces nouvelles JEC, ce pourcentage est abaissé entre 5 et 15 % des charges. Elles devront par ailleurs satisfaire à des indicateurs de performance économique qui doivent être précisés par décret. Pour les nouvelles JEI et les JEC créées à partir de 2024, seules les exonérations en matière d’impôts locaux et de cotisations sociales seront applicables.

Les deux mesures suivantes concernent le régime BNC.

Exonération de l’indemnité compensatrice des agents généraux d’assurance

Rappelons au préalable que les cessions de « petits » fonds de commerce bénéficient d’une exonération totale de plus-value pour un prix de vente n’excédant pas 500 000 euros et partielle jusqu’à 1 000 000 euros*. L’activité doit avoir été exercée depuis au moins cinq ans.

La loi de finances étend ce dispositif d’exonération des plus-values en cas de transmission d’une entreprise individuelle aux indemnités compensatrices versées par les compagnies d’assurances à leurs agents généraux exerçant à titre individuel lors de la cessation de leur mandat.

L’application de l’exonération est là aussi subordonnée à l’ancienneté du contrat qui doit avoir été conclu depuis au moins cinq ans, et à la cession de l’entreprise individuelle. Cette mesure est applicable aux indemnités perçues au titre de l’année 2023 et des années suivantes. Il est intéressant de souligner que pour les entreprises à l’IR, cette exonération vise également les prélèvements sociaux.

Les associés de sociétés d’exercice libéral vont passer en BNC

Les rémunérations perçues jusqu’à présent par les associés de sociétés d’exercice libéral étaient considérées comme des traitements et salaires. Désormais, la règle est que ces rémunérations relèvent du régime BNC (bénéfices non commerciaux ; le bénéfice étant considéré comme le revenu imposable). Seuls les associés qui exercent des fonctions de gérant pourront conserver une partie de leur rémunération en traitements et salaires, pour la partie de celle-ci correspondant à leur fonction de mandataire social.

Création des zones « France Ruralité Revitalisation »

Les zones France Ruralité Revitalisation (ZFRR) et France Ruralité Revitalisation « plus » (ZFRR « plus ») remplaceront, à partir du 1er juillet 2024, les zones de revitalisation rurale (ZRR) et les zones de revitalisation des commerces en milieu rural (ZoRCoMiR) qui sont, en attendant, prorogées jusqu’au 30 juin 2024. L’objectif étant d’uniformiser les dispositifs pour davantage de clarté.

Taux réduit d’IS (19 %) pour la cession de certains locaux en vue de leur transformation

Ce dispositif, qui devait s’arrêter en 2023, est prolongé jusqu’au 31 décembre 2026. En outre, le dispositif est étendu à la réalisation de locaux à usage mixte (affectation d’au moins 75 % à l’habitation). Le délai de quatre ans après l’achat à respecter pour procéder à la transformation du local en habitation ou pour la construction d’une habitation passe à six ans pour les opérations d’aménagement créant une emprise au sol supérieure ou égale à 20 000 m². Les aménagements du dispositif sont applicables aux cessions réalisées à compter du 1er janvier 2024.

Les trois mesures suivantes concernent les groupes internationaux

L’abattement est porté à 99 % pour les dividendes reçus de filiales européennes

Suite à une décision de la CJUE de mai 2023, les modalités d’imposition en France des dividendes reçus de filiales européennes ont été mises en conformité avec cette jurisprudence. Désormais, l’abattement de 99% (imposition d’une quote-part de frais et charges de 1%) est étendu aux dividendes reçus par une société mère française de ses filiales européennes, dès lors que ces sociétés auraient répondu aux conditions pour être membre d’un groupe fiscal (détention à 95 % au moins) si elles étaient établies en France.

Attention toutefois, et cette modification concerne également les dividendes reçus de filiales françaises, la quote-part de frais et charges de 1 % s’appliquera désormais à condition que la société distributrice soit membre du groupe depuis plus d’un exercice. Cette mesure est applicable aux exercices clos à compter du 31 décembre 2023 et c’est donc uniquement à partir du deuxième exercice qu’il est possible de bénéficier du taux à 1 %.

En conséquence, pour les nouveaux groupes fiscaux, dont le premier exercice est clos au 31 décembre 2023, c’est le taux de 5 % qui s’applique.

Le contrôle des prix de transfert est élargi

Désormais, « l’obligation documentaire », c’est-à-dire la mise à disposition de l’administration des éléments justifiant les politiques de prix de transfert, concerne les personnes morales dont le chiffre d’affaires annuel HT ou l’actif brut est supérieur ou égal à 150 millions d’euros, contre 400 millions d’euros auparavant. Parallèlement, l’amende pour non-respect de cette obligation est relevée de 10 à 50 000 euros (montant minimum).

De même, une présomption de transfert indirect de bénéfices est instaurée lorsqu’un écart est constaté entre le montant du prix de transfert pratiqué par l’entreprise et le prix qui aurait dû être pratiqué en application de la documentation.

Ces mesures sont applicables aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024.

Impôt minimum mondial pour les multinationales

A partir de 2024, les multinationales qui réalisent au moins 750 millions d’euros de chiffre d’affaires devront payer un impôt au taux de 15 % dès lors que le taux effectif d’imposition dans chaque Etat d’implantation n’atteint pas ce seuil.

 Plusieurs reconductions de réductions et de crédits d’impôt

La réduction d’impôt pour mise à disposition d’une flotte de vélos est prolongée pour trois années supplémentaires, soit jusqu’au 31 décembre 2027.

Les entreprises qui exercent un métier d’art (joailler, orfèvre, fabricant de jouets, etc.) peuvent, toutes conditions remplies, bénéficier d’un crédit d’impôt spécifique. Cet avantage fiscal est reconduit jusqu’au 31 décembre 2026.

Les entrepreneurs de spectacles vivants soumis à l’impôt sur les sociétés peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt égal à 15 % (30 % pour les PME au sens du droit européen) de leurs dépenses de création, d’exploitation et de numérisation d’un spectacle vivant musical ou de variétés. Initialement prévu pour cesser le 31 décembre 2024, la loi de finances le proroge jusqu’au 31 décembre 2027. En outre, la jauge est augmentée pour les concerts de musiques actuelles ; elle passe de 2 100 à 2 900 places. Cette mesure est applicable aux demandes d’agrément à titre provisoire déposées à compter du 1er janvier 2024.

Le crédit d’impôt théâtre devait normalement cesser de s’appliquer aux dépenses engagées après le 31 décembre 2024. Il est reconduit pour trois ans (dépenses réalisées jusqu’au 31 décembre 2027). En outre, la loi de finances pour 2024 étend ce crédit d’impôt aux spectacles de cirque. Cette mesure est applicable aux demandes d’agrément à titre provisoire déposées à compter du 1er janvier 2024.

Un nouveau crédit d’impôt en faveur des investissements dans l’industrie verte

La Loi de finances instaure un crédit d’impôt temporaire en faveur des entreprises qui réalisent des dépenses d’investissement dans les secteurs d’activité contribuant à la production de batteries, de panneaux solaires, d’éoliennes ou de pompes à chaleur.

Le bénéfice du crédit d’impôt est subordonné à l’octroi d’un agrément préalable du ministère chargé du Budget sur le plan d’investissement de l’entreprise (le crédit d’impôt est conditionné à la réalisation de nouveaux investissements).

Le taux du crédit d’impôt est fixé, en principe, à 20% ; mais il varie en fonction de la taille de l’entreprise et de la localisation des investissements. Il peut atteindre 60 %.

L’entrée en vigueur de ce dispositif est conditionnée à la publication d’un décret et à une autorisation de la Commission européenne.

Bouclier tarifaire et amortisseur électricité

Bien que l’énergie ne devrait pas connaître en 2024 de flambée des prix comme cela a pu être le cas en 2022 et en 2023, le bouclier tarifaire sur l’électricité, qui s’adresse aux petites entreprises, est maintenu pour un an supplémentaire, avec un fonctionnement similaire.

À l’instar du bouclier tarifaire, l’amortisseur électricité, qui s’adresse aux autres entreprises ayant le statut de TPE/PME, est prolongé pour l’année 2024. Les entreprises ayant bénéficié de ce dispositif en 2023 n’ont pas à effectuer de nouvelle démarche pour 2024. C’est directement le fournisseur d’électricité qui fait bénéficier l’entreprise d’une réduction de prix communiquée par l’Etat.

Modification de certaines règles en matière de TVA

Un nouveau calendrier pour la facture électronique

– Obligation d’émission des factures sous forme électronique et de transmission des données de transaction et de paiement : à compter du 1er septembre 2026 pour les grandes entreprises, les ETI et les membres d’un assujetti unique, et à compter du 1er septembre 2027 pour les microentreprises, les TPE et les PME.

– Obligation de réception des factures électroniques : 1er septembre 2026 pour tous les assujettis, quelle que soit la taille de l’entreprise

Le Gouvernement se laisse la possibilité de reporter ces dates de trois mois, par décret.

Augmentation des seuils en franchise de TVA

En-dessous d’un certain niveau de chiffre d’affaires, les entrepreneurs sont dispensés de collecter la TVA. Et dans ce cas, ils ne la déduisent pas non plus. La loi de finances pour 2024 modifie ce régime à compter du 1er janvier 2025 (transposition en droit interne d’une directive européenne) et relève les seuils : 85 000 euros pour les opérations d’achat-revente et 37 500 euros pour les prestations de services.

Par ailleurs, il est désormais possible de bénéficier de ce régime de franchise dans un autre Etat membre de l’Union européenne, sous réserve que le chiffre d’affaires réalisé dans l’Union européenne ne dépasse pas le seuil de 100 000 euros.

Le régime de la para-hôtellerie est modifié

Par principe, les prestations de para-hôtellerie sont exonérées de TVA. Mais s’il y a d’autres prestations de services (petit-déjeuner…), alors l’activité est soumise à TVA. La loi de finances rajoute une condition supplémentaire : la durée.

L’assujettissement à la TVA, au taux de 10 %, est désormais conditionné au respect des deux conditions cumulatives suivantes :

– les prestations d’hébergement offertes à la clientèle ne doivent pas excéder 30 nuitées ;

– les prestations doivent inclure au moins trois des quatre prestations suivantes : petit-déjeuner, nettoyage régulier des locaux, fourniture du linge de maison et réception de la clientèle.

Il n’y a donc plus de distinction du régime selon la forme de l’hébergement touristique.

Cette mesure est applicable à compter du 1er janvier 2024.

Location de biens meubles à des non-assujettis hors UE

La loi de finances pour 2024 modifie les règles de territorialité des locations de biens meubles corporels (autres que les moyens de transport) à destination de personnes non-assujetties établies hors de l’Union européenne.

Depuis le 1er janvier 2024, ces opérations sont soumises à la TVA française lorsque les biens en cause sont utilisés en France, peu importe le lieu d’établissement du prestataire.

Durcissement des taxes sur l’immatriculation des véhicules

Dans le but d’accélérer le verdissement du parc automobile, la loi de finances pour 2024 aménage les taxes sur les véhicules :

– augmentation des tarifs des malus CO2 (montant maximal porté de 50 à 60 000 euros au-delà de 225 g/km) et malus au poids à compter de 2024 (instauration d’un barème progressif allant de 10 à 30 euros/kg) ;

– fin de l’exonération des véhicules hybrides électriques rechargeables, le 31 décembre 2024 ;

– aménagements divers concernant le malus au poids.

Concernant les taxes sur l’affectation des véhicules à des fins économiques (ex-TVS), rappelons qu’il existe deux taxes : l’une sur les émissions de CO2, l’autre sur l’ancienneté du véhicule. Les barèmes de la taxe annuelle sur les émissions de dioxyde de carbone sont révisés avec la mise en place d’un barème progressif pour les impositions 2024 à 2027 ; et la taxe annuelle sur l’ancienneté est transformée en taxe annuelle sur les émissions de polluants atmosphériques.

Suppression… progressive de la CVAE

La loi de finances pour 2023 prévoyait la suppression de la CVAE à compter de 2024. La loi de finances pour 2024 modifie le calendrier de cette suppression annoncée, selon les modalités suivantes :

– Suppression de la CVAE dès 2024 pour les redevables de la cotisation minimum ;

– Pour les autres redevables, le taux d’imposition de la CVAE sera progressivement abaissé à 0,28 % pour les impositions 2024, à 0,19 % pour les impositions 2025 et à 0,09 % pour les impositions 2026.

La CVAE disparaîtra totalement en 2027.

Comme la suppression totale de la CVAE, la réduction du taux du plafonnement de la CET en fonction de la valeur ajoutée à 1,25 % est reportée à 2027.

 Focus sur le contrôle fiscal

Les peines sont aggravées pour les fraudeurs

En cas de fraude fiscale aggravée, la loi de finances pour 2024 ajoute une peine supplémentaire : la privation du bénéfice d’une réduction d’impôt sur le revenu ou d’impôt sur la fortune immobilière. Cette mesure est applicable aux infractions commises à compter du 1er janvier 2024.

Contrôle fiscal et nouvelles technologies

La loi de finances pour 2020 avait lancé une expérimentation, pour une durée de trois ans, visant à autoriser le fisc et les douanes à collecter et à exploiter, au moyen de traitements informatisés et automatisés n’utilisant aucun système de reconnaissance faciale, les contenus librement accessibles sur les sites internet pouvant révéler l’existence de certains manquements. Cette expérimentation est prolongée pour une durée de deux ans. Les inspecteurs pourront par exemple créer des comptes sous pseudonyme. Cet élargissement est d’autant plus significatif lorsque l’on sait que 50 % des contrôles fiscaux sont déclenchés grâce à l’intelligence artificielle.

Les aviseurs fiscaux sont encouragés

Le « dispositif d’indemnisation » des aviseurs fiscaux est pérennisé. En clair, les personnes dénonçant des fraudes fiscales peuvent être rémunérées pour cela…

Vérification de comptabilité

Il a toujours été admis qu’une vérification de comptabilité puisse se tenir dans un lieu autre que l’entreprise, sous réserve d’une demande de la part de l’entreprise, et que ce changement de lieu soit accepté par les services de l’administration fiscale en charge du contrôle. La loi de finances pour 2024 aménage le principe légal du contrôle sur place afin d’autoriser l’administration à proposer la délocalisation des contrôles fiscaux externes. Cette mesure est applicable aux contrôles engagés à compter du 1er janvier 2024.

Mesures applicables aux dirigeants et aux travailleurs indépendants

> Alignement de l’assiette des cotisations sociales pour les travailleurs indépendants

Jusqu’à présent, les travailleurs indépendants (artisans, commerçants, professionnels libéraux, avocats, travailleurs non-salariés agricoles) cotisaient sur deux assiettes distinctes en fonction de la nature de leurs prélèvements. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 aligne l’assiette des cotisations sur celle de la CSG et CRDS et vient, de fait, créer une assiette unique. Seul petit problème : cette base est plus importante que la base « classique ». Afin de ne pas alourdir les cotisations sociales pour les TNS, l’assiette fera l’objet d’un abattement de 26 % et l’ensemble des taux doit être refondu. Toutefois, ceux-ci ne sont pas encore connus.

L’entrée en vigueur de cette réforme est prévue pour le 1er janvier 2025.

Crédit photo : PIxabay (cc)
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