Véronique Bouzou : « L’École fabrique des jeunes qui ne respectent plus rien »

Véronique Bouzou est professeur de français depuis une vingtaine d’années et enseigne dans un collège public de région parisienne. Elle vient de publier « Un monde sans profs », fiction dans laquelle elle décrit les problèmes qui minent le système scolaire français.

Entre difficultés de recrutement et démissions en série, le métier d’enseignant doit faire face aujourd’hui à une crise des vocations sans précédent. Qu’ils soient stagiaires, titulaires ou contractuels, qu’ils enseignent dans le public ou le privé, au niveau primaire, secondaire ou universitaire, tous les profs sont concernés, sans exception.

Mais alors pourquoi une telle désaffection pour le plus beau métier du monde ? Afin de comprendre les raisons profondes d’un tel désaveu, découvrons, le temps d’une année scolaire, le parcours de personnages fictifs représentatifs du corps enseignant que ce roman riche en rebondissements nous invite à suivre.

Confrontés à l’insécurité, l’entrisme islamiste, l’invasion des théories du genre, le harcèlement sur les réseaux sociaux, les mesures sanitaires disproportionnées, des salaires trop faibles, la pression de certains parents ou bien encore l’arrivée de l’intelligence artificielle, les défis ne manquent pas !

L’école n’étant finalement que le miroir de notre société, c’est surtout le « politiquement correct » qui a tué la vocation d’enseignant. Ce livre s’adresse bien sûr aux professionnels de l’éducation, parents et élèves mais également aux responsables politiques et médiatiques qui refusent que l’on s’achemine inéluctablement vers un monde sans profs.

Crédit photo : DR

[cc] Breizh-info.com, 2024, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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11 réponses à “Véronique Bouzou : « L’École fabrique des jeunes qui ne respectent plus rien »”

  1. Dany dit :

    En premier lieu c’est aussi directeurs d’écoles, aux recteurs,de faire régner l’ordre en expulsant de suite le perturbateur. Un bon discours en début d’année scolaire pour mettre au point les exigences, doublé d’une circulaire adressée aux parents. Et donc que les profs puissent appliquer leur programme . C’est si difficile?

  2. kaélig dit :

    Il est fini le temps des bonnes beignes ou giffles appliquées « avec amour et bonne humeur » que j’ai subi même à l’école des Curés et que j’ai pratiqué moi-même en tant que prof.

  3. abbe dit :

    On ne peut enseigner et transmettre ce qu’on est soi-même incapable d’admirer et qu’on tient pour suspect, voire méprisable. Car alors il n’y a plus rien à transmettre. On ne transmet pas sa haine ou sa honte, seulement son étonnement et son amour. J’ai eu la chance de connaître des enseignants, avant de le devenir moi-même grâce à eux, qui m’ont dit quand j’étais élève : « comme c’est beau ! » en nous récitant des vers de Racine ou en nous lisant une page de Rousseau (Jean-Jacques !). Aujourd’hui un enseignant de lettres doit dire : « ne vous laissez pas impressionner par tout ce baratin ! Soyez vigilants ! Ce sont tous des patriarches « hétérosexués » et esclavagistes qui battaient leur(s) femme(s) et violaient leurs enfants » Cela produit à la fin deux humanités bien différentes. Comme un partage de l’histoire du monde. Entre un monde qui savait encore admirer et un autre qui ne sait plus que soupçonner, nourri d’un ressentiment pathologique pour tout ce qui pourrait le dépasser un tant soit peu, lui montrer une image différente de lui-même.
    Quand on enseigne à l’École, ce qu’il faut bien encore nommer des « classiques », nos pédagogues exigent des enseignants qu’ils montrent combien tous ces classiques sont « modernes », et même mieux ne sont que « modernes » ! Il s’agit donc de ramener tout le passé à nous et à notre médiocrité présente, à l’étroitesse de nos névroses. C’est n’avoir décidément bien peu d’ambition de la part d’un monde qui ne cesse pourtant de prôner « l’ouverture à l’autre ». Et plutôt que de ramener toujours le passé à nous, il serait parfois souhaitable d’aller vers lui pour découvrir quelque chose qui ne soit pas le reflet de notre narcissisme, et faire, au sens étymologique, une véritable « expérience ». Un tel voyage, je vous le garantis, serait bien dépaysant : lui seul aurait une vertu pédagogique, c’est-à-dire aurait la chance de nous apprendre vraiment quelque chose sur nous-mêmes, sur ce que nous sommes devenus et là où nous risquons d’aller. Mais hélas la « cancellation » orwellienne est à l’œuvre, cet effacement de tout notre héritage, puisqu’il est bien connu, qu’il n’y a que des cadavres cachés dans nos placards. Et tout cela au son du gramophone qui ne cesse de répéter combien le moderne a raison, combien il faut « laissez les morts ensevelir les morts », comme le disait déjà le Crucifié, ce moderne d’avant la modernité, pour, au final, ne tolérer que l’amour, la bienveillance, le pardon, l’oubli, bref le vide ! En cela l’École des apprenants que j’ai quitté, s’y emploie avec acharnement. Quant aux enseignants, ils ne sont plus guère que des travailleurs sociaux ou des « coachs », auxiliaires du Ministère de la Justice ou des Sports.

  4. Ti yab dit :

    Le fond du problème lié aux comportements de ces jeunes qui ne respectent plus rien à toujours existé mais en petit nombre, ces hatitudes sociopathes sont devenus de plus en plus nombreux avec le temps et depuis environ une vingtaines d’années c’est un véritable fléau mais la cause n’est pas l’école même si cette structure est devenue avec le temps un lieu d’idéologies folles au lieu que ce soit un sanctuaire de transmission et de savoirs. La principale cause qui est encore aujourd’hui tabou, c’est l’éducation que ne donnent plus les parents démissionnaires. N’ayant plus de repaires, de limites, d’interdits, de sanctions, de valeurs, ces jeunes sont livrés à eux mêmes et se construisent sans éducation et vous avez le résultat de comportements irrespectueux dans les établissements scolaires. Ces nombreux parents démissionnaires produisent des jeunes qui sont pour la plupart haineux envers eux même et envers la société car ils n’on pas trouvé la sécurité, l’amour, les valeurs au seins de leur foyer. Ne demandez pas à un jeune d’être respectueux quand chez lui ses propres parents ne lui inculque rien. Sans compter ces réseaux dit social mais qui n’a rien de social et qui isole le jeune de vrais d’interaction sociales pour lequel bon nombre de parents se surveillent pas. Sans compter la disparition du service militaire qui apportait un certains nombre de valeurs à ces jeunes qui sortaient du nid familial. Les politiques sont complices de manœuvres qui on favoriser une déstructuration des valeurs sociétales et repères essentielles pour l’épanouissement d’un jeune.

  5. VV dit :

    Il faut bien ne rien connaître de l’EN pour penser que la situation est aussi simpliste. On dirait du macron

  6. abbe dit :

    On ne peut enseigner et transmettre ce qu’on est soi-même incapable d’admirer et qu’on tient pour suspect, voire méprisable. Car alors il n’y a plus rien à transmettre. On ne transmet pas sa haine ou sa honte, seulement son étonnement et son amour. J’ai eu la chance de connaître des enseignants, avant de le devenir moi-même grâce à eux, qui m’ont dit quand j’étais élève : “comme c’est beau !” en nous récitant des vers de Racine ou en nous lisant une page de Rousseau (Jean-Jacques !). Aujourd’hui un enseignant de lettres doit dire : “ne vous laissez pas impressionner par tout ce baratin ! Soyez vigilants ! Ce sont tous des patriarches “hétérosexués” et esclavagistes qui battaient leur(s) femme(s) et violaient leurs enfants” Cela produit à la fin deux humanités bien différentes. Comme un partage de l’histoire du monde. Entre un monde qui savait encore admirer et un autre qui ne sait plus que soupçonner, nourri d’un ressentiment pathologique pour tout ce qui pourrait le dépasser un tant soit peu, lui montrer une image différente de lui-même. Quand on enseigne à l’École, ce qu’il faut bien encore nommer des “classiques”, nos pédagogues exigent des enseignants qu’ils montrent combien tous ces classiques sont “modernes”, et même mieux ne sont que “modernes” ! Il s’agit donc de ramener tout le passé à nous et à notre médiocrité présente, à l’étroitesse de nos névroses. C’est n’avoir décidément bien peu d’ambition de la part d’un monde qui ne cesse pourtant de prôner “l’ouverture à l’autre”. Et plutôt que de ramener toujours le passé à nous, il serait parfois souhaitable d’aller vers lui pour découvrir quelque chose qui ne soit pas le reflet de notre narcissisme, et faire, au sens étymologique, une véritable “expérience”. Un tel voyage, je vous le garantis, serait bien dépaysant : lui seul aurait une vertu pédagogique, c’est-à-dire aurait la chance de nous apprendre vraiment quelque chose sur nous-mêmes, sur ce que nous sommes devenus et là où nous risquons d’aller. Mais hélas la “cancellation” orwellienne est à l’œuvre, cet effacement de tout notre héritage, puisqu’il est bien connu, qu’il n’y a que des cadavres cachés dans nos placards. Et tout cela au son du gramophone qui ne cesse de répéter combien le moderne a raison, combien il faut laisser les morts ensevelir les morts, comme le disait déjà le Crucifié, ce moderne d’avant la modernité, pour, au final, ne tolérer que l’amour, la bienveillance, le pardon, l’oubli, bref le vide ! Et l’École des apprenants que j’ai quittée s’y emploie quotidiennement avec acharnement. Quant aux enseignants, ils ne sont plus guère que des travailleurs sociaux ou des “coachs”, auxiliaires du Ministère de la Justice ou des Sports.

  7. patphil dit :

    manque de culture, manque de savoir, arrogance, l’enseignant doit transmettre, et surtout doit être supporté par l’administration.

  8. abbe dit :

    « L’École fabrique des jeunes qui ne respectent plus rien ». Ce propos rapporté, peut-être par simple commodité éditoriale, n’est pas sans susciter en moi bien des réserves ou des inquiétudes. Dire de l’École qu’elle « fabriquerait » quelque chose, ou plus étrangement encore quelqu’un, serait approprié si l’École était une usine et les élèves des fruits en conserve. Dans les années 70 du siècle dernier, la pensée progressiste et émancipatrice, disait de l’École qu’elle était une prison ou une caserne. Les insoumis de l’époque, il est vrai, rechignaient moins au productivisme industriel (c’était encore l’âge d’or du PCF!) qu’à l’oppression causée par les institutions ou les syllogismes de la raison.

    Je ne crois pas que l’École fabrique, séquestre ou encaserne. Sa seule raison d’être est d’élever des hommes en puissance, qui ne sont d’abord et encore, quand ils la fréquentent, que des enfants ou des jeunes gens. Et de les élever, c’est-à-dire de les faire grandir, de les agrandir, en leur transmettant une part de ce bien culturel commun à l’humanité qui, une fois acquis, fera d’eux des hommes véritables. L’École ne fabrique rien. Elle accomplit, elle parachève : elle permet à des petits d’hommes d’avoir la chance de réaliser concrètement leur humanité. Il ne faut pas lui en demander plus. Et surtout pas lui donner pour mission la tâche absurde et impossible de refaire le monde, d’en faire un monde parfait, égalitaire, inclusif, catholique où tous les hommes seraient enfin frères et sœurs, sans plus aucune frontière, genre ou inégalité pour les désunir, avec la naïveté de croire, de surcroît, que toutes les familles seraient heureuses et unies par nature.

    Quant à appeler l’élève « un jeune », et transformer un simple adjectif pour en faire un nom commun, c’est commettre la faute d’essentialiser la jeunesse, elle qui n’est, somme toute, qu’un simple accident, un moment éphémère dans la vie humaine, une étape de sa condition. On n’est pas « un jeune », cela n’a aucun sens. On est seulement un homme d’abord jeune, puis moins jeune, puis plus vieux, puis très vieux, frêle esquif dont l’existence court de sa mise à l’eau jusqu’à son naufrage. Je ne sais pas ce que sont « les jeunes ». Je n’ai connu, au long de ma carrière, que de jeunes hommes et de jeunes femmes, qui avaient tous pris un sérieux coup de vieux après quelques années d’école. Et qui au sortir de leur scolarité étaient devenus pour la plupart des adultes avec qui on pouvait causer.

  9. Alice Molinier dit :

    @abbe Bonjour,
    « L’École ne fabrique rien. Elle accomplit, elle parachève : elle permet à des petits d’hommes d’avoir la chance de réaliser concrètement leur humanité. Il ne faut pas lui en demander plus. »
    Votre vision est celle d’un rêveur.
    L’école est bien devenue, au fil du temps, une « fabrique de crétins » quand on voit qu’un grand nombre de petits grimauds, à l’entrée en 6eme de collège, ne sait ni lire, ni écrire, ni calculer correctement.
    Il faut revoir de fond en comble les méthodes d’apprentissage, la rigueur et la discipline qui vont avec. Aujourd’hui, on a renié les méthodes pédagogiques sûres, efficaces qui ont fait leurs preuves; on a associé le jeu à l’apprentissage alors que des pédagogues clairvoyants nous disent qu’il y a temps pour jouer et un autre pour apprendre. L’école « ancienne » mettait ces notions en pratique. Certains se souviennent d’une école où les enfants savaient, en fin de cursus primaire, analyser correctement une phrase, reconnaitre une proposition indépendante, une principale et une subordonnée, une école où l’on savait identifier la nature grammaticale des mots et leur fonction dans la phrase. Aujourd’hui, rien de tout cela. À l’entrée en 6eme, c’est la débâcle totale, la langue écrite n’est qu’un vulgaire charabia et le vocabulaire est d’une pauvreté lamentable.
    Au Collège, l’enseignement de la grammaire (ce qu’il en reste) se réduit à la « grammaire de texte » où l’on prend une notion ici, une autre là, une autre ailleurs, au gré d’un texte. C’est une catastrophe pour l’étude de la langue qui ne permet aucune progression rationnelle, contribuant à noyer encore plus les enfants.
    À cette absurdité pédagogique s’ajoute bien sûr, le manque, pour ne pas dire l’absence de lecture dans notre société où l’image et l’écran ont remplacé le livre. Le rôle des parents est fondamental mais l’école, depuis longtemps, a démissionné car elle ne transmet plus ce qui doit l’être, comme il doit l’être.
    Au manque de rigueur et de méthode, s’ajoute enfin le manque de discipline. L’enfant est devenu Roi dans un royaume qu’il ne lui appartient pas de gouverner mais dans lequel il exerce de plus en plus de pouvoir.
    Cet effondrement de l’école est voulu. L’EN, depuis 40 ans, est un navire à la dérive, progressivement et sûrement sabordé par nos gouvernants et nos élites qui ont choisi de mettre leurs progénitures dans le « privé grand chic » pour leur éviter le crétinisme, les violences physiques et le langage ordurier.
    Les enfants qui, à la maison, peuvent bénéficier du soutien de parents instruits échapperont au naufrage. La plupart, dépourvue d’un esprit critique suffisamment solide, rejoindra le grand troupeau docile.
    L’univers de George Orwell, décrit dans son roman « 1984 », n’est plus de la science fiction.

    Voici ce qu’écrivait jean Paul Brighelli dans son livre « La fabrique du crétin »
    « L’École de la transmission des savoirs et de la formation des citoyens est à l’agonie. Elle accomplit aujourd’hui ce pour quoi on l’a programmée voici un demi-siècle : adaptée aux nécessités du marché, elle fabrique à la chaîne une masse de consommateurs semi-illettrés et satisfaits d’eux-mêmes. Soucieuse d’élaborer enfin l’égalité promise par la République en nivelant par le bas, elle a réussi à détruire ce que la France avait mis deux cents ans à élaborer.»

  10. abbe dit :

    (suite et fin)

    Quant à prétendre que les « jeunes » ne respectent plus rien, c’est là, me semble-t-il, un raccourci qui évite d’aborder le fond du problème. Le problème, en effet, est moins celui d’une prétendue disparition du respect que d’un changement radical portant sur les choses que l’on respecte ou pas. Et ceux qu’on dit ne rien ou ne plus rien respecter – si l’on croit que le respect « se perd » ou s’est perdu, comme dirait la chanson –, pour dire qu’ils ne respectent pas, par exemple : les lois de la République ou l’autorité des personnes censées les incarner, ceux-là sont bien les premiers à respecter, sans barguigner, des lois religieuses qu’ils tiennent pour supérieures, c’est-à-dire plus respectables ou sacrées, à leurs yeux, que celles ordinaires de l’État français dans lequel ils vivent (et dont ils sont citoyens !), fruit de la législation parlementaire et de la jurisprudence du Conseil d’État.

    Le respect n’est donc pas en passe de disparaître puisqu’il est toujours un signe de soumission, condition de tout devenir humain, de tout accès à cet ordre symbolique proprement humain où la loi marque, par le moyen du langage que l’on parle, la place indéfectible de chacun, celle par exemple d’être un enfant, fidèle ou « sage », soumis à un seul Dieu, à des aînés, à des pères, parfois à des mères, à des autorités, comme on dit. Tu seras toujours de ta naissance à ta mort, le fils ou la fille de tes parents, et bien après que ceux-ci seront morts et enterrés – mais le sont-ils jamais tout à fait du reste ? Qu’on me trouve une pareille condition chez les animaux, en dépit des superficielles analogies avancées par nos éthologues pour assurer que les animaux sont bien des hommes comme les autres.

    Les enfants des quartiers « sensibles » qu’on dit les moins respectueux n’ont décidément que ce mot à la bouche – « on nous manque de respect » – et sont prêts à se soumettre très respectueusement aux prescriptions du coach de leur club de football, à celles de l’imam de leur mosquée, ou du grand frère, en charge de l’ordre social et moral dans les quartiers « en tension », quand le business lui en laisse l’occasion. Quant à l’Islam, dans sa vision féodale du monde, disons franchement pré-démocratique au regard de nos critères de droit naturel, il exige un absolu respect, une absolue soumission du croyant au service de Dieu et de son Prophète, chef politique et religieux des croyants. Là-dessus il ne s’agit pas de rigoler, comme le montre assez clairement l’actualité récente. Non, décidément le respect a de beaux jours devant lui, tout comme cette sinistre éthique de la vassalité et de la soumission qui l’accompagne nécessairement. Ce qui a disparu, et qui est le drame de l’École et un drame pour l’École, c’est plutôt l’admiration. Elle reste, tout comme le respect, dans le registre du regard ou de l’égard, de la considération. Avec cette différence capitale que le respect éveille toujours un peu notre crainte alors que l’admiration exalte notre ferveur. Si par le respect on devient le serviteur d’un maître, par l’admiration on devient le disciple d’un maître. Mais ce n’est pas du tout le même maître, il faut en convenir : le premier nous domine et nous diminue, le second nous élève et nous augmente. On éprouve finalement du ressentiment et de la haine pour le premier. On éprouve de la gratitude et de l’amour pour le second.

    Bien sûr pour admirer encore faudrait-il que ceux qui enseignent éprouvent eux-mêmes ce sentiment et trouvent qu’il existe des choses admirables à transmettre. Comment susciter l’admiration quand on pense qu’il n’y a rien à voir, sinon partout des imposteurs ou des criminels ? Un enseignant ne devrait pas être un juge d’instruction ou un journaliste d’investigation de Médiapart. Mais un enseignant peut-il être autre chose, au final, que ce que l’École qu’il aura fréquentée aura fait de lui ? A supposer seulement qu’il reste assez de fous ou de gens mal informés désireux à l’avenir d’entrer dans la carrière quand leurs aînés n’y seront plus.

  11. abbe dit :

    Mme Molinier,

    Permettez-moi de vous répondre et de préciser les propos du rêveur que je suis – terme qui me convient tout à fait quand on sait que parfois les rêves nous éclairent plus qu’ils nous égarent.

    Je fais bien la différence entre une idée, une finalité de l’École, qu’il faut rappeler de temps en temps pour de pas charger l’École de missions qui lui sont étrangères (refaire le monde, rendre les hommes meilleurs, résoudre les crises sociales diverses, reconquérir l’Éden) et la réalité de l’École, laquelle n’est pas un rêve effectivement mais bien un cauchemar. Ce que vous dénoncez de sa réalité apocalyptique, j’y adhère pleinement. Il n’y a pas sur ce point de désaccord entre nous. Mais le cauchemar auquel nous sommes confrontés est aussi largement entretenu par notre incapacité à être clair et modeste sur ce qui devrait être notre but. Car à force de viser des buts moraux, politiques ou sociaux, on oublie que le seul but de l’École est d’instruire – et non d’éduquer, ce qui devrait être le rôle des parents, il me semble.

    Mes propos visaient moins les élèves que les enseignants eux-mêmes et au-delà les pédagogues et les idéologues de l’École qui ont conduit à ce désastre effrayant. Quant aux élèves, je dois comme vous constater que peu d’entre eux sont capables d’écrire deux lignes qui soient intelligibles, par défaut de vocabulaire, d’orthographe, de grammaire, de logique. La misère que vous signalez est en effet insondable.

    Mais comment espérer y remédier quand certains collègues, mus par une compassion militante et quasi christique, viennent aussi à parler comme leurs élèves, trouvant parfois que les instruire serait accroître les effets de leur domination en leur imposant une culture patriarcale, occidentale censée ne pas être la leur ? A leurs yeux, l’enfant n’est plus membre de l’humanité mais de la communauté d’origine de leurs parents, et puisqu’il est entendu que tout se vaut, au nom de quoi préférer l’universel (la science, la culture) aux bornes de son clocher ou de sa mosquée (les traditions, le folklore) ? Il n’y a plus grand chose à faire quand on croit qu’instruire quelqu’un c’est l’humilier parce que ce serait lui imposer ce qu’il ne sait pas, et lui nuire, en outre, en lui imposant quelque chose qui lui serait étranger et nierait son origine ethnique et son état de dominé. Que faire quand le multiculturel s’est substitué à la culture, et s’y est substitué au nom de la tolérance et de l’amour de l’autre ? Que faire quand l’universel n’est plus vu comme émancipateur mais comme oppressif et fasciste ?

    Jadis un enseignant cherchait, en instruisant un enfant, à le sortir de l’enfance, à l’introduire dans le monde des adultes. Mais est-ce encore possible si le monde des adultes est tenu pour un monde d’esclavagistes blancs, responsables de tous les malheurs du monde ? Cette bonne conscience de gauche, qui racialise à nouveau le monde au nom d’une lutte contre le racisme, en revient, sans le savoir, à reconduire les pires errements des nationalistes français qui dénonçaient au siècle dernier la science « allemande » ou ceux des nazis, la science « juive ». Comment enseigner les mathématiques si les mathématiques ne sont plus une science, mais l’expression d’une domination illégitime, au motif que beaucoup de mathématiciens dans l’histoire serait des hommes de sexe masculin et des blancs ?

    Je dois instruire un ignorant coûte que coûte, en le forçant, voire en contrariant son désir qui serait qu’on le laisse dans son ignorance, tranquille, à jouer dans son coin, pendu à son smart-phone. C’est bien l’ignorance qui est un ennemi, et elle seule, pas ceux qui la dénoncent et qui la combattent, quand d’autres montrent de la complaisance pour elle afin de ne pas vexer les ignorants confrontés à leur ignorance. Honte à eux, surtout quand ils sont enseignants. Un enseignant ne doit pas avoir mauvaise conscience, c’est-à-dire enseigner ce qu’il enseigne en regrettant de devoir l’enseigner !

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