Pierre d’Herbais a rencontré Philippe Murer pour Breizh-Info. Dans cette entrevue exclusive, l’économiste et professeur à la Sorbonne dévoile ses solutions préventives face aux enjeux économiques pressants de la France. Comment la vision souverainiste qu’il défend sera-t-elle accueillie par nos responsables politiques ? Explorez les détails de cet entretien, offrant des éclairages pertinents sur les possibles voies à suivre pour éviter un effondrement économique.
Breizh-info.com : Pouvez-vous expliquer en quoi consiste, selon vous, le souverainisme économique et pourquoi vous le soutenez ?
Philippe Murer : Précisons tout d’abord que je défends à la fois la souveraineté nationale et l’identité nationale. Ce sont les deux faces de la même médaille : si la France n’a pas la capacité de décider et d’agir, elle ne pourra pas défendre son identité, les autres ne défendront pas notre identité française à notre place. Si nous ne savons pas qui nous sommes, décider de notre avenir n’a pas de sens (pour un pays comme pour un individu d’ailleurs).
Un pays est entièrement souverain ou il ne l’est pas. Ainsi, si un pays n’a pas la capacité de se protéger en n’ayant pas d’armée, un pays voisin pourra faire pression sur lui dans le champ militaire pour influer sur sa politique économique. Je défends donc la souveraineté nationale qui permet d’avoir une politique économique propre, établie et mise en œuvre dans l’intérêt supérieur du pays. La politique économique est d’ailleurs définie en rapport avec l’identité française : les Français ayant une identité, une personnalité très différente des Allemands, ce qui fonctionne bien en France ne marche pas forcément en Allemagne et inversement.
Le retour de la souveraineté nationale et la défense de l’identité nationale passe par la sortie de l’Union Européenne
Breizh-info.com : Quels sont les avantages que la France pourrait tirer d’une approche économique plus souveraine ?
Philippe Murer : Rappelons que c’est l’Union Européenne qui gère l’essentiel de la politique économique : politique commerciale, gestion de la monnaie et des banques, forte influence sur la politique budgétaire, règle de la concurrence libre et non faussée, politique agricole …
Les pays européens dont la France voient leur économie s’affaiblir depuis plus de 20 ans. La France est au milieu de peloton. Aujourd’hui, c’est l’Allemagne qui est en proie à des problèmes économiques graves, avec quasiment 0 croissance depuis fin 2017 (et une industrie qui dévisse de 15% sur la même période). L’Union Européenne est le trou noir de la croissance dans le monde. C’est logique, le seul déterminant de la politique économique en Europe, est un dogme, une fausse promesse : « Le commerce international, c’est la prospérité et la paix ». Les résultats très négatifs démontrent s’il le fallait que cet adage est faux. En plaçant l’industrie européenne en concurrence frontale avec les pays à bas salaires, en refusant toute protection et toute politique réfléchie pour nos industriels, l’UE détruit notre industrie qui est la clé de notre prospérité.
Voici pourquoi il n’y a plus de croissance dans tous les grands pays européens, voici pourquoi les Européens s’appauvrissent.
Quand la France sortira de l’Union Européenne, elle pourra enfin donner un coup de pied au fond de la piscine, reprendre de l’oxygène et prendre enfin la bonne direction. Nous pourrons progressivement protéger nos industriels par des normes techniques ou par des tarifs douaniers afin de redévelopper notre industrie. Nous pourrons imposer un affichage systématique et très lisible des produits fabriqués en France ou ailleurs, afin que les consommateurs puissent favoriser quand ils le peuvent l’industrie ou l’agriculture française ; ce genre d’obligation est aujourd’hui proscrite par Bruxelles. Nous pourrons influer pour que le taux de change du franc soit au niveau le plus adapté pour notre pays, et non un taux de change du franc qui convient plus ou moins aux 19 pays utilisant l’euro. Nous pourrons soutenir fortement nos entreprises en sortant du marché de l’électricité pour diviser par deux le prix de notre électricité (prix de vente de 25 centimes aujourd’hui pour un prix de revient de 6 centimes aujourd’hui !). Pour développer notre industrie et notamment l’industrie de demain, nous pourrons utiliser à nouveau l’Etat stratège qui a toujours réussi à la France (Colbert, de Gaulle) et qui a conduit aux grands succès de l’industrie française : l’aviation, le plan nucléaire, l’industrie de défense, les télécoms avant la destruction d’Alcatel par le libre-échange…Nous pourrons ainsi mettre en place un plan Messmer 2 pour augmenter fortement le nombre de centrales nucléaires afin de répondre aux besoins en énergie peu chère et propre de notre pays. Nous pourrons mettre tous les moyens pour qu’Airbus puisse sortir dans les 10 ans son avion à hydrogène, hydrogène à coût bas produit par de l’électricité française puis acheminé dans les aéroports français. Nous pourrons imposer pour les transports aériens nationaux cet avion à hydrogène puis mettre devant leurs promesses écologiques les autres pays d’Europe pour l’imposer dans les transports aériens européens. Tout cela est évidemment préférable à la volonté de réduire les vols en avion à quatre pour une vie, comme le proposent les escrologistes.
En utilisant les politiques monétaires, commerciales, l’Etat stratège et toutes les armes économiques possibles, nous pouvons assurer un avenir meilleur à notre économie et donner ainsi un avenir digne aux Français. Et nous pouvons décider quelles innovations sont les meilleurs pour notre pays, quelles « innovations » détruisent notre force en tant que peuple : je ne pense pas que laisser robotiser, déshumaniser tous les magasins avec des caisses automatiques est une bonne chose pour les Français : comment garder notre humanité si nous n’avons plus affaire qu’à des magasins vides d’hommes et peuplés de robots, est-ce une bonne chose de priver 180.000 caissières de leurs emplois et de les confiner au RSA chez elles ? Si la robotisation est obligatoire dans l’industrie pour faire face à nos concurrents internationaux, la robotisation dans les services ne l’est pas et le choix de leur avenir doit être tranché par les Français donc par un référendum.
En redevenant souverain, nous pouvons décider quel avenir est le plus souhaitable pour notre pays et tout faire pour y parvenir.
Breizh-info.com : Comment percevez-vous les implications du souverainisme économique sur la coopération et la compétition internationales ?
Philippe Murer : De nombreux pays utilisent le maximum de leviers économiques nationaux pour accroître leur prospérité et leur industrie : la Corée du Sud, la Chine, Singapour, la Suisse… La France doit faire de même. Elle ne pourra pas à elle-seule détruire l’idéologie mondialiste qui est une émanation de l’hégémonie américaine, certes de plus en plus contestée. La France peut et doit se protéger pour pouvoir se développer au lieu de se nécroser ; elle doit peser en faveur d’un monde multipolaire avec des nations libres qui défendent leurs intérêts et leur modèle de développement propre. La coopération ne doit plus être faite au niveau supranational avec des Institutions qui dicte leurs conditions aux Etats mais librement, au niveau international.
Remarquons que le commerce mondial ne progresse plus depuis plus de 10 ans et que ce n’est plus un facteur de croissance. En utilisant sa souveraineté, la France doit retrouver une croissance plus endogène. Cela passe par une augmentation des salaires au fur et à mesure des progrès que nous réaliserons pour que la hausse de la demande induite par la hausse des salaires permette de faire progresser la production : nous avons oublié des évidences, que l’offre, la production, est absorbée par la demande, les salaires. Ce ressort est cassé ce qui est négatif pour les salariés qui s’appauvrissent mais aussi pour les entreprises qui ont moins de demande et donc moins d’activité.
Remarquons que la croissance devenant plus endogène, cela réduira la compétition à un niveau supportable pour tous. Trop de compétition abîme, aucune compétiition affaiblit.
Breizh-info.com : En quoi consiste votre vision de l’alternative localiste sur le plan économique ? Comment les initiatives locales peuvent-elles contribuer à renforcer la souveraineté économique d’un pays ? Quelles sont les principales mesures concrètes que vous préconisez pour favoriser le développement économique à l’échelle locale ? Quels sont les exemples de réussite que vous identifiez dans des initiatives économiques locales en France ou ailleurs ?
Philippe Murer : Produire et consommer en France plutôt que produire au bout du monde pour consommer en France, c’est déjà une forme de localisme, que des lois peuvent facilement favoriser : marquage obligatoire du fabriqué en France ou ailleurs, protectionnisme technique ou par des droits de douane…
Pour que les gens consomment des produits fabriqués très localement, il est difficile et délicat de l’imposer par des obligations et par des lois. Je défends le localisme qui permet l’ancrage dans un territoire, un mode de vie respectant l’environnement et des liens affectifs avec les personnes proches de soi. L’Etat et le pouvoir local peuvent favoriser ce phénomène par des incitations. L’essentiel de ce phénomène est immatériel : il dépend de l’affectio societatis des personnes qui résident dans une région de France. Je vous raconte une anecdote sur le localisme : en vacances dans la région du massif des Baronnies (Drôme), j’ai remarqué que le localisme jouait à plein car les habitants et les commerçants y participaient spontanément, volontairement. Même le supermarché local vendait de la viande d’agneau produite localement en l’affichant fièrement. Il y avait une forme de solidarité naturelle, de protection de la production locale qui ne se décrète pas. L’agriculture locale est aussi une mosaïque de culture posée sur les montagnes : deux rangs d’abricotiers côtoient cinq rangs de vignes et quatre de lavandes. C’est à la fois une agriculture respectant l’environnement et une consommation respectant l’environnement. Tout cela vient du cœur et il est difficile de le décréter.
Le pouvoir peut au mieux l’inciter et le promouvoir. Les collectivités locales peuvent aider au développement de magasins tenus par des agriculteurs à tour de rôle, qui leur permettent de vendre une belle production locale à un prix très raisonnable, sans intermédiaire et en internalisant toutes les marges. La location par les mairies d’un terrain ou d’un bâtiment à prix raisonnable, la délivrance d’un permis de construire dans de bonnes conditions peut débloquer la situation. Les cantines scolaires peuvent s’approvisionner en priorité auprès de producteurs locaux mais cela demande plus de travail que d’être livré par un seul géant de la restauration. Le développement excessif de Rungis et une forme de désertification agricole a été un obstacle au localisme. Cela multiplie les intermédiaires, les transports et augmente les prix. Je vous donne là aussi un exemple. En Provence où j’habite aujourd’hui, un marché de gros local permet aux commerçants du coin de s’approvisionner en fruits et légumes près de chez eux. L’agriculteur est mieux payé, le commerçant a des produits locaux à prix abordables car il n’y a pas d’intermédiaires. La conséquence est que l’épicerie de mon village vend ses fruits et légumes à des prix équivalents à l’hypermarché du coin qui s’approvisionne sans doute à Rungis. Tout le monde est gagnant sauf les gros acteurs et les intermédiaires. L’Etat ferait bien de favoriser ces marchés de gros locaux en lien avec les départements.
Pour ce qui est de l’industrie, la tendance étant aux grandes installations et aux économies d’échelle, il est plus difficile d’avoir une industrie locale pour servir les locaux à de rares exceptions près. Le développement de l’industrie locale se fera s’il y a relocalisation de l’industrie en France par le biais d’un protectionnisme intelligent. Le débouché sera le plus souvent national. Une politique d’aménagement du territoire permettra d’aider toutes nos régions à bénéficier de la prospérité qu’apporte l’industrie.
Breizh-info.com : Comment conciliez-vous le souverainisme économique avec la réalité d’une économie de plus en plus mondialisée ? Quel est votre avis sur les accords commerciaux internationaux et leur impact sur la souveraineté économique des nations ? Existe-t-il des exemples de pays ou de régions qui ont réussi à maintenir une forte souveraineté économique tout en étant actifs sur la scène internationale ?
Philippe Murer : La période de mondialisation économique est derrière nous. Elle était le pendant et provenait de la volonté de l’hégémon américain. Au niveau planétaire, la part des échanges baisse relativement à la production de richesse mondiale. Le phénomène de démondialisation a commencé. Encore faudrait-il que la France et le continent européen ne soient pas les dindons de la farce en continuant à jouer tout seul le jeu de la mondialisation. Sur certains produits clés comme la production de batteries pour les voitures électriques ou la fabrication de puces, les gouvernements occidentaux subventionnent à coup de milliards d’euros la localisation d’usines sur notre sol.
Les accords commerciaux sont trop libre-échangistes et les droits de douane tendent vers 0. Les droits de douane moyens dans l’Union Européenne ne sont plus que de quelques pourcents. Ils mettent en concurrence frontale les Européens et le reste de la planète. C’est complètement excessif. Il faut des droits de douane suffisants pour que chaque pays puisse développer une industrie et assurer sa prospérité. Ce phénomène est inéluctable car une donnée majeure est en train de bouleverser les choses : la baisse de la natalité en Chine est telle que la population en âge de travailler sera divisée par deux en 25 ans. La situation est équivalente dans le reste de l’Asie à l’exception de l’Inde qui a un peu de retard (taux de fécondité de 2,05). Produire chez nous notre production est donc encore plus nécessaire.
Aucun pays ne peut vraiment tout produire vu la pression importante qu’a eu le phénomène de mondialisation. La Chine qui a tiré les marrons du feu de la mondialisation avec une politique d’indépendance nationale, une population importante et des petits salaires est le pays qui s’en approche le plus. La Suisse a su garder des pans de souveraineté avec une politique protectionniste dans certains secteurs comme l’agriculture alors que c’est un pays montagneux. Le Japon a aussi une véritable politique économique, industrielle qui permet à ce pays de continuer à augmenter sa prospérité malgré une population en décroissance. Nous devons nous inspirer de ces exemples même si toutes les mesures prises dans ces pays ont souvent été utilisées dans le passé en France !
Breizh-info.com : Comment encourager la participation des citoyens à l’économie locale selon votre perspective ? Dans quelle mesure les modèles économiques locaux peuvent-ils renforcer le lien social au sein des communautés ? Quel rôle les consommateurs jouent-ils dans la promotion d’une économie plus locale et souveraine ?
Philippe Murer : Les modèles économiques locaux renforcent naturellement le lien social : celui qui achète dans un marché local le fait avec un paysan du coin ou pour un paysan ou petit fabricant du coin. C’est tout l’affectio societatis qui se développe ainsi.
Les consommateurs peuvent renforcer cette économie locale mais encore faut-il qu’ils le veuillent, qu’ils en aient les moyens et/ou le temps. L’équation n’est pas évidente. L’attrait écologique des modèles en circuit court est un atout pour développer ces achats de proximité.
Encourager ces initiatives passe par la promotion intelligente des circuits courts, de la production et de la vente locale, la défense de l’identité régionale qui se surajoute à l’identité nationale.
Une promotion culturelle mais aussi une promotion économique de ces initiatives par tous les moyens incitatifs possibles. C’est aux acteurs régionaux d’inventer ces modèles localistes en fonction de leurs atouts et de leur culture locale.
Propos recueillis par Pierre d’Herbais
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7 réponses à “Philippe Murer : « Le retour de la souveraineté nationale et la défense de l’identité nationale passe par la sortie de l’Union Européenne » [Interview]”
Vivement un référendum sur le Frexit pour quitter l’UERSS, cette dictature insensée.
Excellent!
Si seulement nos politiques étaient suffisamment intelligents pour lire cet article et tenir compte des avis de Personnes (comme ce Monsieur) qui aiment réellement ce pays, on n’en serait pas là…
Bien sur que l’on peut l’arreter tout en restant dans l’union européenne (c’est ce que fait -entre autre- le Portugal)
CE: 31 Janvier 2024, nous venons d’assister à » LA RAFLE DE RUNGIS « , L’histoire se souviendra,
frexit et vite
https://youtu.be/4mL0SVWTiyo?feature=shared
TV Liberte/ interview Asselineau pour ceux que ça interesse.
Tout y passe ; agriculture, attal, thierry breton, la hyene etc
Il faut créer une Europe fédérale avec la Russie ou chaque pays fera en son âme et conscience d’efficacité pour son pays, les choix sociaux avec 30% de charges sociales en moins, autant que 30% de salaire en plus. Avoir une économie d’importation en fonction des besoins puisque on produit chez nous. Donc inutile de faire parcourir des milliers de kilomètres a des denrées que nous avons chez nous. Dans les produits manufacturés venant d’Asie de Chine d’Inde il faut redevenir compétitif. C’est bien beau de le dire et l’écrire encore faut-il des financements et un vouloir politique qui est à la solde des USA via l’Europe et ses dirigeants imposés. La Russie a demandé 3 fois de partager l’espace économique européen, refusé par les USA en faillite avec près de 50’000 milliards de dettes insolvables. Le comble d’être commandé par un pays qui n’a rien à faire et décider en Europe, ou de faire des guerres contre la Russie pour le gaz et pétrole. Enfin l’Allemagne et la France pleurent mais ont choisi leurs camps l’Oncle Sam qui de fait détruit l’Allemagne et la France en dictature démocratique, en faisant sauter nord stream 1 et 2 le comble du terrorisme d’état des USA comme toujours.