En 2020, le recensement agricole en France, sur tous types de productions, comptabilisait 4 fois moins d’exploitations qu’en 1970, soit de 1.587.600 à 390.000 fermes, avec plus de 100.000 perdues rien qu’entre 2010 et 2020 (1). Agriculteur n’est plus le métier d’une vie, certains ayant une vie professionnelle avant ou après, et d’autres prenant leur retraite en anticipé.
L’importance de la transmission, comme un passage de témoin, est donc un sujet capital
L’attractivité de la reprise d’une ferme
Jusqu’à nos jours, alors que la transmission familiale primait, désormais la reprise d’une ferme n’est plus l’affaire d’un héritage familial mais de plus en plus un véritable choix, dans le but d’embrasser un nouveau mode de vie et d’amorcer un tournant vers une nouvelle carrière. Depuis une dizaine d’années, les profils des nouveaux “chefs d’exploitation” ont évolué. Ils viennent de tous horizons, sont d’âges variés, et il y a bien plus de femmes.
Installée en 1995 dans la ferme d’Ille et Vilaine de ses beaux-parents avec son mari, Isabelle Petitpas confie que l’impulsion est venue d’elle : “Je viens de région parisienne où j’étais assistante commerciale dans une société d’informatique. Découvrir la vie en extérieur, au cœur de la campagne, cela a changé ma perception du quotidien. C’est la vie que je voulais pour ma famille et j’ai poussé mon mari à m’accompagner dans la reprise de la ferme de ses parents.”
Isabelle, 59 ans, travaille sur l’exploitation depuis 28 ans, comme productrice Biolait, et va passer le flambeau à son fils l’an prochain. “C’était la vie rêvée mais je suis contente de donner l’occasion à d’autres de la vivre.” Pouvoir réunir sa vie de famille et sa vie professionnelle, élever ses enfants en pleine nature et travailler avec son mari, ce fut pour Isabelle comme “l’impression d’être en vacances depuis plus de 20 ans.”
Travailler à la ferme peut sembler physique pour la manipulation des machines, le travail de la terre ou contraignant pour les horaires, la traite quotidienne. Avec aussi une rémunération qui n’est pas toujours à la hauteur de l’effort fourni. Cependant Isabelle l’a fait avec plaisir car elle a pu gérer son temps et son mode de vie… Malgré les contraintes, c’était avant tout une forme de liberté pour elle.
Et c’est la vie que son fils Antoine choisit aussi en reprenant la suite de sa mère. Officiellement salarié sur la ferme de ses parents depuis août 2023, Antoine va travailler aux côtés de son père. A 34 ans, après des études en biologie et écologie, Antoine n’a eu que des métiers qui n’avaient pas de résonance avec ses valeurs personnelles. Lorsqu’il teste l’univers agricole, c’est d’abord un travail alimentaire mais peu à peu le projet de s’installer mûrit et prend forme.
Élever ses enfants au milieu de la campagne, aménager son temps de travail, ne pas perdre de temps inutilement dans les déplacements, c’est le quotidien qu’il choisit désormais avec sa compagne. Cette dernière est en formation pour le rejoindre sur l’exploitation et prendre la suite de son beau-père au moment de sa retraite.
Aligner ses valeurs personnelles et donner un sens à son quotidien, pouvoir profiter de sa passion aussi, Antoine n’a pas hésité longtemps : “Je suis passionné par les espèces sauvages. La ferme est un endroit idéal pour les observer et les aider en développant la biodiversité sur nos terrains.”
Pour Antoine, travailler sur une ferme en agriculture biologique est indiscutable. “C’est une question de durabilité, de vision à long terme pour les systèmes agricoles, une façon de protéger les écosystèmes… et ces éléments ont des conséquences directes sur notre qualité de vie et celle des générations futures. Pour moi, c’est une forme de militantisme, un choix concret en ne travaillant pas de manière disproportionnée et en ne produisant pas à n’importe quel prix.”
La collaboration avec Biolait, dans la continuité de ce que ses parents ont entrepris, est une évidence pour Antoine. “Produire un lait 100% Bio, avec un prix unique rendu possible grâce à la solidarité du Collectif Biolait composé d’éleveurs laitiers à travers toute la France, avec une gouvernance transparente et démocratique, voilà la façon dont j’ai envie de travailler. Avoir accès à des alternatives aux groupes industriels traditionnels et m’investir aux côtés de personnes engagées, c’est une autre forme d’engagement militant finalement et cela me semble faire avancer les choses !”
Ainsi Antoine voit cette transmission comme une façon de devenir son propre patron, d’offrir à son tour à sa famille le cadre de vie de qualité dans lequel il a grandi, et d’entretenir ses valeurs tournées vers l’agriculture biologique grâce à la reprise de la ferme de ses parents.
Les étapes de la transmission en douceur
La transmission de ferme est avant tout un passage de relais, une façon essentielle de préserver un savoir-faire et de créer de l’emploi dans le domaine de l’agriculture en France. Et le constat alarmant des chiffres en France démontre que la période que nous vivons est cruciale pour la survie des fermes dans le monde rural.
Pour réaliser une transmission, il faut avant tout évaluer les atouts et les contraintes de l’exploitation pour le cédant et le repreneur, afin de déterminer la valeur de la reprise d’un point de vue économique, du patrimoine et la place sur le marché. L’autonomie de l’exploitation, sa rentabilité, son emplacement géographique, l’état du matériel, les conditions et la quantité de travail, etc. permettent d’évaluer la cohérence du projet pour le repreneur.
Isabelle, qui transmet à son fils Antoine ses parts sociales de l’exploitation de 64 hectares et d’une cinquantaine de vaches laitières bio, n’est pas inquiète sur la relève : “Je serai là pour l’accompagner dans la transmission et il pourra compter sur moi après, je serai toujours disponible pour prêter main forte à la ferme ! “
Le bilan d’Isabelle à l’aube de son départ : “Nous avons développé la biodiversité avec toujours plus de haies et d’arbres, nous avons créé des emplois et depuis quelques jours, nous avons un départ ferme (2) qui nous permet de travailler avec un transformateur fromager local. C’est une consécration ! Je suis très fière du travail accompli sur cette ferme.”
Les cédants doivent anticiper leur départ et préparer la reprise, auprès de l’entourage et des partenaires, mais aussi en se faisant accompagner par des structures spécialisées, des formations ou par le Collectif Biolait. Ce dernier propose la diffusion d’annonces, un diagnostic individuel, ainsi que l’accompagnement pour la transmission et l’installation.
Grâce à l’aide du collectif, Biolait a permis la conversion de 1000 fermes conventionnelles et l’installation de plus de 350 nouveaux producteurs bio.
Ayant été salarié agricole sur plusieurs fermes depuis 2014, Antoine a pu explorer différents systèmes d’exploitation. Il a pu réaliser que la ferme de ses parents est donc le système idéal pour lui. Son autonomie, son respect de l’environnement et des animaux, la charge de travail idéale, l’optimisation des machines : “Tout fonctionne très bien et est à ma convenance, j’apporterai ma touche personnelle qu’à quelques aménagements de bâtiments.”
Après avoir passé les étapes administratives auprès du GAEC et dès qu’il aura son autorisation d’exploitation, il ne restera plus à Antoine qu’à se concentrer sur le développement de ses valeurs et de ses passions au sein de la ferme, notamment en s’occupant de projets en faveur de l’environnement : “On fait le paysage de notre ferme, et si on le fait bien, on propose des habitats pour la biodiversité.”
L’aventure de la transmission dans l’agriculture, c’est avant tout un partage d’une culture et de valeurs tournées vers l’amour de la nature et des animaux. Indéniablement l’avenir de l’environnement et de la planète.
- Sources : AGRESTE – recensement agricole 2020 / Projet stratégique de ICF – Fédération Terre de Liens : anticipation et accompagnement à la transmission des terres 2021-2026
- Un Départ-Ferme, c’est un client transformateur de Biolait qui vient collecter son lait directement chez le producteur
Une réponse à “Agriculture. La transmission de ferme ou la continuité d’un savoir-faire essentiel”
Avis à toutes celles et ceux qui envisagent de reprendre l’exploitation des parents ou des beaux-parents : accélérez la manœuvre car, si, comme il est dit dans l’article « l’importance de la transmission, comme un passage de témoin, est un sujet capital » le sujet est tellement capital pour les bourrins aux commandes qu’ils envisagent ni plus ni moins que d’interdire cette transmission (!). Un projet de loi est à l’étude à cette fin mais sa discussion est reportée pour cause de jacquerie – tu m’étonnes ! Mais, ne vous y trompez pas, amis agriculteurs, ils vous attendent au coin de la rue, pour mieux vous enfoncer lorsque vous aurez regagné vos fermes ; vous savez ce qu’il vous reste à faire !