Cuisinant dès 10 ans pour ses parents rentrant tard du travail, Max Cekot est devenu le premier chef étoilé Michelin de Lettonie [Interview]

Le restaurant Max Cekot Kitchen est devenu en cette année 2023 le premier restaurant en Lettonie à remporter une étoile au guide Michelin. A sa tête, Max Cekot, qui avec sa jeune équipe dynamique composée exclusivement de passionnés, s’active en cuisine et au service des clients, dans un quartier de Riga à l’Ouest de la Baltique (Jelgavas iela 42, Zemgales priekšpilsēta, Rīga, LV-1004, Lettonie).

Un restaurant ouvert dans une ancienne fabrique lettone, une ancienne usine de transformation du bois.

Un lieu étonnant, une serre intérieure pour y faire pousser les herbes, et de nombreux mets. Une serre extérieure également en été. Une cave à vin contenant de nombreuses pépites, et une caverne d’Ali Baba des épices, et des conserves. Le décor est posé. Et chaque visiteur est invité d’ailleurs, en fin de repas, à visiter les coulisses de ce temple de la haute gastronomie lettone. Nous vous invitons à découvrir le menu, ci-dessous.

Comment un chef cuisine Letton de 43 ans en est-il arrivé à conquérir les papilles des chroniqueurs du fameux guide de référence gastronomique, le Guide Michelin ? Les cinq critères principaux d’attribution des étoiles sont la qualité des produits, la maîtrise des cuissons et des saveurs, la créativité du chef dans ses plats, la prestation de service ainsi que le rapport qualité/prix. Mais d’autres critères sont aussi pris en compte : l’hygiène, la décoration ou la carte et la cohérence des menus.

Et il est vrai – nous avons eu la chance de pouvoir passer un dîner dans ce magnifique établissement – que toutes les cases furent cochées les unes après les autres. Mais qui se cache derrière ce cuisinier, ce gastronome de talent ? C’est ce que nous avons voulu savoir en interviewant Max Cekot, qui nous a ouvert sa cuisine, et a répondu à nos questions.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amené à la cuisine, à la restauration, à la gastronomie ?

Max Cekot : C’est simple. Ma famille. Si vous n’aimiez pas ce qui composait le repas, alors vous n’aviez qu’à cuisiner par vous mêmes. Mes parents travaillaient très dur. Ils rentraient tard à la maison, et n’avaient pas le temps de se poser, de préparer à dîner pour nous. J’ai donc commencé, dès 10,11, 12 ans, à cuisiner pour eux. Pour les rendre plus heureux. Quand mes parents rentraient du travail, et qu’ils étaient fatigués. J’étais content de leur préparer à manger. Puis j’ai compris que ce que je cuisinais était bon. Donc j’ai voulu rendre d’autres personnes heureuses avec ma cuisine.

Si vos parents donnent beaucoup de choses pour vous, comme ont fait les miens avec moi, alors je devais leur rendre ce bonheur. Au départ, avec de bonnes pâtes, des crêpes…et puis cela a évolué. Ma soeur s’est mise a faire la cuisine avec moi.

Breizh-info.com : Puis vous êtes allé dans une école hôtelière ?

Max Cekot : Oui j’ai fini mon cursus normal et je suis ensuite allé dans une école dédiée à la gastronomie, une école hôtelière. Le matin, vous allez avec des professionnels pour apprendre un savoir faire, un métier, et l’après midi vous avez des cours généraux. Pour moi c’était une bonne expérience. Et puis dans ces écoles, le matin, vous pouvez déjà manger des bonnes choses (rires) donc c’était une bonne expérience pour moi

Breizh-info.com : En parallèle, vous avez commencé à travailler dans des restaurants ?

Max Cekot : Oui, j’ai commencé par faire la plonge. Quand vous arrivez dans une cuisine, vous ne savez pas comment c’est organisé. Vous ne connaissez rien. Donc vous commencez par la plonge, vous étudiez l’organisation d’une cuisine. Puis le chef vous demande un jour de préparer le repas pour le personnel, pour l’équipe, des choses simples. Et c’est ainsi que j’ai commencé à faire mes preuves, et à montrer que j’avais des choses à montrer en cuisine.

Breizh-info.com : Quand avez vous ouvert Max Cekot Kitchen ?

Max Cekot : Il y a 6 ans. C’est mon premier restaurant. Avec ma femme, nous nous plaignions souvent de la qualité médiocre de certains restaurants à Riga. Et surtout, il n y en avait aucun qui proposait un menu dégustation, il y a 6 ans. A la fois, c’était du à la carte, ou du plus petit menu traditionnel. Donc nous avons décidé d’ouvrir cet endroit. Avant nous avons travaillé dans d’autres restaurants. Au départ, je cherchais des investisseurs pour ouvrir, en leur expliquant que je voulais travailler uniquement avec des produits locaux, de saison. Ils ne m’ont pas aidé au départ, mais voyez le résultat aujourd’hui. Je me fais un devoir de cultiver et d’acheter local et de saison. C’est l’ADN de ma cuisine.

Breizh-info.com : Pourquoi avoir choisi ce lieu si particulier pour ouvrir votre restaurant ?

Max Cekot : J’étais à la recherche d’un lieu pour mon restaurant. Mais je ne pouvais pas l’acheter. C’était trop cher. Je voulais un lieu qui n’était pas un restaurant au départ. Ce lieu, qui était une fabrique, a été érigé en 1911. Beaucoup de gens ont travaillé dur durant des années ici, je trouvais que ce lieu dégageait de l’énergie. Je me suis dis que c’était là. Particulièrement avec ces escaliers complètement dingues qui apportent un cachet.

Breizh-info.com : Quel est le concept de votre restaurant ?

Max Cekot : 10 plats. Un menu dégustation, composé essentiellement de produits locaux. Quand je vais au restaurant, je n’ai pas envie de voir un menu, ou une carte importante. Je veux que ce soit le chef qui me dise quoi manger, chez lui. Quand vous allez au restaurant, vous attendez que ceux qui passent leur temps dans la cuisine puisse vous proposer et vous servir ce qu’ils font de mieux.

Donc nous proposons un menu unique, 10 plats. Nous faisons le maximum pour ne cuisiner qu’avec des produits frais, locaux et de saison. Bien entendu, en hiver, c’est parfois plus compliqué pour certains produits. Parfois, nous proposons un petit plus de plats, cela dépend.

Breizh-info.com : A quelle fréquence changez vous le menu ?

Max Cekot : C’est aléatoire. Je peux changer un menu sur plusieurs jours, ou en proposer un autre sur un mois. Ou en proposer un différent sur certaines tables. Cela dépend des denrées que nous avons. Nous n’avons que très peu de stocks, donc nous devons redoubler de créativité.

Breizh-info.com : Combien de personnes peuvent dîner dans votre restaurant ?

Max Cekot : 40. Au départ, quand nous avons ouvert, nous ne faisions que 15-20 couverts. Mais j’ai compris que mon équipe grandissait, qu’elle avait de l’expérience. Donc que nous pouvions accueillir plus du monde. Notamment sur des plus grandes tables. Nous avons la place, autant s’en servir. Nous sommes 8 au total à travailler dans le restaurant.

Breizh-info.com : Comment est-ce que vous procédez au recrutement ? Uniquement des personnes formées et sorties de l’école, ou bien laissez vous une chance à ceux qui veulent faire leurs preuves ?

Max Cekot : Pour travailler avec nous, c’est très simple : vous venez au restaurant, vous passez trois jour avec nous. Et après le troisième jour, je vous demande de nous faire trois plats. Et en fonction de vos résultats, je peux vous prendre, vous pouvez devenir chef ou commis. Cela dépend aussi de votre énergie, de la vision que vous avez de la cuisine, de la gastronomie. Je prends du temps pour essayer de comprendre la personne qui veut venir travailler dans mon restaurant, lors d’un entretien. Nous recrutons des gens dont nous savons qu’ils vont rester, sur le long terme, pas qui vont uniquement se servir du restaurant pour s’y faire une petite expérience. Après les trois jours et le test, j’offre un premier contrat de trois mois. Et on fait le point ensuite.

Breizh-info.com  : Donc les diplômes ne sont pas importants pour vous ?

Max Cekot : Si vous prétendez être sous-chef, vous devez avoir beaucoup d’expérience. Vous devez déjà savoir travailler. Mais quand vous venez dans mon restaurant, c’est encore autre chose, même si vous avez déjà travaillé en France, ou au Royaume-Uni par exemple. Il faut saisir la façon dont nous travaillons ici. Nous faisons tout par nous mêmes. Y compris le potager, la serre, les fleurs. Donc notre équipe a un savoir faire général, sur plusieurs postes, y compris jardinier…

Breizh-info.com : Où puisez vous vos influences gastronomiques ?

Max Cekot : La Lettonie est un très grand mélange de cultures. Y compris culinaires. russes, ukrainiennes, lettonnes, bélarusses, polonaises…Il y a aussi eu beaucoup d’autres influences, avec les marins qui venaient à Riga notamment. Quand l’Union Soviétique s’est écroulée, nous avons pu commencer à voyager beaucoup. C’est ce que j’ai fait. J’ai été aux USA, en Europe, pour trouver les meilleurs chefs et travailler à leurs côtés.  Quand je suis revenu, quand nous sommes revenus (puisque d’autres chefs ont fait comme moi) j’ai utilisé les techniques de cuisine apprises ailleurs, mais avec  nos produits locaux, nos spécialités locales. Et cela a changé profondément la vision de la cuisine lettone qui n’était plus cantonnée à ses influences russes, à base de pommes de terre, de soupes simples, de porc, etc…

Je travaille en respectant les origines de la cuisine lettonne, mais en la transformant, en la faisant évoluer. Et j’ai la chance d’avoir de nombreux produits de haute qualité à disposition. Chaque semaine, nous allons faire le grand marché avec mon équipe, pour sélectionner nos produits. Et d’autres marchés plus locaux. Et voici comment nous construisons nos menus et comment nous travaillons avec les producteurs locaux. Nous n’utilisons que des légumes de ce pays. Nous faisons des conserves l’été, en prévision des repas d’hiver. Bien sûr, nos techniques peuvent venir de France par exemple, mais au final, le résultat est letton.

Je pense qu’au final, ma cuisine peut parfois surprendre des touristes qui visitent la Lettonie et qui ne s’attendaient pas à cette cuisine en arrivant.

Breizh-info.com : Vous êtes le premier, et le seul, à avoir une étoile au guide Michelin en Lettonie. Qu’est ce que ça représente pour vous ?

Max Cekot : Cela représente la qualité. La vision de la gastronomie telle qu’elle doit l’être dans votre propre pays. C’était intéressant de voir comment les personnes du Guide Michelin ont réagi en venant dans mon restaurant. En écoutant notre vision des choses. Je pense que l’image d’Epinal que certaines personnes ont parfois de la cuisine lettone, ce sont des grands brasiers dans les forêts pour cuisiner de la viande (rires). Mais nous avons beaucoup d’autres choses à proposer, à apporter. J’ai beaucoup voyagé et je suis allé dans des restaurants à travers le monde. Pour moi, nous avons beaucoup de belles créations gastronomiques à offrir nous aussi en Lettonie. Et l’étoile Michelin reconnait cela. Cette combinaison parfaite entre le professionnalisme d’une équipe, et sa créativité, et la qualité des mets proposés. Quel que soit le pays.

Peut être qu’aujourd’hui, cela donnera envie à plus de personnes de découvrir la gastronomie lettone.

Breizh-info.com : Et concrètement, qu’est-ce que cela a changé pour vous aujourd’hui d’avoir cette étoile ? Pensez-vous que cela puisse aider au développement du tourisme en Lettonie ?

Max Cekot : Cela a changé radicalement du jour au lendemain. Nos réservations ont explosé de façon folle. 95% de réservation en plus en une journée. Nous sommes complets pour 4 mois. Nous avons une liste d’attente qui nous permettrait de remplir le restaurant 4 fois. C’est un nouveau défi. Cela nous a aidés à obtenir une visibilité énorme. C’est une grande opportunité. Nous sommes fiers de ce qui s’est passé.

Dans la futur, nous avons déjà pensé à la création d’un autre restaurant, en journée, avec une carte cette fois-ci. Pour accueillir différents budgets. En Lettonie, cela aura un impact important, notamment en été.

Breizh-info.com : Visez-vous une seconde étoile au guide Michelin ?

Max Cekot : Pourquoi pas l’an prochain ? Nous serons de nouveau testés l’an prochain. Nous pouvons décrocher une deuxième étoile. Nous avons beaucoup de travail pour cela mais nous allons nous y atteler. Nous avons construit le début de l’histoire de la gastronomie lettonne, avec toute mon équipe, et nous ne comptons pas nous arrêter en si bon chemin.  Nous voulons augmenter notre niveau. Nous avons l’énergie pour ça. Mon équipe en a encore plus que moi. Elle a été très motivée suite à la première étoile. Deux étoiles seraient parfaites pour nous. Et pourquoi pas trois ? Qu’est-ce qui nous arrêtera ?

Breizh-info.com : Vous considérez-vous désormais comme un ambassadeur de la gastronomie lettone ?

Max Cekot : Je n’irai pas jusqu’à là, c’est sans doute trop pour moi. Mais je pense que je suis la seule personne en Lettonie qui peut vous dire que oui, mon restaurant est définitivement un restaurant de très haute qualité. Maintenant, les gens comprennent qu’un Chef cuisine qui refuse d’endosser chaque responsabilité dans un restaurant ne pourra pas jamais atteindre ce niveau. Si vous travaillez sans avoir la confiance dans votre Chef cuisine, vous n’aurez jamais la passion, l’énergie, la qualité pour atteindre le meilleur et pour donner le meilleur de vous. Toute mon équipe est passionnée . Ils comprennent ce qu’ils font, ils aiment ça. Ils ne font pas cela uniquement pour l’argent. Ils le font parce qu’ils aiment ça. Je leur ai dis, lorsque nous avons reçu la première étoile, que nous devions continuer à vivre et à croire en nos rêves.

Quand j’ai ouvert ce restaurant, beaucoup de gens n’y croyaient pas. Pas assez bien placé dans Riga notamment. Personne ne voulait investir dans mon business. C’est ma famille qui m’a aidé. Je n’avais pas le droit de les décevoir.

Breizh-info.com : Continuez-vous à voyager dans le monde, pour découvrir d’autres gastronomies, d’autres grandes tables ?

Max Cekot : Il y a 165 restaurants que j’ai envie de visiter dans le monde. Actuellement j’en suis à 86. Donc j’ai encore beaucoup à découvrir. Chaque mois, chaque deux mois, je voyage pour découvrir l’un d’entre eux. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le caviar ou le bling bling. C’est la gastronomie locale, le savoir faire, qui m’intéresse y compris sans étoile au guide Michelin. Concernant la France, j’ai eu la chance de dîner dans un restaurant de Paul Bocuse, sans doute l’un des plus grands chefs du monde. J’ai également travaillé avec Gordon Ramsay.

J’ai d’ailleurs hâte que de Grands chefs viennent visiter mon restaurant. Ils ont un palet, un ressenti différent. Pour moi c’est important de leur faire goûter à notre cuisine.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : Breizh-info.com

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3 réponses à “Cuisinant dès 10 ans pour ses parents rentrant tard du travail, Max Cekot est devenu le premier chef étoilé Michelin de Lettonie [Interview]”

  1. VORONINE dit :

    pas beaucoup de diversité dans cette brigade ….

  2. Duchemin dit :

    Un magnifique exemple de réussite
    Bravo pour cette interview.

  3. Henri dit :

    J’ai lu le menu, et … c’est dingue ! je me suis aperçu que je comprenais le letton. Même le mot « cuisine », ça se dit « kitchen » en letton ! Et j’ai lu dans l’article « Ils ont un palet » : ce n’est plus le palet breton, mais le palet letton, alors ?

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