L’archipel vendéen compte cinq vignobles parvenant à réunir peu ou prou 480 hectares, une peccadille territoriale ramenée à l’échelle des 100 000 hectares du Bordelais. Les « Fiefs », anciennes possessions du cardinal de Richelieu, s’apparentent à des vignobles confetti disséminés dans l’hinterland vendéen, à l’exception notable du terroir de Brem qui côtoie l ’océan Atlantique.
La mystérieuse salinité du terroir
À Brem, les vignes s’étendent en retrait des anciens marais salants d’Olonne, de cette exposition maritime qui place les raisins aux devants des embruns, les vins en retirent une étonnante salinité, du moins pour ceux qui sont le plus en harmonie avec leur terroir…
D’aucuns pourraient disqualifier cette salinité et la voir comme largement fantasmée par nombre de sommeliers. Reste qu’elle se retranscrit avec une réelle flagrance dans certains vins, puisqu’elle se rattache au rôle de la pruine (fine couche cireuse qui recouvre la peau des raisins) et notamment à sa faculté à capter les essences odoriférantes pour les transmettre en partie dans le vin.
Bien évidemment, cette « pénétrabilité » des brises d’air chargées du sel de la mer, se montre plus ou moins prégnante selon les règles de conduite des vignobles. Depuis plus de 20 ans, le terroir de Brem semble prendre une longueur d’avance sur ses coreligionnaires vendéens, par une montée en puissance des conversions en bio, prompte à accentuer ce caractère marin dans les vins.
Le cluster de Brem
La renommée de Brem tient au rôle pionnier d’une figure tutélaire de l’appellation en la personne de Thierry Michon du domaine Saint-Nicolas. Ce dernier peut s’enorgueillir d’avoir su imposer des prix haute-couture pour des grands vins qui trônent désormais, sur toutes les bonnes cartes de vins de la restauration vendéenne.
Mais l’ironie de l’histoire, veut que celui qui a défriché la voie de l’excellence pour ce terroir « crotté » de Vendée ait dû abjurer sa propre appellation, sous la pression d’un carcan technocratique qui complexifie à l’outrance les spécifications de l’AOP Fiefs-vendéens.
Acculé à se conformer aux règles rigides et contre-créatives de l’appellation, Thierry Michon réputé pour son tempérament intransigeant, a fini par rétrograder une partie de sa production dans le purgatoire des vins de France. Depuis lors, il gagne ce surcroît de liberté et d’indépendance au détriment de ce qu’il a perdu en visibilité, quoique sa réputation solidement établie, lui donne ce privilège de dédaigner le totem de l’AOP.
Dans son sillage, nombre de vignerons ont pris de l’assurance et se sont lancés dans la reprise et l’achat de vignes, fécondant de la sorte un écosystème particulièrement dynamique pour cette appellation en plein essor.
C’est précisément dans cette facilité à faire incuber les jeunes pousses talentueuses que réside le précieux atout du terroir de Brem.
Tandis que les frères Orion de la Barbinière à Chantonnay et Christian Chabirand sur Vix, ou bien la maison Coirier sur le mal-nommé Pissote, peuvent se sentir bien esseulés dans leur rôle de porte-drapeaux de leurs terroirs respectifs. A contrario, de nouveaux « mavericks de la vigne » font florès sur le terroir de Brem et entretiennent de la sorte une émulation collective qui tire vers le haut le niveau des vins.
Or cet aspect cumulatif joue de son importance dans le long processus de notoriété et de visibilité d’un terroir qui s’est longtemps dévoyé dans le rôle de pourvoyeur de vins à touristes.
Une pareille éclosion de talents, concentrée sur un tout petit territoire est un phénomène couramment observé dans la géographie viticole, et l’exemple de Brem renvoie à bien des égards à la fièvre d’installations de grands vignerons dans la vallée de L’Agly en Roussillon, ou au foyer de Roquetaillade perdu dans la garrigue des Corbières.
Toutes proportions gardées, ce mouvement d’incrémentation n’est pas sans rappeler la naissance de ces hauts lieux de la vigne partout à travers le monde : comme Barile en Basilicate, Oakville dans la Napa Valley, Grattalops pour le Priorat ou Willyabrup pour la Margareth river. Brem n’est certes pas arrivé à ce niveau de notoriété, mais les prémices à l’émergence de ce futur grand, sont déjà en gestation sous l’instigation de vignerons de talents.
Le triumvirat de Brem
En l’espèce, Brem ne manque pas d’étoiles montantes, que l’on songe à la personnalité affirmée des vins rouges du couple Nobiron du domaine des Granges, aux vins résolument maritimes d’Éric Sage mais aussi au chardonnay éclatant de Bastien Mousset (L’Orée du Sabia).
Une production qui se positionne au firmament de la vigne vendéenne sur des tarifs certes valorisés, mais encore très accessibles !
À cet égard, les vins d’Éric Sage se montrent particulièrement stimulants par leur verve saline, en particulier dans la cuvée « Grand Large », assemblage tripartite judicieux, composé de grolleau gris et de chenin avec un appoint de chardonnay (10%). Le grolleau gris, pas toujours à son aise dans les assemblages, semble ici trouver sa voie dans une cohabitation réussie avec le fruit plus marqué du chenin, auquel il apporte une saine austérité, saline et minérale. Prix 13 euros environ
Une fois de plus, pour bien comprendre l’intrigante influence du sel dans les vins de Brem, il y a lieu de se représenter la physionomie d’un terroir bien à part.
Au premier chef, son étroite imbrication avec la forêt d’Olonne et ses pins maritimes. S’ajoute la proximité d’anciens marais salants, qui ont laissé une empreinte environnementale très forte et enfin, le jeu des entrées des vents marins favorisées par un trait de côte dunaire et sans falaise. Comme quoi le prisme de la géologie peut se révéler moins déterminant que les influences du milieu bioclimatique dans la compréhension de certains vins…
Toutes ces données façonnent une prédisposition pour les vins à reproduire le calque marin dans leur personnalité aromatique. Les vinifications douces et peu interventionnistes, appliquées sur des jus préservés d’intrants et peu soufrés, aident à exacerber cette expression marine dans les vins.
Dans ce registre notons le fabuleux chardonnay de Bastien Mousset issu d’une sélection parcellaire sur des altérations de schiste.
Au grand dam de l’appellation, ce vin est lui aussi condamné à jouer son rôle d’ambassadeur du terroir de Brem par le truchement de l’IGP fourre-tout : Vendée Val de Loire. On retrouve encore cet insidieux paradoxe qui empêche de magnifiques cuvées de revendiquer sur leurs étiquettes leurs origines géographiques précises, et ce, au nom d’une réglementation absurde et kafkaïenne.
Un affinage de 12 mois sur un mix cuve béton et barrique aboutit à donner à son chardonnay une épure ébouriffante. Il se prévaut d’une richesse de fruit plutôt cossue (poire), mais dénuée de toute lourdeur, et laisse une agréable sensation cristalline en fin de bouche. Prix 19 euros
Le rôle de la gastronomie vendéenne
Ce regain de notoriété s’appuie certes en partie sur le nouveau substrat de la jeune génération vigneronne à l’œuvre dans les vignes et dans les chais. Elle se relie également à la formidable envolée de la gastronomie vendéenne, observable depuis ces deux dernières décennies.
Véritable désert culinaire dans les années 90, la Vendée a considérablement rattrapé son retard avec une efflorescence de tables étoilées à travers tout le territoire du département. En alignant pas moins de neufs restaurants étoilés en 2023, pouvant même se targuer de la présence d’un trois macarons (La Marine à Noirmoutier), la Vendée n’est plus une terre de mission pour la grande cuisine.
Or cette bouillonnante gastronomie régionale tire avec elle tout un ensemble de producteurs dont de nombreux vignerons.
Bien que les succès de grands vignerons comme Thierry Michon ou Christian Chabirand se soient bâtis sur des filières exportatrices, la renommée des meilleurs vignerons de Vendée doit beaucoup à l’intercession des tables étoilées. Leur rôle de vitrine est indéniable.
D’ailleurs, combien de fins gourmets doivent leur initiation aux crus de Vendée grâce au travail de sélection, d’explication d’un sommelier officiant dans ces restaurants ?
Assurément beaucoup ! Aux grands avantages partagés des consommateurs et de ces tables, qui ont su trouver dans le réservoir des vignes vendéennes d’authentiques vins de terroir, restés humbles dans leurs tarifs. Placés en vis-à-vis avec des spécialités gastronomiques régionales, ces vins ont trouvé une tribune capable de contrecarrer les a priori liés à leurs basses origines.
Gageons que ces mêmes sommeliers, par leur travail de terrain, entretiennent la flamme de la représentation des vignobles de leur pays, dans cette noble mission réside l’essence de leur métier.
Raphno
Crédit photos : DR
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6 réponses à “Fiefs-vendéens-Brem, le nouveau seigneur des Fiefs ?”
Tres bon article ! Bravo !
Il est rare de lire quelque chose d’aussi précis sur un vignoble, de surcroît vendéen.
Personnellement, mon métier est le Vin (Export) et j’aurais aimé aider certains vignobles Vendéens de progresser, précisément à l’export, malgré les faibles rendements.
Un jour peut-être…
La Vendée, un terroir d’excellence, c’est bien connu…
Bravo à l’auteur de ces belles pages d’écriture qui nous incite, nous invite à découvrir ces merveilleux breuvages…
Très belle écriture, piontu, tout cela donne envie de découvrir.
Merci
Merci pour cet bel article joliment écrit!
Un bel article très justifié quand on connaît le vigneron. La Vendée est à l‘ honneur avec Thierry Michon .
Il est souvent dommage que cette appellation ne soit pas mise en avant dans de nombreux restaurants .
Il était temps que la Vendée sorte des chemins battus
Son savoir faire en matière de vinification fait que notre Vendée a des très bons vins et très connu ,comme les vins de Mareuil de chez Mourat.
Article extra et très encouragent.