Créée il y a près de 50 ans, la bande dessinée Thorgal, teintée de fantastique, est aujourd’hui encore la plus connue sur les vikings. Dans le tome 41 qui vient de paraître, on découvre un récit méconnu de la mythologie nordique : la vengeance de la déesse Skadi.
Vers le VII ème siècle, une expédition Viking découvre un bébé dans une mystérieuse embarcation (en réalité une capsule spatiale). Le chef Viking, Leif Haraldson, adopte l’enfant et le nomme Thorgal Aegirsson en référence à Thor, le dieu de la foudre, et Aegir, le dieu des mers. A l’adolescence, Thorgal devient un formidable guerrier doté d’une exceptionnelle habileté au tir à l’arc. Il rencontre la jeune Aaricia, avec laquelle il va vivre ses premières aventures. Thorgal et son épouse Aaricia décident de quitter le peuple viking pour vivre à l’écart de la cruauté des hommes. Thorgal apprend qu’il est le dernier descendant du « peuple des étoiles », la civilisation atlante qui a fui la Terre des siècles auparavant. Au fil de leurs aventures, Thorgal et Aaricia donnent naissance à deux enfants : d’abord Jolan, qui développe rapidement des pouvoirs de modification de la matière, puis Louve, qui possède le don de communiquer avec les animaux. Thorgal a également eu un enfant, Aniel, avec Kriss de Valnor, aventurière sans scrupules, alors qu’il avait perdu la mémoire. Mais il devra sans cesse lutter contre la folie des hommes et des dieux…
Dans le 41ème tome, après le naufrage de leur embarcation, Thorgal, Jolan et Boréale ont trouvé refuge sur un îlot désertique, près d’une côte inconnue. Thorgal décide de tenter de rejoindre à la nage la terre ferme. Malheureusement, il est capturé par les soldats de l’Haersir Oksekog, qui lui propose un marché. En échange d’un navire, il doit descendre dans une grotte et ramener un fragment de la « roche aux mille yeux », une mystérieuse pierre tombée d’Asgard. A l’aide de torches, Thorgal s’enfonce dans une caverne et découvre, jonchant le sol, des squelettes d’humains. Il aperçoit, au fond d’une grande salle, une statue très ancienne de la déesse Skaedi, qui veille sur la roche sacrée. Alors qu’il commence à détacher un morceau de cette roche, une vipère rouge en profite pour le mordre…
Cette prestigieuse série, à l’important succès (20 millions d’albums vendus), est née de la rencontre improbable, en 1976, entre le scénariste belge Jean Van Hamme, passionné par la mythologie nordique, et Grzegorz Rosinski, dessinateur polonais qui en avait assez de participer à la propagande communiste. Le choix du thème de cette série résulte de la situation politique en Pologne. A cause de la censure communiste, il faut éviter tout sujet politique ou religieux contemporain. Leur choix se porte alors sur le monde des vikings, avec une touche de science-fiction et de fantastique. Créée en 1977, cette série décrit les aventures d’un guerrier viking qui aspire, malgré la folie des hommes et des dieux, à vivre en paix avec sa famille. Après l’instauration en 1981 de la loi martiale en Pologne, les scenarios ne passant plus la frontière, Grzegorz Rosinski franchit le « rideau de fer ». Jean Van Hamme devient à cette époque le scénariste de bande dessinée le plus connu, grâce à ses trois principales séries : Thorgal (1977), XIII (1984) et Largo Winch (1990). La série Thorgal a suscité l’intérêt du jeune public pour l’histoire des vikings et la mythologie nordique. Si Jean Van Hamme imagine que les dieux nordiques existent réellement, il dénonce la brutalité des vikings, assoiffés de conquêtes. Marie Burkhardt, Maître assistante à l’Université de Zurich, dans un article intitulé Thorgal : Hercule norrois de l’Heroic Fantasy ?, a ainsi démontré que la série Thorgal constitue une sorte d’extrapolation du héros Grec Hercule, affublé de valeurs actuelles, dans la mythologie nordique (Mythe et bande dessinée, Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2007, p. 23 à 37). Le succès grandissant de la série tient au héros Thorgal, particulièrement charismatique, même s’il rejette la violence, le pouvoir et les richesses. Courageux, guerrier hors-pair, il ne se bat que pour défendre sa famille ou sa liberté. Son épouse Aaricia tient le rôle de la femme aimante au foyer, l’exacte inverse de Kriss de Valnor, aventurière malfaisante. Mais l’originalité de cette série résulte du mélange des genres (historique, science-fiction, fantastique) dans un ensemble qui reste exceptionnellement homogène.
A partir de 2007, la série Thorgal (t. 30) est scénarisée par Yves Sente. Dans le tome 32, Jolan doit se rendre dans le monde des dieux nordiques : il y rencontre Odin. C’est un changement radical et déroutant qui s’opère dans les tomes 34 et 35, sous des décors orientaux imprégnés de magie noire. On regrette un tel déracinement, Thorgal évoluant bien loin des mondes vikings et de la puissance des dieux du nord. Pour le tome 35 arrive un nouveau scénariste : Xavier Dorison, qui parvient à clôturer de façon cohérente et bien rythmée un dytique oriental imaginé à l’origine par Yves Sente. Mais le héros Thorgal, depuis de nombreux tomes, manquait de charisme et de dynamisme. On peinait également à admettre la bisexualité de Kriss de Valnor, les tromperies conjugales de Thorgal et Aaricia, le dépucelage de Jolan par une déesse, et même une pointe horrifique notamment dans les albums orientaux… La série semblait essoufflée. Le scénariste Yann reprend le flambeau à partir du tome 37. Il imagine un Thorgal plus posé, tourné vers sa famille. Dans les tomes 39 et 40, Yann a la bonne idée de rappeler l’origine de Thorgal, enfant du peuple des Atlantes, avec un retour dans leur mystérieux vaisseau spatial. Thorgal découvre le but ultime de l’expédition Atlante : exterminer la race humaine afin d’exploiter la planète… Le scénariste Yann, en mêlant la science-fiction avec la mythologie scandinave, opère ainsi un véritable retour aux sources de la série. On retrouve l’esprit des anciens albums L’Ile des Mers Gelées (t. 2), L’enfant des étoiles (t. 7), Le cycle de Qâ (t. 10) et Le royaume sous le sable (t. 26)…
Dans ce nouvel album, Yann imagine que Thorgal est soumis, une nouvelle fois, à de terribles épreuves. Il inscrit son récit dans la mythologie nordique. Comme du temps de Jean Van Hamme, il fait intervenir des dieux mineurs. Il s’inspire ainsi de la vengeance de Skadi. Georges Dumézil (1898-1986), spécialiste des religions des peuples indo-européens, pensait que le nom de la déesse Skadi était issu du nom de la région Scandinavie. Dans le Skáldskaparmál, deuxième partie de l’Edda, Snorri Sturluson (1179-1241) raconte que lors d’une expédition d’Odin, Loki et Hœnir, le géant Thjazi sous sa forme d’aigle capture Loki. Il lui fait jurer de faire sortir d’Ásgard la déesse Idunn et ses pommes, qui confèrent la jeunesse éternelle. Mais les dieux, vieillissant sans les pommes de jouvence, mettent à mort Thjazi. À la suite de la mort de son père, Skadi prend les armes et marche contre Asgard. En réconciliation, Odin permet à Skadi d’épouser un dieu et prend les yeux de Thjazi, les lance dans le ciel et les transforme en deux étoiles.
Yann confirme avoir redonné un regain d’intérêt à cette prestigieuse série, qui avait tendance à s’essouffler. Mais on reste déconcerté par la construction de la première moitié de l’album, sous forme de flash-backs. Une deuxième lecture s’avère même nécessaire pour remettre les différents récits dans un ordre chronologique…
Le dessinateur Grzegorz Rosiński a également quitté la série. Il est remplacé par Fred Vignaux, dessinateur talentueux. Celui-ci offre un graphisme fluide et dynamique, dans la droite lignée de Rosinski. La colorisation de Gaétan Georges est également maîtrisée.
Thorgal, t. 41, Mille yeux, 48 pages, 12,95 euros. Editions Le Lombard.
Kristol Séhec.
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