« Bonjour, quand est-ce que vous allez interviewer M. Le Bohec pour son livre sur Vercingétorix ? ». Nous avons reçu plusieurs messages de ce type depuis quelques mois de lecteurs impatients de découvrir l’ouvrage Vercingétorix, stratège et tacticien, paru en mai 2023 aux éditions Tallandier.
Par son encadrement et son commandement, Vercingétorix transforme un groupe d’insurgés en une véritable armée opposée à l’impérialisme romain. Pour chasser les légions de la Gaule du Nord, il organise la « terre brûlée », tout en menaçant d’envahir les territoires de la vallée du Rhône, mettant déjà en oeuvre ce que les militaires anglo-saxons appellent aujourd’hui le pull and push, « pousser et tirer ». En 52 av. J.-C., à Gergovie, César, le grand vainqueur de la guerre des Gaules, affronte un adversaire à sa hauteur, qui lui inflige une sévère défaite (5 000 soldats morts). Quelques semaines plus tard, après la défaite d’Alésia, le héros gaulois offre sa reddition au proconsul pour que ses compatriotes arvernes soient épargnés. Après six ans d’une très cruelle captivité, il meurt à Rome, étranglé par ses geôliers.
Grand spécialiste de l’histoire militaire romaine, à laquelle il a consacré de nombreux ouvrages, Yann Le Bohec s’attache dans cet ouvrage à rétablir la vérité sur cet immense chef de guerre gaulois. Il n’était bien évidemment pas question de passer à côté de ce livre ni de son auteur, simplement des soucis de calendrier et un retard dans la lecture de l’ouvrage nous ont obligés à attendre un peu avant d’interroger Yann Le Bohec sur son excellent ouvrage.
Séance de rattrapage à découvrir ci-dessous :
Breizh-info.com : Comment votre expertise en histoire militaire romaine a-t-elle influencé votre approche de Vercingétorix ? Quelles sont les sources principales que vous avez utilisées pour votre recherche sur Vercingétorix ?
Yann Le Bohec : J’ai écrit sur Vercingétorix pour répondre à des demandes, d’une revue d’abord, pour un article, d’un éditeur ensuite, pour un livre ; le sujet n’est pas né de moi. Et, sollicité, j’ai réagi en spécialiste d’histoire militaire, ce qui a été facilité par le fait que le personnage m’est apparu d’emblée comme un grand maître, en tactique et surtout en stratégie (rappelons, pour simplifier, que la tactique est l’art de remporter un combat, la stratégie l’art de remporter une guerre). Il savait choisir entre la poliorcétique (l’art du siège) et la bataille en rase campagne ; il a réussi à élaborer trois stratégies successives. Ce type d’analyse était totalement inédit.
Les sources sont principalement le livre VII de La guerre des Gaules, œuvre de César, et les fouilles relativement récentes qui ont été effectuées à Alésia (Reddé et von Schnurbein) et à Gergovie (Deberge et Guichard).
Breizh-info.com : Y a-t-il des découvertes récentes en archéologie ou en histoire qui ont amélioré votre travail sur ce livre ?
Yann Le Bohec : Je ne sais pas si elles ont amélioré mon travail, mais les recherches récentes l’ont au moins alimenté. Elles peuvent être classées sous trois rubriques.
1/ D’abord, l’histoire militaire a enfin été reconnue comme une partie de l’histoire, ce qui avait été rendue impossible pendant longtemps par les marxistes de l’École des Annales : ces fanatiques pensaient que l’histoire militaire n’a aucun intérêt puisque l’économie règle tout et que, dans ces conditions, la puissance la plus riche finit toujours par gagner la guerre à les en croire. Il est donc plus utile de calculer les productions de blé, fer, etc. que les forces militaires en présence, et leurs actions. Curieusement, ils n’ont pas lu les écrits de Mao et de ses semblables, pas compris les récits des deux guerres du Viet Nam et du conflit en Algérie. Ils n’ont pas pensé à la guérilla et à la contre-guérilla, ni au génie des peuples et des chefs ; ce sont des notions incompatibles avec leur idéologie.
2/ Ensuite, mes propres recherches sur l’armée romaine et les guerres qu’elle a menées ont attiré mon attention sur les spécificités des combats dans l’Antiquité, à une époque où les hommes s’affrontaient au glaive et au javelot. Il fallait considérer l’originalité de la bataille en plaine et de la poliorcétique, sans oublier la bataille navale, la guérilla et la contre-guérilla, etc.
3/ Les recherches récentes des archéologues les ont conduits à étudier l’armement et les fortifications. Le travail monumental, exemplaire et admirable de M. Reddé et S. von Schnurbein sur Alésia (3 volumes de grand format) a bien enrichi notre connaissance des sièges et des combats. L’archéologie des champs de bataille, en revanche, en est à ses balbutiements ; je suis sûr qu’elle apportera beaucoup d’informations quand elle aura été développée comme elle le mérite.
Breizh-info.com : Pouvez-vous parler de la manière dont Vercingétorix a réussi à unifier différentes tribus gauloises contre les Romains ?
Yann Le Bohec : Permettez-moi d’abord et très amicalement de vous tirer les oreilles : les Gaulois (comme mes ancêtres Vénètes, du Morbihan) n’étaient pas des sauvages organisés en « tribus ». Ils étaient des gens civilisés et leurs différents peuples suivaient le modèle de la cité, comme leurs homologues méditerranéens : ils étaient dirigés par un sénat, une assemblée populaire et des magistrats, tel le vergobret ; il y a là un gros sujet qu’il n’est pas possible de développer ici.
Pour en revenir à votre question, elle est difficile car les informations viennent surtout de l’ennemi de Vercingétorix, César. Quoi qu’il en soit, il apparaît que Vercingétorix a utilisé son talent d’orateur dans les assemblées et qu’il a envoyé des messagers aux peuples éloignés. Il a su les séduire en leur disant qu’ils luttaient pour la « liberté » et la « patrie » (César le dit à plusieurs reprises). Et ces mots, de liberté et de patrie, n’étaient pas des gros mots ; des centaines de milliers de Gaulois sont morts pour les avoir entendus et défendus.
Breizh-info.com : Quels sont les aspects du leadership de Vercingétorix qui en font un « chef de guerre d’exception » selon vous ?
Yann Le Bohec : La principale qualité de Vercingétorix était son intelligence militaire qui lui permettait de choisir la tactique et la stratégie adaptées aux circonstances. Dans le premier cas, il a déconseillé de défendre Avaricum (Bourges), parce qu’il jugeait que le site était trop difficile à défendre malgré les apparences. Il a au contraire défendu Gergovie, qu’il estimait mieux favorisée par la nature. Et, dans les deux cas, l’histoire lui a donné raison. Pour la stratégie, il est passé par trois phases successives. 1/ Il a transformé des troupes de guérilla en une armée organisée. 2/ Il a recouru au « pull and push », « pousser et tirer » en français : il poussait les Romains hors de Gaule par la terre brûlée ; il les attirait dans leur domaine, la vallée du Rhône et le Languedoc, en menaçant ces régions par des masses de soldats positionnés sur les versants est et sud du Massif Central. Et là, il a réussi : César a été obligé d’évacuer le nord de la Gaule, c’est-à-dire de faire retraite (ce que le proconsul ne pouvait pas admettre). 3/ Il a essayé d’anéantir l’armée romaine par le biais de la stratégie appelée « le marteau et l’enclume » : il espérait écraser ses ennemis en les prenant en tenaille entre le môle imprenable d’Alésia et une force dite « armée de secours » venue de l’extérieur, en fait de toute la Gaule. Là, il a échoué. Mais je pense à la défaite d’Alésia comme à la défaite de Waterloo : elles n’entachent en rien le génie des vaincus, deux vaincus grandioses.
Breizh-info.com : Comment évaluez-vous la stratégie de « terre brûlée » employée par Vercingétorix ?
Yann Le Bohec : Elle s’insère dans processus très large et très complexe, comme on vient de le voir : elle constitue un élément de la deuxième stratégie de Vercingétorix (pousser et tirer) et elle complète l’action de la tactique (batailles et sièges). Les Gaulois ont détruit (en septembre) leurs propres récoltes et les greniers qui les contenaient, ils ont également anéanti les dépôts des Romains et ils ont attaqué leurs convois de ravitaillement. C’est ce que j’a appelé la « contre-logistique ». Donc la « terre brûlée » n’explique pas tout à elle seule.
Breizh-info.com : Comment ce livre s’intègre-t-il dans le discours plus large actuel sur l’identité française et l’histoire de la France ?
Yann Le Bohec : « Honneur et patrie », ça ne vous dit rien ? Ah oui, et ajoutez-y « liberté ».
Breizh-info.com : Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite en savoir plus sur cette période de l’histoire ?
Yann Le Bohec : Je recommande de lire le livre VII de La guerre des Gaules ; c’est merveilleusement bien écrit, et court pour plaire aux paresseux. Il y a aussi des livres sur Gergovie et Alésia, dont les auteurs ont été cités plus haut. Et puis, je recommande d’aller visiter ces deux sites. Ce sont des lieux où souffle l’esprit.
Propos recueillis par YV
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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Une réponse à “Yann Le Bohec : « La principale qualité de Vercingétorix était son intelligence militaire » [Interview]”
Il est regrettable que Yann La Bohec ne se soit pas interrogé sur la véritable localisation d’Alesia : si comme l’affirme Monsieur Reddé (et la pensée officielle française en matière d’archéologie) il s’agit d’Alise Sainte Reine en Bourgogne, Vercingétorix apparait comme un général nul en tactique militaire. En effet son oppidum, déjà trop petit pour contenir son armée et ses cavaliers, est isolé dans une plaine que les légions de César peuvent contourner facilement de tous les côtés. Sur sa route vers Genève, pourquoi irait_il perdre son temps à assiéger ce gaulois, alors qu’il sait qu’une énorme armée de secours gauloise est en cours de formation ? Mais si Alesia est à Chaux des Crotenay en lisière du Jura, alors Vercingétorix est un génie militaire : son oppidum barre la route des légions vers Nyon puis Genève. Et César ne peut le contourner sans allonger énormément son itinéraire.
Il est donc très regrettable que Yann Le Bohec ne se soit pas intéressé à l’Alésia de Franche-Comté, la seule à mon avis qui soit à la gloire de Vercingétorix malgré sa défaite finale : l’armée de secours n’a pas été à la hauteur, et les 600 cavaliers germains mercenaires recrutés par César ont fait la différence dans les 3 combats de cavalerie décisifs.