À l’heure où l’action de réseaux d’influence islamistes, alimentée sur notre sol par des décennies d’immigration massive, se conjugue à une formidable montée du « terrorisme intellectuel » pratiqué par les militants « déconstructivistes » (« cancel culture », antiracisme racialiste, féminisme « ultra », etc.), la pérennité de l’identité ethnique et culturelle des peuples européens se trouve gravement menacée. Toutefois, des voix courageuses s’élèvent, de plus en plus nombreuses, pour appeler à la défense de notre identité civilisationnelle, que de nombreux écrivains, penseurs ou polémistes qualifient alors volontiers de « judéo-chrétienne ».
Est-il cependant exact et pertinent de définir ainsi la civilisation européenne ? Cette dernière doit-elle être essentiellement conçue comme d’origine « judéo-chrétienne » ?
Nous ne le pensons pas, pour deux raisons principales, l’une tenant à l’histoire des peuples européens, l’autre à l’histoire des religions.
Il convient en effet de rappeler, tout d’abord, que les racines de la civilisation européenne sont antérieures au christianisme.
Les langues parlées aujourd’hui par les peuples européens (langues romanes, germaniques, celtiques, slaves, baltes et langue grecque moderne) appartiennent en leur immense majorité (à l’exception du basque, du hongrois, du finnois et de l’estonien) à la famille des langues « indo-européennes », ce qui signifie qu’elles sont quasiment toutes issues d’une langue mère commune, vieille de plus de 5 000 ans. Or, dans la mesure où la langue structure la pensée, cet héritage constitue un pan essentiel de notre civilisation.
En outre, aucune migration ou colonisation d’origine extérieure à l’ensemble indo-européen n’a été suffisamment massive – parmi celles qui ont touché certaines régions d’Europe depuis ces cinq derniers millénaires – pour bouleverser radicalement la composition de la population européenne à l’échelle du continent (à l’exception des vagues migratoires de ces dernières décennies, qui constituent un phénomène sans précédent dans la longue histoire de l’Europe, précisément depuis l’époque de la diffusion des langues indo-européennes). Ce constat est aujourd’hui confirmé sans équivoque par les résultats des études paléogénétiques les plus récentes. La plupart des Européens ne sont donc pas seulement les locuteurs d’une langue indo-européenne (comme le sont également les populations afro-américaines qui communiquent en anglais), mais aussi les descendants de lignées ancestrales « indo-européennes », autochtones depuis des millénaires.
Les peuples d’Europe ont atteint un stade avancé de civilisation, dès l’âge du bronze, il y a plus de trois mille cinq cents ans.
En ce qui concerne le développement des sciences et des arts, mais aussi dans le domaine des grands principes d’organisation sociale et politique, l’Europe est par ailleurs l’héritière de la pensée grecque et du modèle romain, qui sont également antérieurs au christianisme.
Les sites de Stonehenge, du Parthénon ou du forum romain ont été érigés bien avant la conversion de l’Empire romain au christianisme. Ils sont les témoignages tangibles de l’antiquité de notre civilisation.
Il ne s’agit pas pour autant de méconnaître l’importance des influences extérieures, notamment orientales, qui se sont exercées sur la civilisation européenne à différents stades de son histoire : aucune civilisation ne se développe sans contact avec ses voisines, avec lesquelles elle entretient tour à tour des rapports conflictuels ou pacifiques, ce qui conduit nécessairement à un jeu permanent d’influences mutuelles. Pour autant, la civilisation européenne est bien distincte de celles qui l’entourent ; elle possède son identité propre, et les influences qu’elle a reçues ou transmises au fil des siècles ne doivent pas conduire à ignorer la spécificité de cette identité.
À ce titre, le christianisme n’appartient pas aux « racines » de l’Europe, mais constitue bel et bien une « greffe » qui a naturellement modifié la croissance de l’arbre sur laquelle elle s’est implantée à un stade déjà avancé de son développement plurimillénaire.
Ici encore, le constat ne vise pas à remettre en cause l’importance de l’apport chrétien au sein de notre civilisation. Celle-ci serait sans doute fort différente de ce qu’elle est devenue (pour le meilleur ou le pire, nul ne le peut le dire), si cette « greffe » ne s’était pas produite. Vibrer au souvenir de nos lointains aïeux devant le spectacle des ruines de Stonehenge ou du Parthénon n’empêche nullement d’éprouver le même type d’émotion sous les voûtes de la cathédrale de Chartres. Admirer Homère ou Aristote n’implique pas de renoncer à apprécier saint Thomas d’Aquin ou Pascal. Ajoutons (ce qui ne va malheureusement plus de soi en cette époque d’effondrement civilisationnel où nous subissons les injonctions des « terroristes intellectuels » inspirés par les délires d’outre-Atlantique) que l’on peut admirer un penseur sans nécessairement en partager toutes les analyses. Rappelons même cette évidence : reconnaître que les « racines » de la civilisation européenne sont plus anciennes que le christianisme n’interdit pas d’être soi-même chrétien, et ne remet pas en cause la validité des dogmes catholiques pour tous ceux qui y adhèrent. Il s’agit d’un constat qui s’inscrit dans l’ordre de l’analyse historique, et non dans celui de la foi ou de la religion : il s’agit de reconnaître que la civilisation européenne est DEVENUE chrétienne, c’est-à-dire que son destin historique ne saurait être dissocié de l’apport chrétien, tout en admettant que les premiers développements de cette civilisation, qui constituent notre héritage le plus lointain, sont antérieurs à l’arrivée du christianisme en Europe. À rebours, il ne faut pas non plus oublier que le christianisme a beaucoup reçu de l’Europe, en s’implantant sur son sol : il suffit pour s’en convaincre de mesurer l’importance des emprunts à la pensée grecque, aux modes d’organisation « romains » (dans ses variantes « occidentales » et « orientales »), ainsi qu’aux traditions locales en manière de « piété populaire » depuis les premiers siècles de l’Église jusqu’à nos jours – aussi bien chez les catholiques et les protestants que chez les orthodoxes.
La seconde raison pour laquelle l’identité civilisationnelle de l’Europe ne peut être qualifiée de « judéo-chrétienne » repose sur un autre constat, celui du refus du message chrétien par le judaïsme post-christique.
Ce n’est pas faire insulte au judaïsme que de rappeler qu’il s’est développé à partir du début de notre ère en opposition avec le christianisme, dont il rejette les dogmes ou les articles de foi pour de nombreuses raisons, sur la validité desquelles l’historien n’a d’ailleurs pas à se prononcer.
Cela ne signifie naturellement pas que les rapports entre les fidèles des deux religions ont été toujours conflictuels au fil des siècles, ni que les chrétiens n’ont pas poursuivi un dialogue intellectuel souvent fécond avec les représentants du judaïsme (comme cela a d’ailleurs été également le cas avec certaines élites musulmanes, sans que l’on éprouve le besoin de parler d’islamo-christianisme).
Nul ne niera que de nombreux Juifs aient contribué de manière éminente au développement de la civilisation européenne, que ce soit dans les domaines artistiques, scientifiques ou économiques. Pour autant, cela ne fait pas du judaïsme en tant que tel, en particulier dans sa version « post-christique », une source première de notre civilisation. Le fait que le monothéisme chrétien se soit développé à partir de racines juives n’implique pas qu’il faille nécessairement parler de « judéo-christianisme » : viendrait-il à l’esprit de nos contemporains d’évoquer l’existence d’un « judéo-islamisme » ? L’islam est pourtant, à bien des titres, beaucoup plus proche du judaïsme que ne l’est demeuré le christianisme depuis son implantation en Europe. Le monothéisme musulman procède assez directement de l’inspiration du monothéisme juif, alors que le christianisme s’est écarté sur de nombreux points essentiels de ses racines juives, en particulier avec l’idée d’incarnation : l’image du Christ, « vrai Dieu et vrai homme », est tout aussi impensable pour le judaïsme que pour l’islam. On rappellera au passage que les historiens des religions ont parfois émis l’hypothèse d’une influence exercée sur le premier judaïsme par la civilisation iranienne ancienne, d’origine indo-européenne, qui a connu elle-même une évolution « monothéiste » précoce avec le zoroastrisme : les choses ne sont donc pas simples dans ce domaine.
Si le judaïsme a exercé une influence certaine sur la civilisation occidentale à plusieurs reprises au cours de son histoire (notamment au moment du renouveau des études hébraïques dans le sillage de l’humanisme de la Renaissance), on notera que les communautés juives installées en Europe ont elles-mêmes été largement imprégnées de culture européenne, ce qui les a dotées d’une identité distincte de celles des communautés demeurées hors d’Europe.
Le judaïsme et l’islam se distinguent cependant sur un point fondamental dans leur rapport avec l’Europe chrétienne, dans la mesure où l’islam n’a quasiment jamais cessé, depuis sa première phase d’expansion, de représenter une menace militaire et civilisationnelle pour le monde chrétien, qu’il s’agisse de l’Empire byzantin ou de l’Occident médiéval. Rappelons que la conquête de l’Espagne par les Maures est bien antérieure aux premières croisades, et que l’Empire ottoman a occupé une partie significative de l’Europe balkanique dès avant la chute de Constantinople.
Rien de comparable ne s’est assurément produit dans le contexte des rapports entre les différentes communautés juives et l’Europe chrétienne.
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9 réponses à “L’identité civilisationnelle de l’Europe est-elle « judéo-chrétienne » ?”
Celto-chrétienne, sans aucun doute. Judéo-chrétienne, sûrement pas.
Je suis assez d’accord avec vous.
Si l’on réalise que le christianisme est la suite logique du judaïsme, alors le judaïsme ancien est bien intégré, transfiguré et accompli dans le christianisme et il n’est pas besoin d’en faire mention.
Suite logique du judaïsme ? Il n’y a pas de Trinité suprême, ni de reine du ciel dans le judaïsme.
Voir aussi l’épisode de la femme adultère. Il y a bien une rupture, sinon avec le judaïsme, tout au moins avec un certain visage du judaïsme.
Cela voudrait dire que les dignitaires juifs qui ont condamné Jésus (qui certes, ne représentaient pas forcément la quasi totalité des Juifs du monde) auraient renié leur religion.
Lire ce texte fait du bien. La réaction à l’essor de l’islam chez nous prend souvent la forme de l’apologie d’une religion elle aussi originaire du Proche-Orient. Cependant, le christianisme a acquis beaucoup de traits européens qui l’éloignent largement du message du Christ, et c’est justement cela qu’on aime chez lui ! Par exemple, tous les jours, vous consacrez un article à un saint breton : excellente idée. On voit que la foi locale s’est débrouillée pour reconstituer le polythéisme sous la bannière d’une religion en principe polythéiste.
On évoque parfois des « racines chrétiennes de l’Europe » ; il faudrait en fait parler des « racines européennes du christianisme ». Mais le risque permanent est que le christianisme cherche à retrouver ses racines christiques — mouvement parallèle à celui du salafisme qui cherche à retrouver ses racines mahométanes. On le voit avec le pape actuel. On enjoint à l’islam de renoncer à la partie violente de son dogme. On devrait parallèlement réclamer au christianisme de renoncer à la partie bêlante du sien.
Ah ça fait du bien de lire ça. L’Europe remonte aux Néolithiques, enrichis (et non grand-remplacés) par les Indo-Européens – notamment le ramage celto-germanique. Tous les apports ultérieurs se sont con-fondus (voyez les Vikings en Normandie, absorbés/digérés en deux ou trois générations) ou ont survécu en s’autoghettifiant (cf. les travaux de Jacob Katz et autres depuis). Le sort de la Bretagne est exemplaire en ce sens qu’il y a une quasi dyarchie de part et d’autre de la Manche, ce qui a entretenu la langue bretonne, là où la langue ‘norroise’ se perdait en Normandie à la vitesse V. Mais je reconnais aussi que c’est un sacré avantage d’être loin du centre névralgique/politique pour conserver son identité : London (Cornwall, Cymru, Alba), Madrid (Catalogne, Pays basque, Galice) ou Paris (Pays catalan, Béarn, Pays basque, Bretagne, etc.). Est-ce que la religion a joué un grand rôle dans tout ça ? Peut-être comme mortier, mais pas comme matériau…
En effet, la Civilisation Européenne ne peut être cataloguée comme ayant des racines ‘judéo-chrétiennes’. Ou bien alors, c’est vouloir tout ramener à un récit ‘biblique’ qui n’a pas sa place dans des analyses culturelles et/ou géopolitiques. Voilà qui en rajoute à la perversion du langage utilisé encore et toujours, -l’antisémitisme VS l’antisionisme-. qui resurgit opportunément alors que s’aggrave le conflit israélo-palestinien, et où l’on veut faire en sorte que l’opinion publique se positionne POUR ou CONTRE un camp ou l’autre. La neutralité n’est pas admise, non plus que la raison qui seule peut nous faire appréhender ces terribles événements avec discernement, équité et humanité.
J’ai lu hier l’article de l’Iliade comme un lecteur de Breizh Info en avait donné le lien. Très intéressant et très instructif. Oui, on assiste à une réécriture de l’Histoire en fonction de l’idéologie mondialiste qui veut effacer notre passé, la mémoire historique
s’appuyant sur des faits…ce rouleau compresseur qui veut rayer de l’Histoire, la civilisation Européenne, de la France en particulier ; qui veut nous faire oublier de quels peuples nous descendons (Celtes, Wisigoths, Germains, etc.). Notre pays, la France, tient son nom du peuple des ‘Francs’. Avec Clovis, elle est devenue catholique « fille aînée de l’Église romaine ».
Nos racines sont dans ces peuples, nos ancêtres, et elles survivent dans nos traditions régionales. Notre héritage est aussi Gréco-Romain, les mots de « démocratie » et de « république » y trouvent leur origine. C’est sur les écrits des Grecs anciens qu’est fondée la Philosophie qui a toujours eu cours dans nos universités, que l’on appelait ‘Humanités’.
Nulle part dans notre culture, dans notre patrimoine surtout, on ne trouve la trace d’un quelconque emprunt (si ce n’est financier, car la religion chrétienne interdisait l’usure à ses fidèles)…au Judaïsme. Rappelons que c’est seulement au début de la Révolution française, et par le vote de l’Assemblée constituante du 27 sept 1791, que les Juifs de France ont acquis la citoyenneté française…
« Judéo-Chrétien »… »Celto-Chrétien »… »Gréco-Romain »…
De toute façon, je connais une religion voire une civilisation qui va tous vous mettre d’accord avant pas longtemps une religion de « Paix et d’Amour » bien qu’un peu conquérante voire belliqueuse qui intègre le spirituel et le politique…Devinez laquelle ?
Tout à fait remarquable et incontestable. Toutefois, le renvoi à des racines « judéo-chrétiennes » est une simplification non dénuée de sens. Car si nous en étions restés à l’empire romain, la cruauté des mœurs dont il a fait preuve (d’ailleurs précédé par les Grecs dont à ma grande surprise j’ai appris récemment en lisant un livre remarquable – la mélancolie d’Athéna – , qu’ils n’avaient pas non plus fait dans la dentelle…) aurait elle progressivement disparu ? C’est bien grâce à l’expansion du christianisme, lui même d’origine incontestablement juive, et même si cela n’a pas été sans de déplorables périodes d’exception, l’inquisition, etc., que la civilisation occidentale est devenue ce qu’elle est. Et que je sache, l’ancien Testament fait toujours partie de la Bible, utilisée par les chrétiens !
Le qualificatif judéo-chrétien souligne parfaitement l’articulation ancien/ nouveau testament et ne pose aucun problème. Il faudrait rechercher dans les archives à quel moment et par qui il a été employé la première fois. Ça pourrait être scientifiquement intéressant. Pour le reste…