Depuis quelques jours, les réseaux sociaux patriotes français relayent des vidéos de manifestations nationalistes massives en Espagne, plus particulièrement à Madrid. Dans ces vidéos, nous observons des affrontements avec la police, des marées humaines, nous entendons des slogans contre l’immigration (« Espagne chrétienne, pas musulmane ! ») et, de manière plus générale, nous ressentons une aura de tension, de ras-le-bol généralisé et de colère populaire. Retour sur le contexte politique et sociologique ayant mené l’Espagne à une crise politique déterminante.
Contexte électoral et historique
En 2018, suite à une motion de censure contre Mariano Rajoy, dernier président de droite en exercice en Espagne, c’est Pedro Sanchez de la formation PSOE (parti socialiste ouvrier espagnol) qui prend la tête du pays. Le système électoral espagnol exige des coalitions pour obtenir une majorité au Congrès, permettant l’investiture du nouveau premier ministre. Cette première accession au pouvoir (gouvernement Sanchez I) des socialistes se fait en alliance avec le PSC (parti socialiste de Catalogne) mais ne suffit pas à lui assurer une majorité. C’est le soutien sans participation à la coalition de Podemos (extrême-gauche) qui permet l’investiture. Détail d’importance, le traditionnel serment au roi d’Espagne, Felipe VI, de la part du nouveau premier ministre, se fait pour la première fois de l’histoire espagnole post-franquiste en absence de la Bible et du Crucifix. En 2020, rebelote : les élections générales s’engagent de nouveau en Espagne, et cette fois-ci, le PSOE décide d’ouvrir sa coalition à gauche. Izquierda Unida (communistes) et Podemos se joignent à elle, assurant une majorité au gouvernement et permettant l’investiture. Cette alliance entre la gauche et l’extrême-gauche clive la société espagnole : d’autant que le souvenir du référendum d’autodétermination illégal de la Catalogne en 2017 a permit entre temps l’émergence d’une droite nationale institutionnelle dans le pays, ce que le pays n’avait pas jusqu’alors. En l’objet, Vox, parti national-libéral, qui fait une incroyable percée dans le paysage politique espagnol.
23 Juillet 2023 : le gouvernement Sanchez II, victime d’une défaite aux élections municipales et régionales qui voient la droite se placer en tête, convoque des élections générales anticipées. Les espagnols retournent aux urnes. La droite est donnée favorite dans les sondages. En effet, la polarisation de la société espagnole s’est intensifiée avec l’alliance du PSOE avec Podemos. Des lois, comme la Loi Trans (facilitant les transitions de genre pour les mineurs) ou la Loi de Mémoire (neutralisation de l’espace public de la symbologie franquiste, qui justifie l’exhumation de Franco puis de José Antonio Primo de Rivera de leur mausolée) ont agis comme des signaux faibles indiquant une futur crise politique à venir. Dans les élections générales anticipées, le PP arrive en tête (33,3%), ayant « sarkozysé » Vox. Vox perd 2,7 % par rapport aux dernières élections, se plaçant en troisième place avec 12,38 % des voix. Le Parti Socialiste, lui, cumule 31,68 % des voix, se plaçant en deuxième position. En quatrième position, la gauche radicale s’est recomposé autour de « Sumar », une alliance des partis de gauche radicale (dont Podemos).
Afin de conclure une coalition nécessaire à son investiture, Pedro Sanchez et les socialistes doivent élargir leurs alliés : en l’objet, c’est les catalans de Junts et d’ERC qui pourront appuyer le Premier Ministre socialiste. Problème : depuis 2017, Puidgemont et d’autres organisateurs du référendum d’autodétermination sont poursuivis et en exil politique en Belgique. Les socialistes proposent alors aux catalans une offre alléchante en échange de leur vote : l’amnistie des prisonniers politiques, l’annulation de la dette catalane et une promesse de négociations concernant un nouveau référendum, cette fois-ci légal, sur le statut de la Catalogne. Il n’en fallait pas plus pour embraser la droite unioniste espagnole.
Le space avec @LaCocardeEtud commence !https://t.co/LwgGnG1m7V pic.twitter.com/YYe605qm3Y
— Raphaël Ayma 🌊 (@raphael_ayma) November 9, 2023
Les manifestations
A l’appel de plusieurs organisations et associations, notamment des partis politiques, comme Vox ou le PP, la droite espagnole a l’instruction de manifester son opposition à l’amnistie des indépendantistes catalans devant les permanences du PSOE partout en Espagne. Plus particulièrement à Ferraz, local historique du PSOE à Madrid, la capitale, ville traditionnellement de droite et unioniste grâce à ses beaux quartiers et l’implantation de la droite nationale en son sein (plus urbaine qu’en France). Les premiers rassemblements se font de manière plutôt pacifique, mais la tendance change le soir du Mardi 7 Novembre : alors que la manifestation a lieu, de violentes images de répression policière disproportionnée circule sur les réseaux sociaux, notamment sur des personnes âgés. Il n’en faut pas plus pour que ça devienne viral : des manifestations sont immédiatement convoqués de nouveau le lendemain et surlendemain, toujours dans la plupart des villes d’Espagne.
🇪🇸 « Il est temps que la jeunesse espagnole se relève »
Discours d'un jeune militant à Murcía. Le mouvement est intergénérationnel.
— Raphaël Ayma 🌊 (@raphael_ayma) November 8, 2023
A Bruxelles, des militants de Revuelta, une organisation juvénile proche de Vox, manifestent devant l’hôtel où la délégation gouvernementale doit rencontrer les indépendantistes catalans. La manifestation de mercredi soir, veille d’un jour férié, est spectaculaire : de nombreux radicaux s’accrochent au cortège et des affrontements démarre avec la police. La symbologie des drapeaux que les manifestants brandissent est intéressante à étudier : on y retrouve des croix de Bourgogne, symbole carliste (contre-révolution espagnole, proche de la pensée légitimiste) ou encore des drapeaux espagnols dont le blason monarchiste des Bourbons a été arraché, traduisant une hostilité au statu-quo de 78 et à la Constitution post-franquiste (qui assure l’existence des communautés autonomes et la décentralisation avancée de l’Espagne). On énumère entre 8000 et 10000 manifestants à Madrid, dont beaucoup de jeunes. En province, à Séville ou Palma, d’autres manifestations sont elles aussi organisés. La tentative d’assassinat du fondateur de Vox, mercredi 8 Novembre, Alejo Vidas Quadras, ciblé par une fusillade à moto alors qu’il sortait de la messe pour se rendre à une manifestation rajoute du carburant aux manifestants. Santiago Abascal, candidat vedette de Vox et président du parti, appelle dans l’après-midi à « la résistance civique » et déclare que l’Espagne « vit le début de la fin de la démocratie ».
🇪🇸 Un des moments où la police a reculé face aux manifestants ce soir.
— Raphaël Ayma 🌊 (@raphael_ayma) November 9, 2023
Quels dénouements possibles ?
Sans verser dans la divination politique, nous pouvons tout de même proposer quelques perspectives d’évolution pour la suite des événements. Premièrement, nous pouvons supposer que les manifestations vont durer dans le temps, tant les revendications et le refus de reculer du gouvernement est net et la détermination des manifestants dure : on peut imaginer la droite espagnole continuer les manifestations, faire durer le mouvement sur le long du mois de Novembre, un peu à la manière d’un miroir des « Indignés » (occupation par la gauche espagnole de la place centrale de Madrid un mois durant, incubatrice de Podemos). La fin du mouvement ne pourrait arriver que si les violences forçaient le Roi d’Espagne à prendre la parole pour appeler à un retour au calme : la fidélité monarchiste d’une grande partie des manifestants calmeraient sûrement les émeutes, et signerait la fin du mouvement social.
D’un point de vue français, il est intéressant stratégiquement d’insister sur la violence répressive qu’une coalition gouvernementale gauche-extrême-gauche utilise face à ses opposants. Les mots d’ordres des manifestations, qui ne se contentent plus de cibler uniquement l’amnistie mais s’étendent à des questions identitaires, sont tout aussi inspirants.
Il est étonnant de voir un pays que l’on pensait sorti de l’Histoire comme l’Espagne y revenir, en déclenchant l’un des plus grands mouvements sociaux de l’histoire contemporaine de notre famille en Europe occidentale.
Raphael Ayma (à retrouver sur twitter ici)
🇪🇸 Des manifestants s’assoient et chantent à la police : « Police, défends ta Nation »
Me rappelle beaucoup les images de LMPT
— Raphaël Ayma 🌊 (@raphael_ayma) November 9, 2023
🇪🇸 Images exclus qu’on m’envoie directement depuis Madrid. Des manifestants crient aux policiers : « Mercenaires ! » « Chiens ! »
La question du rapport à la police va être centrale dans les prochaines journées. pic.twitter.com/6MLodrG6Fh
— Raphaël Ayma 🌊 (@raphael_ayma) November 10, 2023
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4 réponses à “L’Espagne secouée par des manifestations sans précédent suite aux tractations entre Sanchez et les indépendantistes catalans : les explications”
Merci de compenser le silence scandaleux de la presse française sir la résistance chrétienne.
S’agit-il de manifestations chrétiennes, identitaires, patriotiques ou chauvines, « jacobines » anticatalanes ?
Les indépendantistes catalans ont pris une claque aux dernières élections (on peut le regretter). Que donnerait un nouveau référendum sur le statut de la Catalogne ?
J’ai bien du mal à ressentir la moindre sympathie pour ces hystériques jacobins espagnols : à son tour l’Espagne aurait la droite la plus bête du monde ? On ne peut pas être Breton et ne pas avoir de sympathie pour la Catalogne libre, le Pays basque libre, la Galice libre, etc., du moins si l’on croit (encore) à l’Europe aux cent drapeaux (Fouéré), élargie avec la libération de l’Europe de l’est à « l’Europe aux deux cents drapeaux » !
socialiste et indépendantistes catalans en espagne, lfi et islamistes en france, les petits arrangements …