L’activisme, c’est bien mais ça ne suffit pas à implanter un courant d’idées. C’est vrai en Corse comme en Bretagne ; c’est ce qu’a compris Nicolas Battini
Dans les années 1960, le nationalisme corse se réinvente « en intégrant à son corpus le tiers-mondisme, pour apparaître comme une force respectable sur le terrain politique et intellectuel de l’époque. La Corse devient une terre colonisée au même titre que l’Afrique et l’Indochine », explique Nicolas Battini, ancien responsable du pôle “idées“ à Femu a Corsica, le mouvement autonomiste dirigé par Gilles Simeoni. Convaincu que le mouvement nationaliste corse doit procéder à une profonde refondation idéologique, Battini a créé une association métapolitique, Palatinu.
Tout commence en novembre 2015 : « A cette date, je suis incarcéré à Versailles pour des faits de violence politique, époque où j’adhère totalement au tiers-mondisme professé par les nationalistes corses. Jai 22 ans, je suis incarcéré depuis deux ans et demi, et le soir du 13 novembre 2015, j’entends la moitié de la prison hurler sa joie après les attentats. Il n’y avait pas de télé, mais j’avais, comme beaucoup de prisonniers, un téléphone illégal. Je reçois des appels de proches, qui me racontent les attentats survenus à Paris. Je comprends à ce moment-là que la solidarité entre colonisés avait atteint ses limites ! En tant qu’occidental, catholique et européen, ce qui s’était passé à Paris m’horrifiait particulièrement. Les détenus, majoritairement issus de cités comme Trappes ou Les Mureaux, applaudissaient, acclamaient et frappaient aux portes des cellules comme pour une victoire du PSG. Cette population issue de familles pour le coup véritablement colonisées avait donc une réaction contraire à la mienne. Une nouvelle dialectique s’est alors dessinée en moi. Il faut dire que, pendant cette période, je me réveille tous les matins à 5 h 30 au son de la prière de l’aube. J’expérimente la vie en tant que minorité ethnique en Europe.
La question civilisationnelle est primordiale
Je constate qu’il n’y a pas que la question institutionnelle qui compte pour un Corse ; la question civilisationnelle, jamais évoquée, est primordiale. Une fois rentré en Corse, en janvier 2018, après trois ans et demi d’incarcération en région parisienne, je me suis déjà éloigné du narratif tiers-mondiste, mais sans avoir une autre alternative conceptuelle. Je suis bloqué. J’évolue désormais au milieu d’une population carcérale où il n’y a quasiment plus de musulmans, mais les germes de 2015, alimentés par les prières de l’aube répétées tous les matins, commencent à faire leur levée. La petite pousse croît de façon incroyable en janvier 2018 lorsque j’assiste au premier attentat islamique en Corse. En prison, un détenu radicalisé au sein de l’aile dans laquelle j’étais, assène quinze coups de couteau à deux agents pénitentiaires en criant “Allah Akbar“. A ce moment, je n’ai pas réagi en tant que détenu ou colonisé, j’ai réagi en tant qu’Européen et en tant que Corse ; ça été le moment bascule. » (Eléments, octobre-novembre 2023). A la Santé, les détenus du FLB (Jean Bothorel et compagnie) n’ont connu ni la prière de l’aube ni “Allah Akbar“… Autre temps !
Bernard Morvan
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