Bernard Leveaux est le responsable de la publication intitulée Magazine des Amis de Jean Mabire, qui consacre son numéro actuel, le 65/66, aux relations entretenues par l’écrivain Jean Mabire avec la Bretagne. Lionel Baland l’a interrogé, à cette occasion, pour Breizh-info.
Breizh-info : Quelles sont les circonstances qui ont conduit à la fondation du Magazine des Amis de Jean Mabire ?
Bernard Leveaux : Tout d’abord, rappelons que Jean Mabire (1927-2006) était un écrivain et historien régionaliste normand considéré comme un « éveilleur du peuple » de cette province, au même titre qu’Olier Mordrel pour la Bretagne.
Le magazine dont vous parlez n’a été, au départ, qu’un simple bulletin d’information né lors de la création de l’Association des Amis de Jean Mabire, à la fin de l’année 2001. Le président en a été Didier Patte, créateur et animateur du Mouvement normand, et le président d’honneur a été l’écrivain Paul Sérant, peu avant son décès survenu en 2002. Jean Mabire, lui, nous a quittés en mars 2006. Ce bulletin d’information est l’expression de la pensée, ainsi que de l’œuvre, de la personne à qui il est consacré. Cet écrit a gardé continuellement le même esprit. Simplement, au fil des années, il a pris un peu plus de volume, dans tout les sens du terme. C’est pourquoi, vous le nommez aujourd’hui magazine.
Nous n’avons aucune prétention commerciale à sortir, trois fois par an, cette publication qui semble susciter aujourd’hui un certain intérêt au-delà des seuls amis de Jean Mabire. Reconnaissons, toutefois, que tel était notre objectif premier : faire connaître Jean Mabire à un plus grand public, aujourd’hui encore trop modeste, tout comme le prix de l’abonnement. Mais, depuis vingt deux années, nous persévérons.
Breizh-info : Pourquoi avoir consacré un numéro de cette revue à la Bretagne ?
Bernard Leveaux : Ce n’est pas la première fois que nous consacrons un numéro à cette importante province, que d’aucuns considèrent comme leur nation. Il nous a simplement semblé utile et nécessaire d’y revenir car la Bretagne est source d’idéaux traditionnels et culturels, des éléments que Jean Mabire a toujours entretenus pour sa Normandie. La Bretagne a été, en quelque sorte, sa seconde patrie.
Breizh-info : Quels sont les écrits de Jean Mabire portant, en partie ou totalement, sur des sujets liés à la Bretagne ?
Bernard Leveaux : À part Mor Bihan. Autour du monde, histoire d’un tour du monde en bateau effectué par de très jeunes gens dont son fils Halvard, ainsi qu’un ouvrage sur La marée noire du Torrey Canyon, Jean Mabire n’a pas écrit sur la Bretagne, car ce n’était pas le rôle qu’il s’était attribué. Il se consacrait à sa Normandie. En fait, il considérait que la Bretagne était suffisamment et très bien chantée et contée par les Bretons, ce qui ne l’a naturellement pas empêché d’entretenir des liens très forts et étroits avec certains d’entre eux.
Breizh-info : Jean Mabire a pris conscience de son normanisme en croisant les scouts bretons Bleimor et leur comportement identitaire lors du solstice d’été en 1948 à Marquemont. Qui sont ces scouts ? Qu’en est il ?
Bernard Leveaux : En fait, deux états distincts et parfois complémentaires de la personnalité de Jean Mabire apparaissent dans votre question : d’une part, le normanisme, et d’autre part, les scouts ou la jeunesse. Souvenons nous que Jean Mabire est né parisien, mais avec des ascendances normandes qu’il a toujours entretenues, passant en Bretagne, lorsqu’il était enfant, toutes ses vacances scolaires. Simplement, comme beaucoup d’autres parisiens ayant des attaches provinciales, l’envie de retourner à ses racines lui est venue, n’en trouvant aucune à Paris. Ce phénomène existe aussi de nos jours, sans doute aussi pour d’autres raisons ou les mêmes que celles de Jean Mabire à l’époque, mais amplifiées.
L’histoire des scouts Bleimor, nous la relatons à travers une très bonne étude de Jean-Jacques Gauthé, dans notre numéro 65/66.
Jean Mabire a toujours été passionné par la jeunesse. Cela s’est ressenti toute sa vie à travers ses écrits et aussi, peut être et surtout, à travers ses actions. Il a créé, en 1946, un mouvement de jeunesse qu’il a nommé « Communauté de jeunesse » et qui a tout d’une organisation scoute, avec, en plus, le retour aux traditions autour des chants et des danses, car ce groupement incorpore aussi les filles. Jean Mabire a aussi rassemblé quelques « anciens » très jeunes combattants du dernier et encore très proche conflit mondial. Le scoutisme étant, par vocation, une formation à la lutte pour et dans la vie. L’ouverture de Jean Mabire à l’idéal européen est née également à cette époque. Il a pris contact avec des mouvements de jeunesse flamands très fortement structurés. Mais, lors du solstice qu’il a organisé au cours de l’été 1948 dans l’église en ruine du petit village de Marquemont, auquel il a invité les scouts Bleimor dont il avait fait la connaissance, il a eu, par la tenue impeccable de ces scouts, la révélation de ce que doit devenir un réel mouvement de jeunesse traditionnel et identitaire. C’est un sentiment qu’il a cultivé toute sa vie et qu’il a inculqué continuellement aux jeunes qu’il a rencontrés, normands ou issus d’autres provinces. C’est une « fidélité à la jeunesse » que Jean Mabire a exprimée jusqu’au bout. C’est cela « le miracle » de Marquemont.
Breizh-info : Après avoir fondé en 1949 la revue Viking, Jean Mabire entre en relation suivie avec Olier Mordrel, le fondateur, en 1931, du Parti national breton (PNB). Quelles ont été ces relations ?
Bernard Leveaux : Sa rencontre avec Olier Mordrel a été, pensons nous, un moment très important dans la vie de Jean Mabire au niveau de sa réflexion politique. En fait, cela a confirmé ses idées. Preuve en est la réflexion qu’il a faite après avoir lu une collection de la revue Stur : « Grâce à ces quinze numéros, j’ai vécu pendant quelques mois dans une totale communauté d’idées et d’instinct avec Mordrel. Même Drieu [la Rochelle] ne m’avait pas procuré un tel éblouissement. » Mais, au départ, c’est Olier Mordrel qui est entré en contact avec Jean Mabire. Nous ne referons pas ici le parcours d’Olier Mordrel qui fut d’abord un des animateurs, puis le dirigeant du Parti national breton dont l’Histoire a été contée dans nos pages par l’un de ses plus vaillants combattants, Padrig Montauzier.
Le premier contact entre Olier Mordrel, vivant à l’époque en Argentine, et Jean Mabire a été pris par écrit. Au total, la correspondance entre les deux hommes a été d’environ deux cent échanges et a duré quarante années. Cette relation nous est connue grâce à l’obligeance de Tristan Mordrel, fils d’Olier, qui nous a livré une partie du secret de ces échanges épistolaires, mais aussi l’essentiel de l’analyse qu’en a tiré Jean Mabire.
Ces contacts par correspondance ont duré de 1949 à 1971, date à laquelle Jean Mabire, accompagné de quelques amis, a accueilli à Paris, à sa descente de train, Olier Mordrel à son retour d’exil argentin et l’a aidé ensuite à se réintégrer en ce pays qui lui était devenu presque étranger. Une amitié est née pendant toute cette période. Les contacts, surtout écrits, se sont poursuivis jusqu’à la disparition d’Olier Mordrel, en 1985. Ce qui les a complètement réunis a été l’amour qu’ils ont voué à leurs patries charnelles, dont ils ont été, chacun, éveilleurs de leur peuple respectif.
Breizh-info : Katherine Hentic, la veuve de Jean Mabire, consacre un article à l’écrivain Jean-Edern Hallier. En quoi ce dernier était-il lié à la Bretagne et quelles étaient ses relations avec Jean Mabire ?
Bernard Leveaux : Catherine Hentic, seconde épouse de Jean Mabire, est issue d’une famille originaire du bourg d’Edern dans le Finistère. Vous comprenez donc immédiatement le lien pouvant exister avec Jean Hallier, qui fit précéder son nom d’Edern car il a habité, durant une grande partie de sa vie, le manoir familial situé en cette commune. Lui aussi avait retrouvé ses racines. La Bretagne a donné le jour à nombre de talentueux écrivains et poètes. Nous avons choisi de raconter, en partie, Jean-Edern Hallier à travers les souvenirs de Catherine Mabire car c’était un personnage complètement atypique et provocateur. On ne peut, toutefois, lui contester un talent certain d’écrivain souvent pamphlétaire. Lui accrocher une étiquette politique serait une erreur, même s’il prit souvent des positions partisanes en faveur ou contre tel ou tel personnage. De tempéraments tout à fait différents, les deux écrivains possédaient, sans aucun doute, des points communs. Une citation de Jean-Edern Hallier en est un témoignage : « Toute culture est d’abord une tradition nationale qui trouve ses racines dans l’histoire des peuples. C’est la maîtrise de cette culture qui permet de s’ouvrir au monde et à la différence. La culture, c’est d’abord la mémoire. »
La vie de Jean-Edern Hallier a été mouvementée, c’est le moins que l’on puisse dire ! Sa mort reste une énigme. Le mot de la fin, magnifique, est inscrit sur sa tombe: « Qu’il soit permis à tout le monde de rêver comme j’ai vécu. ». Joli, non ? Le monde littéraire est très particulier, chacun le sait, mais, de la Normandie à la Bretagne, il n’y avait que quelques pas. Jean Mabire les avait déjà faits à travers ses idéaux de jeunesse, ainsi que de ses positions métapolitiques. Introduit dans le milieu littéraire d’origine bretonne, il a rencontré Jean-Edern Hallier. Cette relation n’a pas été continue, mais plutôt épisodique, aussi bien à Paris qu’en son manoir d’Edern ou à Saint Malo, mais cela est resté une amitié fidèle.
Breizh-info : Jean Mabire a-t-il entretenu des relations avec d’autres personnalités liées à la Bretagne ?
Bernard Leveaux : Jean Mabire a, naturellement, en Bretagne, beaucoup fréquenté des écrivains et non des moindres. Ceci, en particulier, à l’occasion de l’organisation du Festival du livre maritime de Concarneau dont Gwenn Aël Bolloré a été un des fondateurs. Gwenn-Aël Bolloré, oncle de Vincent Bolloré, lui même homme d’affaires, mais également, entre autres, écrivain guerrier, éditeur, scénariste, poète. Un Grand ! Jean Mabire, membre du jury de ce festival, eut donc l’occasion d’y faire la connaissance d’importants personnages : Hervé Quéffélec, Pierre-Jakez Hélias (Le cheval d’orgueil), Paul Guimard, Yves La Prairie ou encore Jean Markale et bien d’autres talentueux écrivains. Il est donc resté dans son contexte. Soulignons l’amitié qu’il a liée avec le couple Glot, créateur du centre de l’imaginaire arthurien au château de Comper en Brocéliande. Il contribua à l’excellente revue Artus dans les années 1980. Ceci n’est qu’un survol, car, en s’installant en 1983 à Saint-Malo, où il a terminé ses jours, Jean Mabire s’est inscrit un peu plus dans le paysage breton, tout en continuant son œuvre au profit de la Normandie, car il s’est su n’être invité qu’en Bretagne.
Breizh-info : Quelles sont les différentes étapes de l’évolution du nationalisme breton mentionnées au sein de ce numéro de la revue ?
Bernard Leveaux : Nous n’avons pas désiré donner une image exclusivement politique de la Bretagne, ce qui n’est naturellement pas notre finalité. Chacun de nos bulletins est thématique. Ici, nous désirions simplement exprimer la sensibilité qu’a eu Jean Mabire pour cette Bretagne voisine où il a terminé ses jours. Il s’agit donc d’être progressif et cohérent afin d’exprimer le développement de la pensée mabirienne à son égard. Olier Mordrel fut incontestablement le chef charismatique de l’autonomisme évoluant ensuite vers un indépendantisme national dans la première partie du siècle dernier. Ses idées ont été reprises après la guerre par Yann Fouéré et une nouvelle équipe. Le passage du Parti national breton au Front de libération de la Bretagne (FLB) a eu lieu. Dans notre numéro, à travers un excellent article, Padrig Montauzier, directeur de la revue War Roak, nous fait une description rapide et très claire de l’évolution de cette mouvance. Ce résumé très honnête facilite la compréhension, pour nos amis extérieurs à la Bretagne. D’excellents ouvrages consacrés à ces mouvements et à leurs actions existent. Nous n’allons donc pas les plagier. Concernant le FLB., il faut toutefois replacer son combat dans le contexte révolutionnaire existant à l’époque et qui se trouve, à une puissance décuplée, en Irlande, ainsi que, à un moindre degré, en Corse et, aussi, en Alsace.
Breizh-info : Quelle est l’histoire du chant breton depuis les années 1970 ?
Bernard Leveaux : En fait, tout a commencé ou continué dans les années soixante. En 1967, Glenmor a sonné le réveil breton par le chant et surtout la musique celtique, en se définissant comme barde, homme libre issu d’un peuple libre et révolutionnaire et d’une révolution protectrice de son identité celtique. Donc, cela n’a rien en commun avec les personnes qui, un an plus tard, n’ont trouvé sous les pavés que le confort de leur parenté et ont fabriqué une révolution perpétuelle, universelle et inutile qu’ils entretiennent toujours à force d’utopies et de mirages ébranlant les plus modestes.
Certaines provinces, en particulier la Bretagne, n’acceptent pas ce centralisme et cette déstabilisation continuelle. Elles gardent leurs racines culturelles et spirituelles très profondément ancrées et, non seulement, les défendent, mais se battent pour les transmettre. Cela a conduit à la naissance, en 1971, du festival de Lorient qui a pris ensuite la dimension interceltique continentale connue aujourd’hui. C’est sans doute Alan Stivell qui, particulièrement vers 1975, a fait éclater à la lumière toute la force et la puissance du peuple celte à travers cette musique et ces chants qui nous viennent du fond des âges. Lorsqu’arrive doucement, lorsque monte mélodieusement le son de sa voix prononçant des paroles dans une langue que nous ne comprenons pas, nous ressentons au plus profond de nous même une vague grimper, qui nous vient du plus profond des forêts armoricaines, qui nous submerge d’un enchantement qui est celui de Merlin, de Morgane, celui qui guida les chevaliers d’Arthur. Nous nous sentons tous envoutés, transcendés. Il nous transmet le message des hommes libres, celui de peuples qui veulent vivre et continuer à se battre. « An Alarch » nous subjugue et nous unit tous, nous préparant aux affrontements futurs. Depuis cette époque, bien d’autres chanteurs ou groupes ont entretenu cette pratique de la tradition.
Breizh-info : Quel regard Jean Mabire portait-il sur le nationalisme Breton ?
Bernard Leveaux : Immanquablement, votre question nous ramène à Olier Mordrel, ainsi qu’à l’article très complet que Padrig Montauzier a consacré, en nos pages, aux origines de la Bretagne et au FLB. Tout d’abord, rappelons qu’une nation est formée d’individus constituant une unité ethnique, linguistique et culturelle et désirant vivre en une même communauté respectant les mêmes lois sur un territoire qui est le leur. À ce stade, nous dirons que cette définition est invariable. Olier Mordrel, ainsi que Yann Fouéré, et leurs compagnons ont combattu toute leur vie durant pour l’unité et la survie d’une nation bretonne. Partant, à la base, d’une volonté d’autonomie, et même d’indépendance à l’égard du centralisme que leur impose la France, quelque soit son régime. Par ailleurs, cette Bretagne s’inscrit, plus largement, par la langue et la culture, dans une nation celtique.
Jean Mabire avait une vision très favorable de l’idéal breton, mais différente de celle qu’il développait pour la Normandie. En effet, le nationalisme breton part d’une identité solide et établie. Il n’en est pas de même pour la Normandie où n’existe aucun réel nationalisme, mais bien plutôt un régionalisme. Jean Mabire n’a jamais su, ni voulu, instaurer un idéal nationaliste fort. Le combat est différent. La Bretagne se tourne volontiers vers des nations sœurs, telles que l’Ecosse, l’Irlande, le Pays de Galle, la Cornouaille, alors que la Normandie, elle, regarde vers le nord, vers ses origines scandinaves et, plus loin, vers une ouverture aux peuples européens d’origine nordique. À ce stade, Jean Mabire rejoint la vision de Yann Fouéré, qui prône une « Europe aux cent drapeaux », c’est-à-dire une réelle Europe réunissant les peuples qui la composent, tout en respectant leur identité propre. C’est toujours cette Europe que nous désirons construire, car aujourd’hui tout est à refaire.
Breizh-info : Quelle est la phrase de Jean Mabire qui inspire, avant tout, votre association ?
Bernard Leveaux : « Nous ne changerons pas le monde, il ne faut pas se faire d’illusions, ce n’est pas nous qui allons changer le monde, mais le monde ne nous changera pas. » (août 1997)
Propos recueillis par Lionel Baland
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2 réponses à “Les amis de Jean Mabire ont consacré un numéro spécial de leur revue à la Bretagne”
Une coquille : ce n’est pas en 1967 mais en 1959 que Glenmor se produit pour la première fois à Paris, avec l’écho que l’on sait.
J’ai particulièrement été heureux de répondre positivement à la demande de Bernard Leveaux et ainsi participer à ce numéro spécial sur la Bretagne et le mouvement nationaliste breton (légal et clandestin).
Un très bon numéro.