Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je suis Philippe Birembaut, médecin, Professeur à la Faculté de Médecine et Praticien Hospitalier au CHU de Reims, en retraite depuis 2020 et passionné par l’histoire de l’Ouest depuis mon adolescence.
Breizh-info.com : Quand vous est venu la passion pour l’Ouest américain, et pour la question indienne ?
Fan de cinéma depuis mon adolesence, je me suis intéressé à l’Ouest américain, d’abord par les westerns. J’ai été souvent frappé par la représentation caricaturale des Indiens et je me suis penché alors sur leurs coutumes et leur histoire.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a inspiré à écrire sur la bataille de Little Bighorn et son impact sur la mémoire américaine ?
La bataille de la Little Bighorn a suscité une littérature très abondante (plusieurs milliers d’articles, de livres , de romans, de poèmes), plus de 1000 tableaux, des dizaines de films où elle a été représentée ou évoquée. C’est dire l’importance qu’elle a dans la culture et la mémoire américaines. J’ai voulu dans ce livre décrire la façon dont elle a été perçue dans les médias de 1876 à nos jours et la relier à l’histoire des Etats-Unis et au traitement des Indiens par le gouvernement américain.
Breizh-info.com : Comment décririez-vous l’évolution de la perception de cette bataille dans la mémoire américaine depuis 1876 jusqu’aux années 2020 ?
La bataille de la Little Bighorn en 1876 a été un véritable choc émotionnel au moment du centenaire du pays. La personnalité du général Custer très médiatisée avant sa mort a joué une part importante dans la perception de la défaite américaine du plus fameux des régiments de l’armée, mis en pièces par des « sauvages » vivant comme à l’âge de pierre. La politique s’en est mêlée, les Démocrates voulant profiter de l’occasion pour mettre en cause la politique plus clémente du Président Grant, Républicain, vis-à-vis des Indiens. Le mythe du « Custer’s Last Stand » héroïque a.été créé à cette époque. Il a perduré jusqu’à nos jours avec de nombreux avatars. Custer a été présenté comme un héros américain paré de toutes les vertus du combattant,sans contestations jusqu’en 1934. Le mythe a été écorné par la suite, avec la révélation des nombreuses erreurs commises par Custer au cours de la bataille discutées par les historiens, enfin ce mythe a été contesté de manière violente dans les années 60-70 où les Indiens ont fait entendre leur voix et leur vision du combat. Depuis les années 1980-90, les historiens se sont penchés sur cette bataille avec des outils archéologiques utilisés sur le champ de bataille et la prise en compte plus critique des témoignages indiens. Il est clair que la perception de la bataille suit de manière étroite la façon dont les gouvernements américains au cours de toutes ces années ont traité le problème indien, de la répression quasi génocidaire à une acceptation de la culture et d’une certaine autonomie des tribus de nos jours.
Breizh-info.com : Comment avez-vous abordé les sources historiques et les témoignages pour reconstituer les événements de la bataille ?
Il m’a fallu sélectionner des dizaines d’ouvrages écrits par des témoins américains peu nombreux, le bataillon de Custer ayant été totalement anéanti et par des historiens pas toujours très sérieux, emportés par la création du mythe. Les témoignages indiens ont été longtemps écartés, considérés comme peu fiables par de nombreux auteurs. Les meilleurs livres ont été publiés à partir de 1986, après les découvertes archéologiques du site du combat.
Breizh-info.com : Pourquoi pensez-vous que la bataille de Little Bighorn est devenue un « mythe identitaire américain » qui perdure jusqu’à nos jours ?
L’Amérique s’est créée en colonisant des terres occupées par les Indiens, les « Natives ». Ceux-ci ont été décimés par les maladies et les massacres par les colons et l’armée. La bataille de la Little Bighorn a été une des rares victoires des « Natives » et a entraîné une réponse violente de l’armée qui a accéléré le processus de destruction des Indiens. Cette bataille spectaculaire est rentrée dans la mythologie du Far West et dans la culture américaine. A ce titre, elle perdure dans la mémoire des Américains de toutes origines.
Breizh-info.com : La bataille de Little Bighorn est-elle perçue différemment par les différentes communautés aux États-Unis, notamment les Indiens Sioux et l’armée américaine ?
Il est clair que, même de nos jours, la bataille est encore source de controverses aux Etats-Unis. Pour exemple, sl’on prend la vision du champ de bataille, un des sites les plus visités aux USA, deux associations s’intéressent à l’histoire, l’une dédiée à la vie héroïque de Custer (Little Big Horn Associates), l’autre décryptant les causes, les événements et les conséquences de cette défaite de l’armée américaine (Friends of the Little Bighorn Battlefield). Naturellement, les Indiens trouvent dans cette victoire une certaine fierté, mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt et le massacre de Wounded Knee en 1890 représente plus la façon dont les Natives ont été traités. Pour l’Amérique blanche, les deux approches pro- ou anti-Custer se retrouvent, correspondent très schématiquement au clivage de plus en plus inquiétant de ce pays entre Républicains (souvent pro-Custer) et Démocrates (plus volontiers anti-Custer).
Breizh-info.com : Quelle est la principale leçon ou le principal message que vous souhaitez que les lecteurs retiennent de votre livre ?
Cette bataille est exemplaire pour comprendre la complexité de l’histoire et du peuple américains. Elle est entrée dans la mythologie de ce pays à travers de multiples représentations souvent loin de la réalité, mais témoignant de la volonté de réécrire l’histoire. En ce sens, elle est un véritable laboratoire pour appréhender les rapports entre Histoire et Mémoire. C’est ce qui fait tout son intérêt.
Breizh-info.com : Le cinéma ou la littérature sont riches concernant cette période. Des films ou livres à conseiller ?
Deux films « opposés » sont à voir : « La charge fantastique » (They died with their boots on) (1941) de Raoul Walsh, biographie flamboyante du général Ciuster, incarné par Errol Flynn, valorisant la cavalerie à l’aube de l’entrée en guerre des USA, et Little Big Man (1970) d’Arthur Penn où les Indiens sont réhabilités et Custer ridiculisé, réalisé en pleine période de contestation et de guerre du Vietnam. Dans les deux cas, la bataille de la Little Bighorn n’est absolument pas représentée correctement, mais ces films, en dehors de leur narration sont révélateurs d’une vision caricaturale, témoins une époque.
Pour les livres en français, David Cornut a écrit un « LIttle Big Horn, une bataille légendaire » publié aux Editions du Rocher, Collection Nuage rouge, très pro-Custer centré sur la bataille et j’ai un faible pour le livre de James Welch, auteur Sioux « C’est un beau jour pour mourir » (Killing Custer) publié par Albin Michel, qui fait une grande part à la vision indienne de la bataille, des causes et des conséquences de celle-ci.
Propos recueillis par YV
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