Il y aura du monde, beaucoup de monde, et c’est une bonne chose, à défendre l’hôpital de Carhaix, mais à travers lui, tous les hôpitaux de la ruralité bretonne (et même des moyennes villes) qui sont aujourd’hui clairement menacés. Faute de personnel (beaucoup de gens sont surmenés, le COVID en a jeté d’autres dehors, les salaires ne sont pas attirants tout comme les conditions de travail peu compatibles avec une vie de famille). Faute de volonté de l’administration qui ne pense que profit et rentabilité, ce qui est contraire à la mission de service public et au droit à la santé, droit fondamental des contribuables qui paient pour cela. Faute aussi de pouvoir décisionnel local, et de manque d’autonomie pour pouvoir décider, régionalement, de notre politique de santé. Faute de moyens tout simplement aussi, puisque les hôpitaux bretons y compris avant la crise du Covid ne possédaient pas tous les mêmes spécialités, les mêmes services rendus à la population.
Mais il est tout de même important d’expliquer les choses, car avec le décès d’un bébé et le drame qui a touché une famille à Carhaix, la semaine dernière, on lit absolument tout et n’importe quoi sur les réseaux sociaux. Notamment que ce drame serait lié à la fermeture des urgences de Carhaix le soir (ou plutôt à leur régulation) ce qui n’est pas vrai. Précisions.
La fillette d’un gendarme de Carhaix, âgée de 6 mois, est décédée dans la nuit du 27 au 28 septembre des suites de difficultés respiratoires. Sur place, les pompiers, comme le SMUR, se sont déplacés manifestement dans les temps (car c’était les pompiers locaux ainsi que l’antenne locale du SMUR Brest en faction à l’hôpital de Carhaix 24 h sur 24 malgré la régulation). Et n’ont pas pu réanimer le bébé.
On a lu ici ou là que le bébé n’avait pas été pris en charge par les urgences de Carhaix, cela mérite une explication : lorsqu’une urgence vitale se déclenche (arrêt cardiaque, hémorragie, étouffement, AVC…), la plupart des petits hôpitaux bretons (comme Lannion, Paimpol, Guingamp, Pontivy, Carhaix, Fougères, Vitré, Redon, Saint-Malo…) ne prennent que rarement (voire pas du tout) en charge les victimes, et cela depuis des années puisque même si certains d’entre eux possèdent ce qu’on appelle un déchokage, ils n’ont pas forcément les équipes pour prendre en charge les situations les plus graves dans le service des urgences, en lien direct avec le ou les service(s) de réanimation, avec les chirurgiens… Cette salle permet de réaliser les premiers soins les plus urgents, ceux qui vont permettre de temporiser ou d’effectuer des examens éventuellement avant une intervention ou un transfert en réanimation quand cela est nécessaire.
Exemple : vous êtes témoin d’un malaise cardiaque à Carhaix. Vous appelez le 112. Un opérateur du SAMU envoie immédiatement sur place les pompiers (ou une ambulance privée) ainsi qu’un SMUR. En fonction de la disponibilité des uns et des autres, ce sont les pompiers de Carhaix et l’antenne carhaisienne du SMUR de Brest qui sont appelés. S’ils sont déjà en intervention, ça s’étend ensuite aux pompiers et aux SMUR disponibles plus loin.
Les secours arrivent sur place (en espérant que vous ayez déjà prodigué les premiers soins, sinon, même après 5-10 minutes d’attente entre votre appel et l’arrivée des secours, il sera déjà trop tard pour un arrêt cardiaque, et trop tard aussi pour une hémorragie si vous n’avez rien fait. Ils réaniment (ou pas) la victime. Si pas de réanimation, le médecin du SMUR déclare le décès. Et les secours prennent ensuite en charge le défunt avec les pompes funèbres appelées sur place. Si la réanimation, la victime doit d’abord être stabilisée sur place, puis, en fonction de son âge, et de la gravité de la situation jugée par le médecin, évacuée, ou par hélicoptère, ou par ambulance médicalisée (c’est à dire dans laquelle monte le médecin du SMUR). Si hélicoptère il y a pour Carhaix, ce sera celui de Brest ou de Saint-Brieuc si les conditions météo le permettent. Sinon, ce sera transport médicalisé en ambulance.
Dans tous les cas, à aucun moment, en cas d’urgence vitale et y compris à Carhaix, la victime ne sera dirigée par l’hôpital de Carhaix, y compris en pleine journée, car l’hôpital n’a pas le service pour la recevoir. Que les Urgences soient ouvertes ou régulées n’y change rien, cela fonctionne comme cela depuis des années.
La direction de l’hôpital de Brest s’est d’ailleurs engouffrée dans la brèche suite à la désinformation en précisant dans un communiqué que « réguler un service d’urgence ne veut pas dire fermeture des urgences (…) De 18 h à 8 h depuis le 1er septembre, 57 patients ont été pris en charge sur place aux urgences de l’hôpital de Carhaix ». Effectivement, si vous vous tordez la cheville, ou que vous avez des douleurs cardiaques, y compris en cas de régulation, vous serez potentiellement pris en charge. Dans tous les cas, en cas d’urgence vitale, les secours vous emmèneront ailleurs, sans passer par la case hôpital de Carhaix, mais encore une fois, cela fait des années que c’est ainsi, et la décision de régulation des urgences la nuit n’y change rien.
Grosso modo, même si vous vous présentez dans des urgences non régulés avec des symptômes particulièrement graves, le personnel fera la même chose qu’un SMUR, c’est à dire vous stabiliser, en attendant de vous transférer ailleurs (et c’est là que c’est scandaleux, puisque chaque hôpital devrait pouvoir tout traiter).
Pour une grosse fracture par exemple, vous serez même peut-être, là encore en fonction de votre âge, transféré directement à Rennes. Pour une brûlure très grave, à Nantes.
Au-delà des régulations des urgences, c’est bien cela qui est le plus choquant : le système sanitaire breton fonctionne depuis des années à 2 vitesses. Les métropoles ont quasiment tous les grands services, la ruralité n’a rien du tout, et les contribuables peinent à obtenir y compris des rendez-vous médicaux pour consulter des spécialistes. Il y a une inégalité sanitaire flagrante, et les régulations des urgences ne sont que la partie visible de l’Iceberg. Oui, un service de santé hospitalier normal en Bretagne devrait permettre à chacun de bénéficier de l’ensemble des soins, des urgences vitales traitées à la bobologie, en passant par toutes les spécialités, à moins de 30 minutes de chez soi.
Le système sanitaire en Bretagne ne tient actuellement qu’à un fil. Techniquement, et c’est d’ailleurs ce que l’ARS, véritable pieuvre administrative, devrait comprendre, c’est aussi ce qui devrait révolter la population : si vous avez une rage de dents un samedi soir à Rostrenen, vous n’aurez ni dentiste (à moins d’avoir de la chance) ni urgences locales pour vous prendre en charge. On vous enverra à Brest ou à Rennes.
Si vous avez un arrêt cardiaque à Callac, et que dans le même temps, un accident grave impliquant plusieurs victimes en urgence absolue, se déroule à quelques kilomètres, à Carhaix, mettons. Et que dans la même heure, un incendie se déclenche dans une habitation de Poullaouen avec des familles… et bien il y aura des choix d’urgences qui seront faits, et des victimes qui devront attendre plus longtemps avant une prise en charge, avec toutes les conséquences que cela peut avoir. Ce n’est pas uniquement la question de la régulation des Urgences qui entraine cela, mais bien la dégradation totale du service hospitalier, l’abandon progressif des hôpitaux ruraux, le manque de personnel médical et soignant, faute d’un service sanitaire digne de ce nom et de conditions de travail acceptable (et du fait du Numerus Clausus dont les promoteurs devraient aujourd’hui être poursuivis et condamnés dans une démocratie normale). Mais aussi faute de pompiers dans les casernes, d’ambulances privées disponibles parfois le week-end…
C’est en réalité tout un système qui s’effondre, et ne voir cela que sous le prisme des « régulations » d’Urgence alors que de toute façon, les citoyens sont déjà abandonnés de toute part sur ce plan, c’est sans doute prendre le problème à l’envers. Il y a tout à reconstruire. Et vite.
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