Quelques tâches éparses de rouge noyées dans un océan de blanc, telle a longtemps été la physionomie du vignoble nantais, voué quasi exclusivement au muscadet et à quelques cépages accessoires majoritairement blancs (folle blanche, chardonnay).
Pour autant un mouvement de diversification entamé depuis 20 ans, tend de plus en plus à teinter le règne sans partage des vins blancs, d’un rouge aux multiples nuances.
Longtemps mise sous le boisseau, la plantation des cépages à peau noire s’est maintenue en marge du muscadet, principalement représentée par le merlot et le cabernet sauvignon dans leur version la plus rudimentaire…
Face à l’omnipotence d’une culture de la vinification tournée vers le blanc, certains vins rouges ont pu ainsi entretenir un caractère confidentiel, voire folklorique au travers de d’un petit nombre de cépages autochtones qui ont fait souche au fil de l’histoire.
Et puis il y a eu le jeu des mutations génétiques qui a fait naître par le hasard de la pollinisation de nouvelles variantes de cépages qui perdurent encore aujourd’hui, grâce au le travail des pépiniéristes et de vignerons désireux de perpétuer ces nouveaux plants.
Peut-on y voir une amorce de tournant pour le vignoble nantais ? C’est peut-être aller vite en besogne, mais toujours est-il que des vins rouges de solide stature émergent d’années en années.
Au premier chef le fameux pinot noir (Statera) de Jérôme Bretaudeau qui perfore les prix habituels à près de 50 euros la bouteille, vendu avec parcimonie aux professionnels par allocation.
Quant aux rouges d’inspiration « nature » de Fred Niger du domaine de L’Ecu, parfois déroutants et à l’évolution hasardeuse, ils revendiquent aussi des tarifs allègrement supérieurs aux standards de la région.
Aux côtés de cette production élitaire émergeante, prospère une poignée de cépages rouges quasi endémiques, à l’origine de propositions inédites.
Berligou, abouriou, egiodola… les réussites sont diverses selon les cépages et le soin apporté par les vignerons, ayant en charge de défendre cette facette méconnue du patrimoine ampélographique nantais.
Cet article découle de dégustations personnelles et s’appuie sur l’excellent compte-rendu de Jocelyn Gombault de Vertivin lors d’une séance de dégustation dédiée aux cépages rouges du pays nantais.
Le berligou, le plus insolite et le plus prometteur d’entre tous
Ce plant descendant du pinot noir doit sa notoriété récente au travail d’un groupe de 4 vignerons investis dans sa résurrection. Dès le Moyen Âge, il est fait mention de ce clone local du pinot noir qui tire son nom d’une parcelle de vigne située sur la commune de Couëron. Comme toujours avec le vin, il traîne avec lui sa part de légende, en grande partie apocryphe. La grande histoire raconte que son implantation en Bretagne résulte d’un cadeau du duc de Bourgogne à François II duc de Bretagne.
La réalité est sans doute plus prosaïque et son arrivée en terre nantaise dérive en toute vraisemblance du jeu du commerce… De fait, réduit à quelques ares pendant la crise du phylloxera, le cépage a bien failli disparaître.
C’est sans compter sur l’abnégation de quelques vignerons qui vont s’employer à vouloir le faire subsister au milieu des vins blancs.
Comme le souligne justement Jocelyn Gombault de l’association Vertivin, les plantations sont récentes et par conséquent, il faudra attendre une bonne décennie pour prendre la mesure du potentiel de ce cépage.
Reste que dans le berligou de certains vignerons, les marqueurs du pinot noir dont la filiation est avérée, sont bien apparents. En particulier chez celui de Jean Luc Viaud, ce vigneron discret arrive à sortir sur le délicat millésime 2021 un berligou centré sur un bel équilibre et paré d’un fruit noir juteux et fin. Le petit élevage lui confère une légère préciosité sans attenter à l’authenticité, avec un joli retour sur un tanin au grain léger en fin de bouche. Le millésime 2022 est à l’avenant et augure d’une belle continuité pour les années à venir, compte tenu du fait que le vin semble affirmer sa surprenante finesse et une franche personnalité de millésime en millésime, prometteur !
En revanche celui du domaine Poiron Dabin se perd dans les effluves vanillés du bois. Très bon communicants, les frères Dabin ont eu tendance à s’ériger en seuls représentants bruyants du cépage disparu, mais dans le vin comme ailleurs, ce n’est pas ceux qui en parlent le plus qui obtiennent forcément les meilleurs résultats …
L’abouriou : résolument rustique, mais son profil pourrait changer à la faveur du réchauffement climatique
L’abouriou compte aussi parmi les vieux cépages témoins d’une tentative de diversification du vignoble nantais vers les vins rouges. Ce descendant de la magdeleine noire qui signe l’identité gustative des Côtes du Marmandais a été planté de façon résiduelle et expérimentale dans les années 80.
Le moins que l’on puisse dire, est que jusqu’à présent, les résultats ne se sont pas révélés concluants, car ce « gros producteur » au jus fortement coloré grâce à sa forte teneur en anthocyanes peut pâtir d’une franche rugosité lorsque les maturités (physiologique et phénolique) ne sont pas abouties.
Or sous le climat des fins d’été pluvieuses des années 90, l’abouriou a souvent été pénalisé par une verdeur désagréable que venait renchérir un tanin saillant et rêche… Quelques vignerons s’obstinent encore à vouloir en tirer le meilleur parti avec plus ou moins de réussite.
Beaucoup se révèlent assez râpeux, d’autres sont affectés par des réductions assez désagréables (même si la disgrâce est passagère et peut se dissiper sous l’effet du carafage).
Encore une fois, notre satisfecit va à l’abouriou de Jean Luc Viaud au tanin remarquablement adouci par un petit passage sous bois (élevage en barrique) salutaire, la profondeur de fruit est notable, le vin arbore une franche noirceur et ses arômes de fruits noirs dérivent sur le végétal noble en finale.
Celui de Christian Gautier sur le millésime 2015 recueille aussi les suffrages lors de la dégustation de Vertivin (non dégusté).
Malgré quelques progrès, il semble que l’avenir de l’abouriou en terres nantaise demeure anecdotique et incertain car contrairement au berligou, son acclimatation paraît moins évidente. Peut-être que le changement climatique à l’œuvre ces dernières années, changera le profil de ce vin encore foncièrement rustique dans l’âme.
L’egiodola , des résultats probants en rosé
Il est issu du croisement entre un cépage très répandu sur l’île de madère : le tinta negra mole avec l’abouriou. Si les vinifications en rouge donnent des vins assez communs, souvent pénalisés par une faiblesse structurelle assez récurrente, sans doute aussi en raison d’un manque d’ambition des vignerons, a contrario, le cépage révèle de vraies qualités gustatives sur les rosés.
Pas franchement aligné sur la mode des rosés pâles et transparents voire délavés, l’egiodola apporte des teintes assez marquées sur des saignées courtes en durée par sa richesse en matière colorantes (antiocyanes). Surtout, son potentiel aromatique lègue aux rosés un caractère fortement expressif sur le registre de la fraise, ainsi celui du domaine Drouard au prix ridiculement bas (vers les 5 euros) affiche une personnalité aguicheuse par l’entremise de ses francs arômes de fraises des bois.
D’autres cépages rouges s’intercalent subrepticement entre les vignes de muscadet à l’instar du côt du domaine de la Pépière, qui s’est érigé en une cuvée phare pour toute la restauration nantaise.
Si le processus de réhabilitation est encore en gestation et se cantonne encore aux marges de la production de vins en pays nantais, il contribue toutefois à instaurer lentement une culture du vin rouge en terre de muscadet.
Outre une progression notable de leur qualité, les cépages rouges du pays nantais ont aussi le mérite de tempérer leur niveau d’alcool associé à des maturités phénoliques* de plus en plus satisfaisantes, un atout de taille pour un marché de plus en plus réfractaire aux vins trop alcoolisés.
Raphno
Maturité phénolique : Une maturité cruciale pour la qualité d’un vin rouge bien plus déterminante la sacro-saint critère de la richesse en sucre gage d’un titre alcoométrique élevé. Elle traduit avant tout la maturité des composantes phénolique du raisin : anthocyanes (pigment), tanins
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3 réponses à “À la redécouverte des cépages autochtones du pays nantais”
Je suis étonné ! J’adore être étonné !
Un très bon article, et surtout très documenté et professionnel au point d’apparaître profondément surpris de retrouver une telle écriture sur Breizh-Info. BRAVO ! Ceci étant dit, si je m’intéresse au texte, c’est que je suis un professionnel du Vin, multi-cartes, et uniquement à l’export. J’avoue tout autant que j’ignorais les nombreuses facettes vinicole de notre Belle et Grande Région Bretonne, alors qu’à l’âge pubère, j’y ai vécu dans le cocon familial destiné, il est vrai, à la conserverie de produits marins. Bref ce laius pour dire qu’un intérêt certain en ce qui me concerne vient de naître, et dans un futur très proche, l’effort, autant commercial que professionnel, se portera vers notre belle et grande Région.
Certains vignerons doués pour la communication font toujours semblant de « découvrir » quelque chose — allégation qui semble autoriser des prix délirants — et certains journalistes leur emboîtent le pas. Or le rouge n’est pas une « redécouverte » de 2023. Il est facile de le vérifier grâce aux déclarations de récoltes du siècle dernier. Quelque 14.000 hectares du Pays de Retz étaient autrefois plantés en cépages destinés à produire des vins rouges, alors majoritaires dans cette partie du vignoble. Produits sur de petites parcelles par de petits exploitants en polyculture, ou même par des non-agriculteurs, voire des résidents secondaires, ils étaient presque toujours considérés comme médiocres. A partir de la fin des années 1960, l’ITV et l’INAO ont incité à des replantations en abouriou, en cabernet (franc ou sauvignon), en gamay* ou en gros-lot, ce que de nombreux vignerons ont fait avec succès.
* A propos, vous ne citez même pas le gamay ; pourtant c’est un cépage essentiel des coteaux d’ancenis depuis bien longtemps.
L’origine du « Berligou » n’est pas une légende. Philippe Le Hardi, duc de Bourgogne, a été sa vie durant le meilleur protecteur et ambassadeur du cépage pinot noir de sa région. Il a rendu visite à Jean V par 3 fois à Nantes qui aimait résider dans son manoir de La Gazoire à Couëron. A ce duc de Bretagne dont il avait été le tuteur dans sa jeunesse. Offrir des plants de pinot noir était pour lui une évidence…