Ce 15 août 2023 marque la triste commémoration de l’attentat d’Omagh, perpétré le 15 août 1998 en Irlande du nord. L’occasion de revenir sur l’un des attentats les plus meurtriers des Troubles et de la guerre civile, alors même que les accords dits du Vendredi Saint venaient d’être signés.
Attentat d’Omagh : le contexte
Nous sommes le 15 août 1998. L’Irlande du Nord pense avoir tourné le dos à la guerre civile avec les accords du Vendredi Saint, qui met fin à une guerre civile qui a duré 30 ans. Chaque communauté pense ses plaies. Après l’échec des négociations visant à mettre fin aux troubles en 1996, l’Irlande du Nord a connu une reprise de la violence politique qui a atteint son paroxysme lors des affrontements de Drumcree. Le processus de paix a repris en 1997. En septembre 1997, le Sinn Féin accepte les principes de Mitchell, qui impliquent un engagement en faveur de la non-violence, dans le cadre des négociations du processus de paix. Cela débouchera sur l’accord du Vendredi Saint de 1998.
Les membres dissidents de l’Armée républicaine irlandaise provisoire (IRA), qui considèrent cela comme une trahison de la lutte républicaine pour une Irlande unie, quittent le mouvement en octobre 1997 pour former l’Armée républicaine irlandaise réelle (Real IRA).
La tactique de la Real IRA était la même que celle de l’IRA qui l’avait précédée. Elle s’en prend aux forces de sécurité britanniques et commet des attentats à la bombe contre des cibles symboliques ou économiques. L’objectif est d’endommager l’économie et de provoquer de graves perturbations, afin de faire pression sur le gouvernement britannique pour qu’il se retire d’Irlande du Nord. Des avertissements sont envoyés avant ces attentats, accompagnés d’un mot de code pour que les autorités sachent qu’il s’agit d’un véritable attentat. La Real IRA a commencé sa campagne paramilitaire par une tentative d’attentat à la voiture piégée à Banbridge, dans le comté de Down, le 7 janvier 1998. L’explosif de 140 kg a été désamorcé par les forces de sécurité. Au cours des mois suivants, l’organisation a organisé plusieurs attentats à la voiture piégée et au mortier. Il y a également eu des attentats ou des tentatives d’attentats à Moira, Portadown, Armagh, Newry, Lisburn, Belfast et Belleek, ainsi qu’un autre attentat à la voiture piégée à Banbridge le 1er août, qui a fait trente-cinq blessés mais aucun mort.
Omagh est une commune située à la confluence des rivières Drumragh et Camowen qui se rencontrent pour former la Strule. Avec 21 297 habitants dans la ville et au total 49 560 habitants dans le district en incluant les zones rurales aux alentours, elle est la plus importante ville de l’ouest de l’Irlande du Nord. Une ville majoritairement catholique.
Mais ce 15 août, la relative quiétude de la commune va s’effondrer : une voiture piégée explose en plein centre ville, tuant 29 personnes et en blessant plus de 200. Cet attentat a été perpétré et revendiqué par la « Real IRA », Le groupe avait émis un avertissement environ 40 minutes avant l’explosion, mais les informations données étaient inexactes, conduisant malheureusement la police à évacuer les gens vers le lieu de l’explosion.
La voiture piégée a explosé vers 15 h en pleine zone commerçante. Les gens ont été pris dans une « tempête » de verre, de maçonnerie et de métal, alors que l’explosion détruisait les façades des magasins et soufflait les toits des bâtiments. Un épais nuage de poussière et de fumée envahit la rue. L’explosion est si forte qu’elle déchire le béton et fait éclater les canalisations ; l’eau qui coule dans la rue est rougie par le sang des morts et des blessés. Vingt-et-une personnes qui se trouvaient à proximité de la bombe ont été tuées sur le coup. Huit autres sont mortes sur le chemin de l’hôpital ou à l’hôpital.
Marion Radford, une survivante blessée, a décrit avoir entendu une « détonation étrange », suivie d’une « étrangeté, d’une obscurité qui venait de s’emparer de l’endroit », puis des cris alors qu’elle voyait « des morceaux de corps, des membres » sur le sol pendant qu’elle cherchait son fils de 16 ans, Alan. Elle découvrira plus tard qu’il a été tué à quelques mètres d’elle, alors qu’ils avaient été séparés quelques minutes avant l’explosion.
En raison de l’engorgement des services d’urgence, des bus, des voitures et des hélicoptères ont été utilisés pour transporter les victimes vers d’autres hôpitaux d’Irlande du Nord, notamment l’hôpital Royal Victoria de Belfast et l’hôpital Altnagelvin de Derry.Paul McCormick, du Northern Ireland Ambulance Service, témoigne à l’époque : « Les blessures sont horribles : amputations, traumatismes crâniens graves, brûlures graves, et parmi eux se trouvent des femmes et des enfants »
Sur les 29 personnes tuées, dix-huit catholiques (dont deux Espagnols), dix protestants et un mormon. La dernière victime décédée, Seán McGrath, a été hospitalisée dans un état critique pendant trois semaines avant de succomber à ses blessures le 5 septembre.
L’attentat d’Omagh a eu lieu treize semaines après la signature de l’accord du Vendredi saint d’avril 1998.
Attentat d’Omagh : victimes et conséquences
Cet attentat aura néanmoins eu l’effet inverse du but recherché, à savoir la terreur et la division au sortir d’une guerre civile. L’attentat a été universellement condamné par les dirigeants politiques et religieux, tant catholiques que protestants, ainsi que par les principaux groupes paramilitaires. Cet acte de violence a, en quelque sorte, renforcé la détermination des communautés à œuvrer pour la paix. La Real IRA a fait face à une pression énorme en interne, mais aussi de la part de la communauté internationale et a déclaré un cessez-le-feu un mois après l’attaque.
Trois jours après l’attentat, la Real IRA avait en effet revendiqué la responsabilité de la pose de la bombe, mais a fermement nié avoir eu l’intention de tuer des civils et a présenté ses excuses aux victimes. Elle a également annoncé que « toutes les opérations militaires ont été suspendues »
En réponse à l’attentat, les gouvernements britannique et irlandais se sont engagés à promulguer des lois antiterroristes plus strictes. Le 3 septembre, le parlement britannique a adopté la loi de 1998 sur la justice pénale (terrorisme et conspiration) et le parlement irlandais a adopté le projet de loi sur les infractions contre l’État (amendement). Les membres des deux gouvernements ont qualifié les mesures de « draconiennes » et les projets de loi ont été adoptés à la hâte, malgré les protestations des parlementaires et des groupes de défense des libertés civiles. Les nouvelles mesures comprenaient l’autorisation de condamner les membres présumés de groupes terroristes sur la foi d’un officier de police de haut rang, la limitation du droit au silence et l’allongement des périodes de détention.
Voici les noms des 29 personnes qui ont été tuées dans l’attentat d’Omagh :
- James Barker
- Fernando Blasco Baselga
- Geraldine Breslin
- Deborah-Anne Cartwright
- Gareth Conway
- Breda Devine
- Oran Doherty
- Aiden Gallagher
- Esther Gibson
- Mary Grimes
- Olive Hawkes
- Julia Hughes
- Brenda Logue
- Ann McCombe
- Brian McCrory
- Samantha McFarland
- Sean McGrath
- Sean McLaughlin
- Avril Monaghan
- Maura Monaghan
- Alan Radford
- Rocio Abad Ramos
- Elizabeth Rush
- Veda Short
- Philomena Skelton
- Frederick White
- Bryan White
- Lorraine Wilson
- Jolene Marlow
L’attentat d’Omagh, l’une des plus grandes tragédies des Troubles en Irlande du Nord, a entraîné des conséquences judiciaires majeures. Mais celles-ci ont également été entachées de controverses et de frustrations pour les familles des victimes. Dans les jours et les semaines qui ont suivi l’attentat, plusieurs personnes ont été arrêtées pour être interrogées, mais elles ont été rapidement relâchées faute de preuves suffisantes pour les inculper.
En 2002, Colm Murphy a été la première personne reconnue coupable en lien avec l’attentat. Il a été condamné pour avoir fourni deux téléphones mobiles utilisés pour planifier l’attaque. Cependant, en 2005, sa condamnation a été annulée en appel en raison d’irrégularités dans la collecte de preuves, notamment la falsification des dossiers d’interrogatoire par la police. En 2010, à l’issue d’un nouveau procès, il a été acquitté.
En 2007, Sean Hoey, un électricien originaire d’Armagh, a été jugé pour 58 chefs d’accusation, dont ceux liés à l’attentat d’Omagh. Après un long procès, il a été acquitté de tous les chefs d’accusation. Le juge a critiqué la manipulation des preuves par la police et a déclaré que les témoins de la police étaient peu fiables.
Frustrées par l’absence de condamnations pénales, certaines familles des victimes ont lancé une action civile contre cinq suspects qu’elles estimaient être responsables de l’attentat : Michael McKevitt, Liam Campbell, Colm Murphy, Seamus Daly et Seamus McKenna. En 2009, quatre des cinq hommes (tous sauf McKenna) ont été jugés responsables de l’attentat lors d’un procès civil et ont été condamnés à verser des dommages et intérêts aux familles.
En 2014, Seamus Daly a été inculpé en lien avec l’attentat. Cependant, les charges contre lui ont été abandonnées en 2016, faute de preuves suffisantes.
Malgré plusieurs tentatives d’inculpation, personne n’a été définitivement condamné au pénal pour cet attentat. Les erreurs de procédure, la manipulation des preuves par la police et d’autres irrégularités ont entravé la quête de justice. Les actions civiles ont apporté un certain niveau de satisfaction aux familles, mais le désir de voir les responsables tenus pour responsables au pénal demeure.
Aujourd’hui encore, de nombreuses commémorations rappellent cette tragédie. Mais des zones d’ombre et un manque de réponse apportée aux familles des victimes rendent cela toujours très douloureux et sensible.
Nous ne pouvons que vous conseiller pour compléter cet article le film signé Pete Travis et intitulé Omagh, film sorti en 2004 et qui relance très vivement l’hypothèse de négligence volontaire dans l’enquête suivant cet attentat.
Enfin, cet attentat a inspiré la chanson « Paper Sun » du groupe de hard rock britannique Def Leppard
Mais une autre chanson inspirée par l’attentat d’Omagh est « Peace on Earth » du groupe de rock U2, qui évoque notamment cinq des victimes de cet attentat. Les noms des 29 personnes tuées lors de l’attentat ont d’ailleurs été cités à la fin de l’hymne anti-violence du groupe » Sunday Bloody Sunday » lors de la tournée Elevation Tour (voir ci-dessous)
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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