Le financement des partis politiques demeure un sujet tabou. Officiellement, les partis vivent grâce aux cotisations et au financement public… Loïk Le Floch-Prigent a une autre idée sur la question
Dans son dernier ouvrage Offshore – Dans les coulisses édifiantes des paradis fiscaux (Le Liens qui libèrent, novembre 2022), l’ancien juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke aborde évidemment l’affaire Elf et son PDG Loïk Le Floch-Prigent ; ce dernier « qui avait été nommé en 1989 par François Mitterrand, a fait les déclarations suivantes au sujet de cette masse d’argent liquide livrée à son collaborateur Alfred Sirven sous sa présidence : « Les candidats à la présidence de la République avaient un accès direct auprès du secrétaire général du groupe pour se voir remettre des enveloppes… A mon arrivée à la tête du groupe, les fonds occultes bénéficiaient essentiellement au parti gaulliste, le RPR. Le président (M. Mitterrand) m’a demandé de rééquilibrer les choses au profit d’autres partis, sans toutefois abandonner le RPR. » (L’Express, compte rendu d’audience du 10 avril 2003). Ainsi le président Mitterrand aurait-il, selon le président du groupe, avalisé le système en place en l’élargissant à d’autres partis que le principal parti de droite. Les faits que décrit le PDG d’Elf, s’ils sont vrais, constituent des détournements de fonds. C’est ce qu’on appelle des rétrocommissions. Ce terme signifie que sur les commissions versées par des entreprises ou sur sa propre caisse noire, ou du moins déclarées comme telles et censées l’être, une partie des fonds partis en Suisse ou au Liechtenstein revient en France pour alimenter les partis politiques. Selon ses déclarations, ce sont les deux principaux partis, de droite et de gauche,, qui auraient bénéficié de ces remises d’argent liquide. Ce que décrit M. Le Floch-Prigent à l’audience du tribunal constitue une pierre de l’édifice qu’on appelle la Françafrique. »
« Il est dommage que M. Le Floch ait gardé le silence, comme d’ailleurs M. Sirven, tout au long de l’instruction car il aurait été intéressant d’enquêter sur ce volet du dossier. L’omerta respectée par les dirigeants du groupe, renforcée par le secret défense opposée par les ministres en place sur les destinataires africains, ont fait obstacle à la progression de la vérité. La tardivité des déclarations sur la destination des espèces revenues de Suisse et leur manque de précision quant aux modalités de leur distribution n’ont pas permis au tribunal d’éclairer cet aspect du dossier. »
François Mitterrand était très « réaliste »
Vingt ans plus tard, Le Floch-Prigent peut considérer que« l’omerta » n’a plus lieu d’être. Raconter comment les « espèces revenues de Suisse » bénéficiaient de certaines « modalités » quant à leur « distribution » intéresserait les lecteurs. Ce serait beaucoup plus croustillant que La bataille de l’industrie (Jacques-Marie Laffont Editeur, novembre 2015) et plus médiatique que le Guide de la pêche à pied en Bretagne (Coop Breizh, 2015). Aujourd’hui, Loïk Le Floch-Prigent n’a plus rien à perdre après avoir été condamné en 2003 à cinq ans de prison ferme et 375 000 euros d’amende. Evidemment, il a le droit de rappeler cette réponse à une question posée par le journaliste Eric Decouty concernant ces pratiques : « En septembre 1989, je m’en suis ouvert auprès du chef de l’Etat. François Mitterrand considérait effectivement que ce système représentait un véritable danger. Il m’a simplement répondu qu’il fallait continuer ce que le général de Gaulle avait décidé. Et je suis convaincu que ce système n’a pas changé, malgré la privatisation de l’entreprise. » (Le Figaro, vendredi 18 mai 2001)
Un livre serait donc le bienvenu afin de nous conter tout ce qu’il a dissimulé jusqu’à ce jour. En attendant, Le Floch-Prigent pourrait faire des gammes sur le sujet à l’institut Kereden (Locarn). « Il y a une véritable hypocrisie à prôner l’émergence de nouvelles technologies tout en négligeant l’outil industriel qui permet de les fabriquer. On doit rendre ses lettres de noblesse à l’industrie comme à l’énergie, en cessant de s’en remettre aux idéologues qui sapent ces deux activités essentielles par ignorance ou par crainte », a-t-il déclaré récemment à Locarn lors d’une conférence (Le Télégramme, Carhaix, mardi 2 mai 2023). « Il y a une véritable hypocrisie à prôner la transparence, l’état de droit, de nouvelles lois pour empêcher les financements occultes, j’en sais quelque chose », pourrait-il expliquer dans une nouvelle conférence ; ce serait un bon moyen de démarrer la séance.
Bernard Morvan
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