Les années passent, mais le chanteur de rock identitaire Skoll se confirme encore comme un des artistes phares de la scène italienne. Il nous livre son seizième album qui s’intitule Negli occhi di Ulisse (Dans les yeux d’Ulysse). Chacune des dix chansons, dont il a, comme à son habitude, composé textes et musique, est une véritable immersion dans l’histoire, le mythe ou l’actualité. Une musique engagée, un rock plaisant à mettre dans toutes les oreilles. Entrevue.
Breizh-info.com : Vous êtes, avec ce seizième album, resté fidèle à votre style, un rock à la fois doux et rauque. Quelles ont été les influences musicales de Negli occhi di Ulisse ?
Skoll : J’ai toujours considéré la musique – même dans ses aspects « stylistiques » – comme une identité. J’aime m’exprimer autant que possible par l’écrit, en composant et en arrangeant ce qui me représente le plus. J’aime les artistes reconnaissables, fidèles à eux-mêmes. Il est évident qu’au fil des ans, on traverse différentes phases artistiques et je crois que sa musique doit les refléter, un peu comme si elle était faite de photographies. Mais il s’agit de cycles artistiques, qui peuvent être longs. Inversement, je n’aime pas les styles trop confus, les disques arrangés avec une hétérogénéité excessive, pleine de sons de toutes sortes. Ainsi, « Negli occhi di Ulisse« , bien que fruit d’un long travail de composition, d’arrangement et d’enregistrement en studio (le plus long de ma discographie) est un disque très clair, dans lequel l’empreinte sonore est identifiable et sa paternité assez évidente. J’ai voulu utiliser les sons que j’aime le plus, en repartant de mes deux disques précédents (« D’Annunzio » et « Neo Geo« ), avec beaucoup de guitares rock et l’ajout de quelques sons électroniques (en particulier dans des chansons comme « La notte dura solo un momento« ).
Breizh-info.com : Une constante de votre œuvre est de mettre en scène des vies exemplaires, ou dignes d’intérêt. Quelles curiosités avez-vous voulu susciter à travers les titres de ce nouvel album ?
Skoll : Il y a des vies extraordinaires qui vous conquièrent depuis que vous êtes enfant et qui, au fil des ans, réapparaissent. Au-delà de l’époque où l’on vit, on s’aperçoit évidemment que l’histoire est faite par les hommes courageux. J’écris des chansons qui, dans un certain sens, se divisent souvent entre histoires personnelles et histoires collectives… en suspens entre un journal intime et des histoires que j’aime plutôt imaginer comment des récits devant être transmis. Je chante d’exemples, d’une vision du monde, d’un élan et d’une attitude, d’hommes et de femmes qui, sous diverses formes et à diverses époques, ont incarné ce qu’ils aimaient par-dessus tout, en se sacrifiant parfois, devenant ce que les autres n’avaient pas le courage d’être. Dans ce disque, pour prendre un exemple, il y a « Corsa lenta« , une chanson dédiée aux exploits extraordinaires des soldats italiens de la X Mas en Méditerranée pendant la Seconde Guerre mondiale… des hommes téméraires qui ont coulé les navires ennemis anglais sur des torpilles à course lente (les « cochons ») après des jours de navigation en solitaire. « Corsa lenta » est la chanson du courage, un voyage de nuit dans les grands ports de Gibraltar et d’Alexandrie lors du naufrage des navires ennemis…
Breizh-info.com : Deux chansons et le titre de l’album – Negli occhi di Ulisse et Il silenzio – renvoient à la saga homérique. Pourquoi cette dédicace ? En quoi de si anciennes épopées sont-elles inspirantes de nos jours ?
Skoll : Le disque s’ouvre idéalement avec « Negli occhi di Ulisse » – le single du projet – et se termine par « Il silenzio » – la dernière chanson. Les références à Homère – à nos origines les plus profondes – sont explicites dans les deux chansons mais je n’ai pas voulu proposer seulement une réinterprétation de l’épopée classique. Il y a une actualisation dans les deux chansons : « Negli occhi di Ulisse » commence par une première partie consacrée explicitement aux temps que nous vivons, et s’ouvre avec « Quand nous avons commencé à tout prendre comme allant de soi, que tout nous soit dû, qu’il y ait toujours quelqu’un d’autre à défendre ce qui vaut le plus… » parce qu’aujourd’hui, à l’ère de la déresponsabilisation et du désengagement, nous oublions que nous devrions défendre les choses qui ont pour nous de la valeur, sans attendre que d’autres le fassent à notre place.
Nous pensons souvent que « quelqu’un le fera »… mais ce quelqu’un, c’est nous. Ulysse fait face à un voyage extraordinaire plein de tentations, de risques et de dangers – une métaphore de la vie – mais à la fin, au-delà de tout, il garde le cap… Et la route est celle de la maison. Il revient ainsi pour défendre directement ce qu’il aime : ses racines, sa terre, ses gens. Le disque commence par ce principe intégral et se termine par « Il silenzio », une chanson plutôt autobiographique. Dans la première partie, cependant, tout part d’une suggestion et, encore une fois, d’un rappel classique : Alexandre le Grand aime les vers d’Homère et s’identifie aux protagonistes de l’Iliade et de l’Odyssée. À l’époque d’Alexandre, les poèmes homériques étaient déjà anciens. Cet extraordinaire récit des pères exerçait sur lui une fascination entraînante. Par ces vers, il sentait qu’il faisait partie d’une histoire plus grande que lui, de quelque chose qui avait existé avant lui allait continuer après sa mort. Il puisait son inspiration dans ces vers pour devenir protagoniste de l’histoire de son peuple, pour trouver un élan de conquête et la confiance dans l’avenir… pour une vie de courage. J’ai imaginé Alexandre le soir, dans sa tente, qui, pour s’endormir, relit à voix haute les chants d’Homère; puis, dans son sommeil, il rêve de la scène gravée sur le bouclier d’Achille… où chaque homme trouve sa place dans la société et tous partagent une claire vision du monde.
Breizh-info.com : Une des chansons du nouvel album – La notte non dura che un momento (la nuit ne dure qu’un moment) – concerne hélas indirectement la France. Hélas, car il s’agit d’une terrible série de violences commise à la fin de la seconde guerre mondiale et méconnue de la plupart des citoyens de l’Hexagone. De quoi s’agit-il et comment cela est-il vécu dans votre pays ?
Skoll : En 1944, différentes zones du centre de l’Italie – les zones internes du Latium en particulier – ont été le théâtre de combats et d’affrontements très violents. L’armée alliée en « remontée » était également composée du corps expéditionnaire français (plus de 100.000 hommes) à majorité africaine (Marocains, Algériens, Sénégalais), dirigé par le général Alphonse Juin. Les soldats des troupes nord-africaines, marocaines en particulier – les « goumiers » – sont responsables d’atroces violences contre la population civile italienne. Des milliers de femmes et de filles ont été brutalement violées. Les violences sexuelles des goumiers sont répandues, continues, systématiques : les autorités militaires alliées avalisent les violences des soldats en leur accordant l’infâme « droit de proie ». Ces viols de masse – des dizaines de milliers en ne comptant que ceux qui ont été dénoncés ou reconnus – sont dénommées Maroquinades. En 1960, sortait le célèbre film « La ciociara » réalisé par Vittorio De Sica, interprété par Sophia Loren (récompensée par l’oscar de la meilleure actrice) et Jean-Paul Belmondo, inspiré de ce drame. Pourtant, c’est une histoire qui n’est pas racontée aujourd’hui, même pas en Italie. Le thème est certainement le plus dur et amer de mon disque… Mais j’ai voulu le raconter d’un point de vue « positif », en décrivant la dignité d’un peuple et de ses femmes face à la brutalité animale des goumiers. La chanson n’est pas un acte de dénonciation parce que l’histoire est claire, elle parle d’elle-même. Elle naît pour rappeler, comme la statue de marbre érigée à Castro dei Volsci (au cœur de la terre où eurent lieu les violences), la force d’âme et la fermeté de ces femmes.
Propos recueillis par Audrey D’Aguanno
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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