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Rodolphe Cart : « Georges Sorel met le doigt sur un élément fondamental de la politique : la question de l’ennemi, du conflit »

Georges Sorel (1847-1922) est à la fois connu et inconnu, cité mais guère lu, tour à tour enrôlé par les communistes et les fascistes. Théoricien du syndicalisme révolutionnaire, hostile au progressisme, adversaire résolu de la bourgeoisie, l’auteur des Réflexions sur la violence, son livre le plus fameux, est probablement « le plus grand théoricien politique français depuis la fin du XIXe siècle », au dire de Julien Freund. Aussi inclassable qu’iconoclaste, il n’entre dans aucune filiation académique. Sûrement était-il écrit, pour cette raison, que chaque nouvelle génération devait se réapproprier son héritage.

C’est le cas de Rodolphe Cart qui signe un essai intitulé Georges Sorel, le révolutionnaire conservateur. Un essai roboratif, biographique et politique, sur ce « révolutionnaire conservateur » qui a de quoi séduire ceux qui ne se retrouvent plus dans les vieux clivages et qui cherchent de nouveaux « mythes mobilisateurs ».

Rodolphe Cart est journaliste à Éléments et contributeur à Front populaire. Il signe ici son premier ouvrage à commander chez la Nouvelle Librairie

Nous l’avons interrogé.

Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Rodolphe Cart : Je suis originaire d’un petit village (moins de mille habitants) situé en face du Mont-Blanc, en Haute-Savoie, où mes ancêtres et ma famille sont installés depuis plusieurs générations. Concernant mes études, j’ai fait mon droit à l’Université Jean Moulin (Lyon 3), puis je suis rentré chez moi pour devenir menuisier-charpentier. Depuis environ deux ans, je suis « monté » à la capitale pour travailler dans le monde l’édition.

D’un point de vue social, je viens d’une famille de la classe moyenne périphérique en voie de déclassement – comme des milliers d’autres familles françaises. Je mentionne cela car cet élément influence directement mes idées politiques et mes affinités doctrinaires. Si je devais me classer politiquement, je me présenterai comme un nationaliste, un identitaire, un antilibéraliste, un souverainiste et un populiste – avec un véritable tropisme socialiste « à la française ». Disons que mes sources idéologiques sont sociales (Sorel, Proudhon, Michéa) et nationales (Barrès, Maurras, Valois).

Breizh-info.com : Vous présentez Sorel comme un « révolutionnaire conservateur ». Pourriez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là

Rodolphe Cart : D’abord, il faut voir du côté de son conservatisme. Sorel est un disciple de Proudhon ; or, le philosophe originaire de Besançon était connu pour son conservatisme en matière de mœurs (mariage, rôle de la femme et du père de famille, célébration du bon sens paysan et ouvrier). Sorel marche dans les pas de son maître et reconnaît, dans la figure du soldat-laboureur romain, dont Virgile nous contait déjà la rigueur morale, un exemple de vertu à imiter pour les ouvriers. Cela nous renseigne sur ces considérations. C’est aussi pour que cela que Sorel attaque les socialistes de son temps qui se font les promoteurs de la libération sexuelle, du délabrement des mœurs. Au contraire d’eux, Sorel veut renouveler la morale traditionnelle pour la mettre au service des intérêts du prolétariat industriel.

Pour le côté révolutionnaire, n’oublions pas que Sorel est avant tout un marxiste – même s’il remet en cause certaines thèses. À la suite de l’auteur du Manifeste du parti communiste, il fait le constat suivant : seule la lutte du prolétariat – associée aux valeurs positives d’héroïsme et de puissance – contre la bourgeoisie falote peut sauver la France, et même plus largement l’Europe, de la dégénérescence civilisationnelle. Pour lui, la modernité libérale de l’idéologie du progrès et de la tolérance a affaibli l’élite française dans des proportions insoupçonnées. Il n’y a donc que le prolétariat guerrier qui demeure, à ses yeux, capable de relever la société. Il faut alors renverser la « décadence de la bourgeoisie », et seules la violence et la révolution prolétarienne peuvent accomplir cette tâche.

Breizh-info.com : Pouvez-vous nous donner un aperçu de la philosophie de Georges Sorel telle que vous la décrivez dans votre livre ?

Rodolphe Cart : C’est un exercice difficile, car Sorel est un penseur à phases qui a évolué sur certaines positions – s’il demeure conservateur toute sa vie, il fut aussi dreyfusard pour finir anti-dreyfusard rabique. Autre exemple, s’il fut marxiste au début de sa « carrière politique », il rejoint ensuite le camp des révisionnistes et critique vertement le matérialisme historique et l’évolutionnisme d’Engels. En tout cas, toute la « philosophie sorélienne » part du marxisme pour ensuite s’approfondir, à cause de son dégoût des élites économiques et politiques de son temps, par une haine de la démocratie et du monde de la bourgeoisie. C’est ensuite, grâce aux travaux de Bergson ou de Giambattista Vico, qu’il va trouver les sources intellectuelles qui l’éloigneront du matérialisme pur du marxisme – sans tomber, pour autant, dans l’irrationalisme ou le rejet de la science.

C’est à la suite de ces repositionnements qu’il exposa les piliers conceptuels de sa pensée : le rôle de la violence et du mythe mobilisateur dans l’histoire. Ces deux notions, qui marchent dialectiquement ensemble, sont indissociables du processus de régénérescence morale porté par le socialisme prolétarien qu’il défend. Pour Sorel, c’est la grève générale qui correspond le mieux à la perspective d’une révolution capable d’emporter tous les nouveaux changements sociaux.

Breizh-info.com : Comment expliquez-vous le fait que Sorel ait été cité à la fois par des communistes et des fascistes, malgré ses vues contradictoires ?

Rodolphe Cart : Sa critique implacable de la bourgeoisie et du système parlementaire a influencé l’ensemble des militants anti-démocratiques de son époque. Chacun pouvait trouver dans sa critique radicale des compromissions partisanes, politiques et sociales, la matière qui pouvait lui servir ensuite pour asseoir une position réactionnaire, voire révolutionnaire, qui valorisait l’apparition d’un ordre nouveau. Après, les courants idéologiques prendront ce qui les arrange ou rejetteront ce qui les dérange.

Breizh-info.com : Sorel est réputé pour son opposition au progressisme et sa critique acerbe de la bourgeoisie. Comment ces convictions ont-elles influencé son idéologie ?

Rodolphe Cart : Bien avant Carl Schmitt, Sorel met le doigt sur un élément fondamental de la politique : la question de l’ennemi, du conflit. S’il reprend les thèses marxistes de la lutte des classes, Sorel approfondit ce concept en y ajoutant d’autres perspectives (la question de la violence et du mythe). Tout cet ensemble lui permet d’élaborer une caractérisation du « bloc bourgeois » (idéologie du progrès + classe détentrice des moyens de production) beaucoup plus descriptive que la simple opposition de classe. Un exemple : quand Sorel se fait le promoteur d’une certaine violence de l’action, il le fait constamment avec cette arrière-pensée de la visée politique que cet engagement produit pour le corps social. Rien n’est gratuit chez lui, et il faut garder à l’esprit qu’il conserve toujours ce souci de l’efficacité sur l’avancement du projet révolutionnaire.

Breizh-info.com : Pouvez-vous parler de l’influence de Sorel sur Mussolini et Lénine ?

Rodolphe Cart : Dès les années 1920, on a souvent attribué de manière excessive à Sorel deux « fils spirituels », Mussolini et Lénine. Il est vrai que Sorel, en 1922, a défendu Lénine contre les politiciens « démocrates » ; car, pour lui, le Russe incarnait « le marxisme en action, le marxisme vivant, ressuscité de la décomposition du socialisme parlementaire ». Tandis que les hommes politiques européens représentent l’effacement du sublime et la haine pour les « hommes supérieurs », Lénine se présentait comme la figure qui les ramenait à leur médiocrité, leur bassesse. La reconnaissance entre les deux hommes n’est pas pour autant réciproque, puisque l’auteur de Que faire ? décrit Sorel pour un « esprit brouillon ».

Concernant Mussolini, la relation est différente. En 1922, Mussolini déclare au journal espagnol A. B. C. : « Pour moi, l’essentiel était : agir. Mais je répète que c’est à Georges Sorel que je dois le plus. C’est ce maître du syndicalisme qui, par ses rudes théories sur la tactique révolutionnaire, a contribué le plus à former la discipline, l’énergie et la puissance des cohortes fascistes. » En règle générale, on peut même dire que c’est en Italie, et même avant la France, que les thèses soréliennes vont être le plus reprises. Déjà bien imprégné de nietzschéisme, tout le mouvement syndicaliste et révolutionnaire italien va s’abreuver de l’éloge de la violence et de la guerre de Sorel.

Breizh-info.com : Comment expliquez-vous l’attrait persistant de Sorel pour les nouvelles générations, intellectuelles ? En quoi l’œuvre de Sorel est-elle pertinente pour les enjeux politiques contemporains ?

Rodolphe Cart : Les derniers évènements (réforme des retraites, émeutes urbaines) nous ont encore démontré que le concept de violence était central pour penser nos sociétés actuelles. « Il ne s’agit pas ici de justifier les violents, écrit Sorel, mais de savoir quel rôle appartient à la violence des masses ouvrières dans le socialisme contemporain. » Pour le normand, une fonction importante de la violence était celle de « lever le voile » sur la société du bien-être, du compromis libéral et du statu quo – éléments dont doit se prévaloir, à mon avis, tout mouvement de révolte contre le système qui domine aujourd’hui le peuple français.

C’est aussi la vision de Sorel qui nous permet d’avoir un œil critique sur les émeutes des hordes barbares et islamisés que nous venons de connaître. Sans pour autant nous faire les défenseurs de la République et du système en place, la vision sorélienne rejette la violence spontanée de la foule à tendance pogromiste (anti-français), apte aux pillages et à l’affirmation de prise de territoires. Sans un caractère politique bien défini, ces violences ne sont en réalité que contraire aux intérêts du peuple populaire et du pays réel. En effet, à la suite de ces débordements, le système va profiter de la situation pour mettre en place des mesures de surveillance et de coercitions qui seront, demain, utilisées contre de possibles soulèvements de « notre camp ».

Enfin, Sorel nous montre bien l’importance du mythe dans les mouvements de masse. Nous ne pouvons échapper à cette nécessité de constituer un nouvel univers mental pour pousser nos contemporains à l’action. Le mythe est une arme sociale, une pratique mise en place par ses promoteurs dans une lutte journalière. Il est le seul capable de faire apparaître, pour un mouvement politique, cette dyade de la réussite ou de la mort. Sans l’apparition d’un tel phénomène, toute volonté de changement social demeurera un vœu pieux…

Propos recueillis par YV

Crédit photos : DR
[cc] Breizh-info.com, 2023, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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3 réponses à “Rodolphe Cart : « Georges Sorel met le doigt sur un élément fondamental de la politique : la question de l’ennemi, du conflit »”

  1. Pschitt dit :

    Intéressant. Cependant, la question « En quoi l’œuvre de Sorel est-elle pertinente pour les enjeux politiques contemporains ? » devrait être complétée par la question « En quoi ne l’est-elle plus ? » Car Sorel, s’il a eu l’esprit assez large pour raisonner au-delà de ses frontières géographiques, est resté dans ses frontières historiques. C’est un homme de son temps. Sa vision binaire de la société inspirée par Marx correspond peut-être à la société urbaine de son temps mais paraît d’un grand simplisme de nos jours. Surtout, il n’a pas — et pour cause — réfléchi aux conséquences de l’immigration, et surtout à la quasi impossible coexistence de deux religions sur un même territoire (ses réflexions sur le calvinisme portent sur la morale individuelle). Or c’est là le grand problème sociologique de notre époque.

  2. Dirk Van Hardford dit :

    Les analyses de Sorel, intéressantes historiquement, sont anachroniques. Ses réflexions sur l’importance de la violence dans les luttes sociales ne nous aident pas à comprendre les violences actuelles. Les problématiques du Grand Remplacement et de l’islamisation galopante du pays surplombent toutes les autres, et les masses prolétariennes ont disparu depuis longtemps.
    Les enjeux actuels sont terriblement simples : » Y aura-t-il encore, demain, des peuples européens ? La question – la seule question – est là ». Pierre VIAL

  3. patphil dit :

    ah le syndicalisme révolutionnaire, on a vu les notres exhorter les gaulois et celtes réfractaires à voter macron! ils font semblant de s’opposer aujourd’hui

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