Yves Marie Bercé est ce qu’on appelle un « ponte » de l’histoire moderne, ce professeur émérite de la Sorbonne, auteur prolifique de multiples ouvrages de référence sur la France rurale du XVI et XVII-ème siècle, s’autorise une sortie de ses longs travaux d’érudition, pour nous livrer une recension d’histoires et d’historiettes qui entourent sa passion du vin.
Dans une écriture avenante et limpide et avec un sens consommé de la vulgarisation, Yves Marie Bercé balaye l’imaginaire du vin, au travers de multiples anecdotes historiques qui s’incrémentent en une véritable « geste vitivinicole ». Une histoire du vin souvent peuplée de légendes à la véracité douteuse, mais qui n’en constitue pas moins, l’assise romantique des plus anciens vignobles.
Histoires et légendes du vin
Aussi, le lecteur traversera les époques pour s’enquérir des riches heures de la principauté d’Avignon sous le pape Clément V, dont l’impressionnante demande en vins de la Curie au 14 -ème siècle n’aura d’égale que le faste de la cour des ducs de Bourgogne…
Il y fera la rencontre d’une galerie de grands personnages de l’Histoire ayant tenu un rôle d’influence et de promotion du vin, à l’image Catherine de Bragance pour le Porto, le duc de Wellington pour les autres vignobles du Portugal, le duc de Richelieu et son rôle de propagateur des bordeaux sur Paris. Mais c’est sans doute Henri IV qui décroche la palme des légendes du vin, tant son patronage était âprement disputé par tous les vignobles du royaume pour s’en faire un illustre représentant.
De toutes les fables apocryphes à son sujet, il ressort toutefois que le bon roi avait tout de même porté son dévolu sur le vin d’Arbois, en raison du charme prodigué par le sucre passerillé du savagnin…
L’historien aime à revenir avec force détails sur les contours et les enjeux du commerce du vin qui ont façonné le destin des grands vignobles contemporains. Du pernicieux contingentement des vins du « Haut-Pays » par la Jurade de Saint-Emilion, au Blocus continental lors des guerres napoléoniennes et leur rôle sur l’expansion des vins portugais sur le marché anglais, en passant par l’établissement des huguenots français au Cap en 1688, la géopolitique de la guerre a profondément influé sur la naissance des grands vins.
Et puis Yves Marie Bercé s’accorde quelques digressions à l’endroit de vignobles pour lesquels on subodore une profonde affection : Condrieu, le jurançon le, vin de Constance, mais aussi le tokay, autant d’exemples choisis qui dénotent une certaine propension à aimer les vins gras, parfumés et quelque peu sucrés…
Dans cette vaste fresque, l’auteur collationne vérités historiques et légendes, deux facettes qui s’entremêlent de manière inextricable et qui ajoutent à notre passion du vin une dimension culturelle au plaisir de la dégustation.
Comment rester indifférent au caractère insolite du muscat de Montefiascione, l’Est, est, est, ? Dont le nom improbable tire son origine des pérégrinations d’un prélat allemand dans le Latium, ce dernier féru de bonnes étapes, dépêchait un émissaire pour lui signaler les tavernes ou l’on buvait les meilleurs vins.
Aujourd’hui, l’Est, Est, Est de Montefiascone existe toujours, moins sous les traits du muscat sucré du XVIème siècle que sous l’apparence d’un vin blanc sec assez anonyme élaboré essentiellement à partir de trebbiano toscano, mais qu’importe, il reste toujours dans le charme de l’histoire !
Pourquoi lire ce livre ?
On ne saurait trop conseiller à tous les néophytes en herbe, désireux de parfaire leur culture du vin, le livre d’Yves Marie Bercé et ce, plutôt que d’aller s’édifier bêtement dans les bars à vins bobos, à boire jusqu’à plus soif des vins dits « natures », pour la plupart gazeux et réduits à souhait, parfumés aux relents fermiers de Brett.
Le plaisir du vin participe d’une adhésion à une culture nourrie de traditions vitivinicoles puissamment ancrées dans l’histoire de l’humanité. Ces traditions composées d’un agglomérat d’usages ancestraux de fêtes et de coutumes, ont tendance à être jetées à bas par les tenants d’une œnologie « nature » ultra radicalisée, prompte à revendiquer une sorte de grand « reset » pour le vin.
Au nom d’un vin nature, exempt de toutes souillures humaines, les idéologues du bio intransigeant méprisent et ignorent superbement cet « ancien monde » des traditions de l’Histoire qui pourtant, constitue le substrat civilisationnel de nos vignes.
Alors oui, pour les tenants du « nature », le livre d’Yves marie Bercé pourrait apparaître comme désuet, décalé, passéiste, car leur regard étriqué et obsessionnel demeure focalisé sur les aspects techniques, œnologiques et agronomiques du vin.
Parce qu’ils accordent une légitimité aux seuls vins dits « vivants » exempts de la corruption de l’homme, ils instaurent subrepticement une nouvelle contre-culture du vin qui tend à vouloir tuer le père Noé pour le retour au culte d’une mystique virginité. Avant eux le Déluge !
C’est pourtant faire fi d’une composante essentielle et immatérielle du terroir que Paul Pontalier* aimait décrire sous l’expression « d’intelligence collective ». La somme des expériences de travail collectées sur des siècles et des siècles par un groupe de population, au sein d’un territoire donné soumis aux vicissitudes des conjonctures, a ainsi forgé le temps long de nos vignobles.
En exhumant les nombreux secrets du vin, le Livre d’Yves Marie Bercé rend hommage à cette intelligence collective, une heureuse bouffée d’histoire, à l’heure où certains obscurantistes voudraient la mettre sous l’éteignoir !
Raphno
Les secrets du vin d’Yves Marie Bercé, Librairie Vuibert, 22,50 euros
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