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A Cambrai, le jeu Diablo IV s’expose dans une église désacralisée. Et si les vrais responsables étaient les catholiques ? [L’Agora]

Indignation légitime ou tempête dans un verre d’eau ? Du 6 mai au 11 juin 2023, une ancienne église cambrésienne, à la façade baroque monumentale et connue sous le nom de chapelle des jésuites, a accueilli une exposition peu commune : des peintures-fresques représentant des personnages et des scènes de « Diablo IV », un jeu vidéo dont la première version a été publiée en janvier 1997 et qui connaît depuis un succès ininterrompu auprès des utilisateurs de jeux sur ordinateur ou sur playstation.

Sachant l’attente que suscitait cette nouvelle version de Diablo, les créateurs se sont inspirés « des grands maîtres de la Renaissance et de l’âge baroque pour les cinématiques grandioses ponctuant le jeu[1]. » C’est ainsi qu’est née l’idée de faire appel « à de véritables peintres pour donner vie [aux] personnages… et de les intégrer aux plafonds et aux murs d’une église, telle la chapelle Sixtine décorée par Michel Ange[2]. » L’édifice recherché devait remplir cinq critères cumulatifs : « la beauté des lieux, la hauteur du plafond, le style correspondant, l’absence de mobilier (…) et que le monument soit désacralisé[3]. » 

Construite entre 1678 et 1692, la chapelle des jésuites témoigne de la magnificence de l’art religieux baroque flamand, mais aussi d’une histoire mouvementée. Transformée en séminaire après que les jésuites ont été bannis de France en 1763-1764, la chapelle servit de dépôt de vivres et de prison pendant la Révolution. De 1796 à 1831, elle devint la poste aux chevaux de Cambrai. Rachetée par l’évêque Louis Belmas en 1836, elle fut rendue au culte en 1838 et servit de cathédrale provisoire entre 1858 et 1871. Après 1905, la chapelle fut désaffectée et l’ensemble du site fut cédé à l’Etat en 1911 pour y établir une caserne. Cinéma pendant l’occupation allemande entre 1914 et 1918, la chapelle redevint cathédrale provisoire de 1918 à 1931, puis fut transformée en musée d’art sacré entre 1958 et 1973. Finalement, elle fut vendue à la ville de Cambrai en 1989 « à la condition de lui donner une affectation culturelle[4]. »

Le jeu Diablo s’inscrit dans un univers de type médiéval et gothique. Contrairement à ce que l’on pourrait supposer, Diablo n’est pas le diable mais un démon qui, avec ses frères Baal et Méphisto, fut banni des enfers dans le monde des hommes pour y semer la discorde et la destruction. La mission du joueur consiste à descendre dans l’antre de Diablo pour tuer le démon[5]. A l’inverse de la chanson retenue par Chypre pour l’Eurovision 2023 (El Diablo)[6], ce jeu ne semble pas être d’inspiration sataniste, et l’intention des organisateurs de l’exposition cambrésienne n’était apparemment pas blasphématoire puisque l’édifice recherché pour présenter les fresques devait être désacralisé. Au reste, le vicaire général et curé des paroisses de Cambrai est clair : « Dans les faits, ce n’est plus vraiment une église parce qu’elle est désacralisée, elle n’est plus du tout dédiée au culte[7] ». 

Cependant, plusieurs voix se sont fait entendre pour protester contre l’utilisation d’une ancienne chapelle afin de présenter une exposition illustrant un jeu vidéo que la publicité du producteur sous-titre sans doute maladroitement « Bienvenue en enfer[8] ». A l’appel d’une association peu connue, Cambrai Patrimoine, une trentaine de personnes ont manifesté leur hostilité devant l’édifice le jour de l’ouverture de l’exposition au public. Certains évoquaient « une offense à la religion catholique », ou encore « un manque de respect envers les jésuites enterrés dans la crypte il y a plus de 200 ans[9] ». Des pancartes portaient les slogans « Défendons nos églises », « Diablo IV au placard », « Nos églises doivent demeurer sacrées », ou encore « Nos églises ne sont pas à louer[10] ». Soutenant l’association, un conseiller municipal d’opposition a exprimé son « indignation » et exigé du maire de Cambrai et du président de la CAC qu’ils mettent fin à cette « indécence[11] ».

D’un côté, on observe une municipalité qui s’appuie, tout comme le vicaire général, sur la désacralisation de la chapelle des jésuites, ainsi que sur le caractère culturel de la manifestation, et qui se targue du succès d’une exposition qui a attiré 11 000 visiteurs dans une petite ville de province. De l’autre, des opposants sans doute sincères, qui soulèvent la question de l’incompatibilité entre le caractère sacré d’un édifice, même s’il a été désacralisé, et une exposition mettant en scène un jeu en partie inspiré de la démonologie. La première réaction porterait à donner raison aux opposants : une église, ou une ancienne église, n’est pas un bâtiment neutre sur le plan symbolique. Mais les arguments des pouvoirs publics locaux ne sont pas non plus sans fondement : à quoi utiliser d’anciens édifices cultuels dont l’entretien pèse sur les finances locales, à partir du moment où l’autorité ecclésiastique a souhaité se défaire de ces bâtiments ?

Et si cette réflexion n’était, finalement, que superficielle ? Et si le fond du problème était ailleurs ? Dans l’évolution de notre société matérialiste et consumériste, où l’économisme a usurpé le trône dévolu à la fonction souveraine et sacerdotale ? 

Car le fond de la question est là : pourquoi la chapelle des jésuites, comme nombre d’autres églises en France, a-t-elle été désacralisée ? La réponse est cruelle. Parce que l’autorité ecclésiastique a renoncé à assumer une partie du coût de l’entretien d’édifices cultuels peu ou plus fréquentés. Il faut garder à l’esprit que ce qui fait la vie d’une église, ce sont les fidèles. Comme le manque d’eau fait dépérir les fleurs, le manque de fidèles fait mourir les églises. Et les vraies raisons apparaissent au grand jour.

Si les catholiques retrouvaient le chemin des églises, s’ils s’investissaient dans la vie paroissiale, s’ils fréquentaient de nouveau les Sacrements, alors les églises seraient pleines et les autorités ecclésiastiques n’auraient plus de raison de désacraliser les églises et autres chapelles pour diminuer les coûts. L’activité serait florissante au contraire !

Et si pour cela, l’Eglise de France renouait avec son rôle missionnaire ; si les prêtres retrouvaient le chemin de la chaire de Vérité ; si la fille aînée de l’Eglise retrouvait le sens de son baptême, alors peut-être la chapelle des jésuites de Cambrai retrouverait-elle la splendeur qui fut la sienne au Grand Siècle ? Et peut-être même les fresques de Diablo IV pourraient-elles voisiner, le temps d’une exposition, avec les diables que Jérôme Bosch peignit si bien dans ses retables aux XVe et XVIe siècles, dans une église, pour la plus grande édification des fidèles, ad majorem dei gloriam ?

André Murawski 

[1] Feuille de présentation de l’exposition

[2] Ibid

[3] Ibid

[4] In La chapelle des jésuites à Cambrai, Villes & pays d’art & d’histoire, Danquigny, 2015

[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Diablo_(jeu_vid%C3%A9o) 

[6] https://www.bfmtv.com/people/musique/chypre-la-chanson-satanique-retenue-pour-l-eurovision-suscite-la-polemique_AD-202102270061.html 

[7] https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/nord-0/cambrai/des-militants-s-opposent-a-l-exposition-des-peintures-du-jeu-video-diablo-iv-dans-une-chapelle-desacralisee-a-cambrai-2766518.html 

[8] https://diablo4.blizzard.com/fr-fr/?utm_source=6451197&utm_medium=Paid&utm_content=366251322&utm_campaign=BLZ_29375879&dclid=COnV57T_x_8CFX-mJwIdXDIO2g 

[9] Ibid

[10] https://www.lavoixdunord.fr/1324580/article/2023-05-06/cambrai-l-expo-diablo-la-chapelle-des-jesuites-mobilise-peu-passionnes-comme 

[11] https://www.facebook.com/photo.php?fbid=1595762080901259&set=a.126682974475851&type=3&ref=embed_post 

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9 réponses à “A Cambrai, le jeu Diablo IV s’expose dans une église désacralisée. Et si les vrais responsables étaient les catholiques ? [L’Agora]”

  1. Paul Scott dit :

    La fraternité Saint Pie X représente aujourd’hui une part non négligeable des conversions au catholicisme, pourtant nos lieux de culte sont des lieux improbables, des bâtiments qui ne ressemblent en rien à des Eglises tout cela parce que nous sommes les « vilains petits canards »selon l’Eglise officielle qui préfère désacraliser ou même pire dans le cas de ce jeu video ses églises sans fidèles que de nous les confier…comprenne qui pourra !

  2. Bisalli dit :

    « Association proche de l’extrême droite » , ok le neuneu , article suivant ..

  3. SCOUT dit :

    A l’époque des premiers livres illustrés, les moines écrivains ont inventé le Diable à queue fourchue, pattes de bouc et cornes assorties, pour faite peur aux gens crédules : Eglise vendue, ils ramassent ce qu’ils ont semé, comme dit si bien la bible… et les évêques au lieu de faire de la résistance, se trainent à plat vendre ne se reconnaissant tous pêcheurs, au risque qu’il n’y ait plus aucun poisson à prendre… Bravo qui ? Il se dit d’un commun usage que les francs-maçons ne sont pas tous diaboliques, mais que tous les diaboliques sont francs-maçons : C’est à savoir.

  4. Castel dit :

    Merci à M. Murawski qui présente de façon équilibrée les arguments « pour » et les arguments « contre » et finit en soulevant la question de fond.

    Quant au commentaire de Paul Scott, il soulève un autre problème de fond.
    Cela ne s’applique d’ailleurs pas seulement à la Fraternité Saint Pie X qui se situe officiellement « hors les murs » (façon de parler) mais aussi à la Fraternité Sacerdotale Saint Pierre, à l’institut du Christ-Roi Souverain Prêtre, à l’institut du Bon Pasteur, et, de façon générale, à toutes les fraternités sacerdotales de tendance traditionaliste.
    Tant que les évêques (et autres autorités ecclésiales) ne redeviendront pas TOUS des hommes de dialogue, cherchant réellement le Bien Commun, alors ce problème sera sans solution et, bon an mal an, nous verrons par la force des choses, nos édifices religieux dévoyés au service de « l’art » voire de l’Islam comme cela ce fait déjà par endroits.
    Puisque dans tous les cas, il faut bien trouver de l’argent pour les entretenir…..

  5. eclairindien dit :

    La situation patrimoniale est claire: après une évolution en trois temps:

    -1: révolution = anarchie et vente des biens « nationaux » appartenant à « l’église catholique »= vol par une minorité d’idéalistes et de profiteurs, mais
    – 2:1802 concordat entre le PAPE et l’empereur NAPOLEON qui conviennent de geler la situation des biens de l’ église déjà vendus. L’état redevient catholique l’église concordataire redevient propriétaire du patrimoine religieux du moment, et les religieux sont rémunérés par l’État car il n’y a plus la dîme comme sous l’ancien régime. 4 religions sont reconnues par l’État.
    -3: 1905 nouvelle crise et séparation de l’église et de l’État sauf les départements 57=67=68); après les inventaires, le patrimoine religieux reste affecté au culte catholique sous réserve de conditions d’utilisation, et l’entretien est à la charge des communes ou de l’état suivant les cas. Mais, même en cas de désaffectation, ces édifices et leurs dépendances doivent rester « à perpétuité » considérés comme sacrés et traites comme tels. . » Bien que propriétés des communes, ces biens ont été affectés à l’Église catholique, à titre gratuit, exclusif et perpétuel par la loi du 2 janvier 1907. Les communes n’ont pas le droit de disposer des églises dont elles sont propriétaires.
    Pour sa part, l’Eglise catholique est propriétaire des églises construites après 1905, via des associations diocésaines.

    De toutes les façons, il faut aussi se rappeler que ces bâtiments sacrés ont été construits par des catholiques, et pour des catholiques, et que le respect de leur mémoire est incompatible avec certaines utilisations.

    • André Murawski dit :

      Merci à tous pour ces commentaires très instructifs. Je souhaiterais simplement rebondir sur deux indications très justes de  » eclairindien  » :  » l’Eglise catholique est propriétaire des églises construites après 1905 via des associations diocésaines.  » et  » ces bâtiments sacrés ont été construits par des catholiques, et pour des catholiques.  »

      Cette observation est pertinente, mais mon expérience d’élu municipal m’amène à la nuancer. En effet, dans mon ancienne commune d’Ostricourt située dans le bassin minier du Nord, une chapelle avait été bâtie par la Compagnie des Mines d’Ostricourt, société privée, pour les mineurs Polonais venus travailler en France après les destructions humaines et matérielles de la première guerre mondiale.

      Construite après 1905, cette chapelle appartenait jusqu’à une date récente à l’association diocésaine. Mais, et c’est là où on retrouve mon développement, l’effondrement de la pratique catholique a peu à peu laissé une église sans fidèles et dont les coûts d’entretien devenaient exorbitants vu les moyens de l’association. L’évêché a donc décidé de désacraliser la chapelle et de la céder à la commune qui s’est retrouvée propriétaire d’un édifice à caractère sacré, mais dont elle ne sait encore aujourd’hui à quoi l’employer tandis que les coûts d’entretien et de réparation/restauraiton demeurent constants.

      C’est tout le drame des petites et moyennes communes qui n’accepteront pas longtemps de payer pour des bâtiments inutilisés. Dans le meilleur des cas, les anciennes églises deviennent des salles destinées à accueillir des activités de nature culturelle. Dans le pire des cas, elles sont vendues pour être transformées qui en supermarché, qui en boîte de nuit, voire en mosquées le cas échéant.

      Il resterait la solution de les  » rétrocéder  » en quelque sorte à des associations catholiques dynamiques telles que celles qui ont été citées, mais on se heurte alors à la double question du financement privé et de la volonté politique de municipalités parfois très engagées sur le plan idéologique et qui refusent de favoriser le catholicisme de la Tradition.

      D’où ma conclusion un peu péremptoire : Si les fidèles retrouvaient le chemin de la messe, les églises seraient pleines, les dons seraient suffisants et les autorités ecclésiastiques ne songeraient pas à se défaire de leur patrimoine bâti. Mais pour avoir des fidèles, encore faudrait-il que l’autorité ecclésiastique retrouve sa vocation missionnaire et accepte de renouer avec le prosélytisme sans lequel il n’est pas de foi durable.

  6. Hadrien Lemur dit :

    Heu les gars, il faut vous calmer, Diablo n’est qu’un jeu vidéo, certes de très belle facture et avec des graphismes époustouflants mais rien ne le qualifie pour interférer dans la vrai vie. Si on par du principe d’interdire toute « représentation » de l’enfer, allez donc faire une visite de la cathédrale d’Albi et vous serez édifié.

  7. Un ploemeurois dit :

    Toutes les conneries ont une limite qui est leur fin. Tous les délires actuels sont par nature instables et ont besoin de crédules, de gogos pour perdurer. Vous pouvez vous prendre pour un oiseau mais pas vous envolez du haut d’un toit.
    La réaction permanente, sauf à rappeler la nature de ces batîments et le magistère de l’Eglise, est une perte de temps et d’énergie.
    La présence à l’Eglise est la meilleure des réponses.

  8. Henri dit :

    « Gott ist tot, Gott bleibt tot, und wir die Menschen haben ihn getötet » (Dieu est mort, Dieu reste mort, et c’est nous les hommes qui l’avons tué). On remplace « Menschen » par « Katholiken », et on reste toujours proche de la pensée de Nietzsche.

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