Les éditions Yoran Embanner viennent de publier un ouvrage qui fera date. La Bretagne calomniée, signée Kentin Daniel, vaut réellement que l’on s’y attarde et qu’on le possède (à commander ici)
Un livre présenté ainsi par l’éditeur ;
Plouc et Bécassine ! Pour beaucoup le regard méprisant de la France sur la Bretagne date du XIXe siècle, l’époque du train, de la modernisation, de l’immigration vers Paris.
Et pourtant il n’en est rien. Si la modernité voit une recrudescence de propos anti-bretons chez les élites françaises, elle n’est que la continuité d’une longue tradition, remontant aux origines de la Bretagne, insulaire puis continentale.
Depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, la France a construit un discours stigmatisant et violent à l’encontre du peuple breton, qu’il dépeint comme sauvage, idiot, dépravé, immoral, alcoolique, fanatique, inapte à la civilisation, etc.
Dans ce livre magistral, Kentin Daniel, qui signe ici son premier ouvrage, expose avec brio cette longue tradition française anti-bretonne.
Pour évoquer cet ouvrage, qui va faire grincer des dents de l’autre côté de la frontière bretonne mais qui devrait permettre aux Bretons de s’imprégner du mépris dont leurs ancêtres, mais également eux mêmes aujourd’hui font l’objet, nous avons interrogé l »auteur.
Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Kentin Daniel : Je suis un historien indépendant, je me passionne pour l’histoire de la Bretagne et des autres nations brittoniques (Pays de Galles et Cornouailles), ainsi que pour la Celtie en général.
Breizh-info.com : Tout d’abord, comment définiriez-vous, pour nos lecteurs, le terme de calomnie ?
Kentin Daniel : Oralement ou à l’écrit, la calomnie est un procédé qui repose sur une accusation fausse, sur un mensonge qui attaque la réputation, l’honneur d’un individu ou d’un groupe d’individus et qui a notamment pour but de le déstabiliser et de le discréditer1. La calomnie a pu prendre différentes formes en ce qui concerne le peuple breton, mais le fond reste toujours le même : rabaisser pour mieux réduire.
Breizh-info.com : Votre livre cherche à démontrer que la relation entre la France et la Bretagne a toujours été teintée de mépris, de rabaissement de la première envers la seconde. D’où est-ce que cela tire ses origines et comment cela perdure, jusqu’à aujourd’hui ?
Kentin Daniel : Dès l’arrivée des Francs sur l’avant de la scène politique et militaire de l’Empire romain, courant Ve siècle après Jésus-Christ, il y eut une forte rivalité, peut-être même teintée de jalousie envers les Bretons. En effet, les habitants de l’Île de Bretagne étaient depuis longtemps reconnus dans tout l’Empire pour leur redoutable efficacité martiale. Lorsque l’influence bretonne sur Rome était au plus haut, au IVe siècle, les Francs ne constituaient alors que des troupes auxiliaires et non le cœur, c’est-à-dire les Légions, dont trois étaient stationnées en l’Île de Bretagne.
Les Bretons étaient également très impliqués dans le développement du christianisme, et ce, dès les débuts. Or, lorsque ces Francs « déboulèrent » dans les Gaules du Nord, fin Ve- début VIe siècle, il leur fallait des appuis et se faire accepter des Gallos-Romains christianisés. C’est sans doute pour cela que Clovis et ses nobles se convertirent au christianisme – peut-être par l’entremise des Bretons saint Maelan et saint Padern2.
Les Bretons perdirent ensuite la guerre contre les Saxons et furent repoussés à l’ouest de Britannia. La voie était libre pour que les Francs assujettissent les Bretons d’Armorique, privés d’appuis outre-Manche. Seulement, leurs nombreuses campagnes d’invasion infructueuses de l’Armorique, dès le milieu du VIe siècle, démontrèrent aux Francs qu’ils n’avaient pas les capacités pour dominer les Bretons. C’est dès cette époque que les premiers propos calomniateurs envers les Bretons apparurent, notamment sous la plume de Grégoire de Tours.
Le ressentiment franc envers la petite nation péninsulaire, leur résistant envers et contre tout – y compris encore aujourd’hui, alimenta dès lors à leur propos un référentiel mensonger qui s’étoffa de siècle en siècle. Il y eut ainsi plusieurs périodes dans le dénigrement français des Bretons.
Il fallait tout d’abord rabaisser l’honneur de tout ce peuple en lui accolant des clichés très négatifs : barbares, malpropres, ignorants, alcooliques, incestueux, inconstants, irascibles, langue inintelligible, etc. Dans le même temps, il était nécessaire de produire une réécriture de l’histoire bretonne, en plaçant des bornes psychologiques limitant son horizon : la Bretagne aurait toujours fait parti du Royaume des Francs, les ducs et même les rois bretons étaient vassaux des rois francs, etc.
Ensuite, une fois la Bretagne vaincue militairement et unie – manu militari – à la France, il s’agissait d’enfoncer pour de bon le clou en détruisant avec constance le reste de fierté nationale qui pouvait y subsister. Les Bretons se virent donc apostrophés de : sauvages, primitifs, bestiaux/animaux, etc.
Enfin, après la Révolution et deux guerres mondiales, à notre époque, il fallut alléger les calomnies en les maintenant à un niveau « digérable » par le peuple breton. C’est-à-dire qu’il fallait les faire plus discrètes, plus sournoises, moins ouvertes et moins officielles dirons-nous, tout en maintenant les dégâts qu’elles produiraient sur l’esprit national breton : alcooliques joyeux et festifs, un peu consanguins, pas très futés mais gentils et accueillants, langue bizarre et incompréhensible qu’ils ne parlent plus de toute façon, etc.
Breizh-info.com : La Bretagne Calomniée a dû vous demander un travail titanesque de recherches. Pouvez-vous nous parler du temps qu’il vous a fallu et des démarches entreprises pour parvenir à une telle somme ?
Kentin Daniel : Tout a commencé, un peu avant le confinement de février 2020, quand je me suis mis à compiler « pour le plaisir » des citations négatives sur les Bretons. Après avoir épuisé les quelques blogs qui en faisaient mention, l’envie me vint de tout vérifier et de tout sourcer avec précision. Comme un certain nombre de Bretons avant moi, je sentais plus ou moins vaguement l’existence de ce mépris français anti-breton. Quiconque parlant peu ou prou de la Bretagne et de ses droits y a régulièrement affaire, mais j’étais loin d’en comprendre l’historicité. Au cours de ce premier travail de vérification et de sourçage, je suis tombé sur des études, des articles et des ouvrages qui m’ont apporté d’autres citations. J’ai dû me rendre en plusieurs bibliothèques municipales, universitaires et même ecclésiastiques, et ce, dans toute le Pays, pour pouvoir vérifier un épais corpus. Cette période de sourçage m’a pris 2 années entières et m’a permis de vérifier et référencer plus de 400 citations, toutes présentes dans le livre.
Dans un second temps, je me suis attelé à rédiger le livre en coupant les citations trop longues et en tentant du mieux que je pouvais de « coudre » l’ensemble de façon présentable. Je voulais produire un ouvrage relativement simple à lire et dans un ton plus vivant que celui de l’Université. Cette deuxième étape m’occupa pendant 6 mois.
Breizh-info.com : Les Bretons ne sont-ils pas eux aussi responsables de ce rabaissement permanent de par les représentants et les agents du pays voisin ? Responsables, faute de s’être défendus massivement et farouchement ? Responsables, faute d’avoir petit à petit assimilé une forme de « mentalité de colonisé » plutôt que de briser leurs chaînes ?
Kentin Daniel : Mais les Bretons se sont défendus, et farouchement et massivement ! Notre histoire nationale est teintée d’un très grand nombre de guerres contre la France, peut-être plus que dans l’histoire d’Angleterre. Nous avons dû lutter constamment pour notre indépendance dès les débuts du Haut Moyen Âge, jusqu’en la toute fin du Bas Moyen Âge, soit pendant près de 1000 ans. Et nous l’avons fait avec, à chaque fois, autant d’ardeur que la fois précédente.
Au début du XIIe siècle, la cour royale-ducale de Bretagne passa à la langue française (peut-être du fait de la duchesse régente Ermengarde d’Anjou, qui ne fit aucun effort d’assimilation), entraînant la haute noblesse bretonne avec elle. Peu à peu, l’influence du roi franc montait en puissance et ce fut au tour de la Bretagne de se trouver vassalisée, bien que ne faisant toujours pas partie du Royaume de France. Les élites commencèrent à contracter mariage avec les familles franques et gagnèrent des terres en France, aussi les intérêts des grandes familles (Roc’han, Reoz, Pentevr, Klison) s’approcha de plus en plus de la connivence avec le pouvoir français. Ce ne fut jamais la résistance du peuple qui fit défaut, mais plutôt celle des élites bretonnes. En 1488 et 1532, ce n’est qu’après avoir lourdement corrompu la noblesse d’Armorique que les potentats franciliens purent mettre le grappin sur la Bretagne. Car, même après la défaite de Sant-Albin-an-Hiliber (« Saint-Aubin-du-Cormier ») en 1488, les Bretons, notamment en Bro-Dreger, se soulevèrent massivement pour prendre les armes.
A partir de cette défaite, il y eut un déchaînement de calomnies contre le peuple breton. Sans doute ne fallait-il pas qu’ils puissent à nouveau se soulever et reprendre leur indépendance. Il fallut donc patiemment éroder, décennie après décennie, l’honneur de cette nation, sa réputation et son estime de soi.
Un peuple doit-il payer les erreurs de ses élites ? Je ne crois pas qu’il le doive indéfiniment. On a toujours une part de responsabilité dans ce qui nous arrive, si infime soit-elle. Toutefois, peut-on faire la leçon à celle qui, après une longue résistance à ses parents, fut mariée de force à celui qu’elle détestait, fut insultée, battue, violée, manipulée, privée de ses relations, de ses biens et qui, comme pour se protéger psychologiquement se réfugia avec résignation, vaincue, dans une fausse identité qui lui fut imposée ? Et qui intérieurement, intimement, ne lui convient absolument pas ?
Breizh-info.com : Finalement, le fait qu’il n’existe plus, pour le moment, de souveraineté bretonne, n’est-il pas le principal frein à la fin de la calomnie républicaine française visant la Bretagne, les Bretons, leur culture, leurs langues, leur histoire ?
Kentin Daniel : C’est possible. En relations internationales on ne respecte que les forts, la force c’est le droit et vice versa. Cependant, il ne faut pas oublier que la calomnie anti-bretonne prend ses racines à l’époque de l’Indépendance. Certes, c’est à mesure que les Bretons furent vassalisés, puis conquis sous statut autonome, avant d’être purement annexés et rayés de la carte en 1789-1790 que la calomnie s’accentua. Pour autant, il n’est pas dit que les calomnies cesseront au jour d’une nouvelle indépendance du Pays. L’esprit français ne supporte pas que des petites nations lui tiennent tête, ni même que d’autres, comparables à elle en taille et en aura, puissent jouer d’égale à égale avec elle. D’où ce continuel besoin d’exprimer une soi-disant supériorité sur ses rivaux : « Fille aînée de l’Église », « Inventrice des Lumières et de la Démocratie », « Exception culturelle française », etc. Seul un nouveau statut pour la Bretagne pourra nous révéler si la donne changera à ce niveau ou non.
Breizh-info.com : Avez vous enfin d’autres projets futurs ?
Kentin Daniel : La rédaction de ce livre m’a permis de me plonger dans l’histoire de la péninsule et de commencer à en comprendre les dessous, à en repérer les sources. Pour l’instant je souhaite continuer cet approfondissement, afin de repérer au mieux quels sont les manques les plus cruciaux et tenter d’y apporter une solution.
Trugarez vras deoc’h da vezañ roet din ar gomz. Je vous remercie de m’avoir donné la parole.
1Dictionnaire de l’Académie française.
2Léon Fleuriot, Les Origines de la Bretagne : l’émigration, Paris, Payot Éditeur, 1980, p. 180.
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5 réponses à “Kentin Daniel (La Bretagne calomniée) : « L’esprit français ne supporte pas que des petites nations lui tiennent tête » [Interview]”
Il me semble que ce sont des bretons qui ont rasé le site mégalithique de Carnac. Pas des corses ou des Alsaciens, ni des occitans.
Le maire de Carnac et son conseil municipal ont approuvé les travaux.
L’entreprise de démolition est bretonne.
Pire, il n’y a eu aucune mobilisation de la population de Carnac pour empêcher ce saccage.
La vérité est que, dans tout l’Occident, l’individualisme, le consumérisme, le matérialisme l’emportent. Les valeurs traditionnelles (comme la famille) sont reniées au nom du progrès. La religion chrétienne est moquée, calomniée. Les croyants sont insultés. Le patrimoine est bradé, mis en vente ou détruit (comme à Lille ou à Carnac), dans l’indifférence des populations locales. Qui, de toute façon, sont en train d’être remplacées, en Europe, par une population venue du Maghreb et d’Afrique, essentiellement musulmane (ne comptez pas sur eux pour préserver la culture bretonne, ils s’en moquent et imposent déjà leurs mœurs ! Halal, Abbaya, Hijab, etc.).
S’en indigner, ce serait être « d’extrême-droite ».
Les peuples sont coupables de ce qui leur arrive, ne réagissant pas et laissant faire.
Moi je suis Picard et il nous était interdit de parler Picard à l’école. Et finalement la langue unique n’est elle pas la meilleur façon de construire l’unité ?
Unité n’est pas uniformité, c’est là tout le mensonge jacobin. Car l’universalisme n’a jamais été rien d’autre qu’un nationalisme français déguisé… D’oú l’imposition d’une langue unique, par la force et le mépris des peuples.
J’ai déjà commandé ce livre parce que je me sens Breton avant tout et Français de papier comme certains immigrés….l’ennui c’est que je ne suis pas immigré, ayant toujours vécu par choix dans mon pays dont j’ai pu apprendre l’histoire interdite d’enseignement…. par qui ? et pourquoi ?
il est bon de pioché des idées sur nombre de blog , sans même se présenter au devant de ceux qui en sont les instigateurs … Changer les termes en structurant les synonymes donne une idée de la structure » intellectuel » de ceux qui en use . Quoi qu’il en soit , rien ne demeurent cacher ni secret qui ne puissent être découvert .