Séville le 26 avril 2023, huit heures du soir dans les arènes de la Maestranza, à Séville, sous une chaleur de plomb, le taureau vient de tomber foudroyer par une estocade portée « en toda ley », dans les règles de l’art. L’arène n’est plus qu’une immense envolée de mouchoirs blancs qui s’agitent pour réclamer au moins une oreille pour récompenser le travail extraordinaire de Morante de la Puebla qui a donné une leçon de tauromachie absolue.
La présidence accorde non seulement une oreille mais deux oreilles et la queue ! C’est la première queue coupée à Séville depuis plus de 52 ans !
Mais revenons en arrière 48 heures avant.
Séville le 24 avril 2023, les premières secousses du tremblement de terre se font sentir : Morante , devant un lot de Garcia Jimenez fait étalage de toute sa classe, de toute sa « Toréria ». Vêtu d’un costume et d’une montera inspirés des costumes du XVIIIème siècle , Il semble être la réincarnation de Costillares ou de de Pepe- Hillo, fondateurs de la corrida moderne. Dans sa façon de marcher, de se déplacer dans l’arène, il incarne le torero éternel, celui de la littérature, de l’art, du courage, le demi-dieu qui affronte la mort pour créer de la beauté et révéler le sublime tragique de la vie.
Il commence sa faena montera en tête comme le faisaient les anciens par des passes aidées par le haut suaves et templées. Le travail se continue par des naturelles liées d’une longueur exceptionnelle dans le même terrain. Grâce à un jeu de poignée magnifique, il dessine des passes qui laissent transpirer son âme d’artiste. L’inspiration qui anime le grand maestro de La Puelbe del Rio montre que, comme Picasso, il a passé toute sa vie à toréer comme un enfant.
Le génial antiquaire de la toréria ( comme l’appelle le journaliste de l’ABC) dépoussière le répertoire des passes et des enchaînements. Et tout cela avec passion et spontanéité.Le résultat ne se fait pas attendre : son compagnon de cartel, Emilio de Justo, se hausse à son niveau et coupe deux oreilles à son deuxième taureau dans une faena pleine de profondeur et d’art sévillan,
Durant deux jours, la ville bruisse des commentaires de cette corrida : les uns se scandalisent que Morante n’ait eu qu’une oreille à son second taureau et critiquent le président mais tous attendent la corrida du 26 avril
https://www.youtube.com/watch?v=xjuLTwZJ0e8
Morante incarne la tradition selon la définition de Dominique Venner : « la tradition est un choix, un murmure des temps anciens et du futur. Elle me dit qui je suis. Elle me dit que je suis né quelque part. ». Il permet au peuple espagnol de retrouver la source un moment occulté de ses racines, de sa mémoire, de son être même. Il y a en moyenne 10 000 spectateurs pour voir toréer Morante. Et avec 100 corridas l’an dernier,C’est 1 million de personnes qui ont pu l’admirer dans toutes les arènes d’Espagne et devant tous les types de taureaux.
Morante devient un mythe, il est un mythe au sens où le définit Giorio Locchi : « Le propre du mythe est d’entrer dans l’histoire en se créant soi-même, c’est-à-dire en créant et en organisant ses propres éléments. Le mythe est cette force historique qui donne vie à une communauté, l’organise, la lance vers sa destinée. Le mythe est avant tout un sentiment du monde, mais un sentiment du monde partagé et, en tant que tel, il est et il crée objectivement le lien social et, en même temps la norme communautaire. Il structure la communauté, lui donne son style de vie, et structure aussi les personnalités individuelles. »
Il fallait voir le 26 avril ,vers 18 heures, les arènes se remplir d’une foule dense composée de jeunes gens comme de personnes âgées presque toutes habillées pour les hommes chemise, veste et cravate et pour les femmes soit la robe Sévillane soit des tenues chics alors qu’il faisait 40° ! Tout le monde faisait des selfies, heureux d’être là, de participer à un événement qui a du sens, surtout après la période d’enfermement et de perte de repères et de contacts dû à l’affaire du Covid.
Séville 26 Avril 19h30, Ligerito sort du toril avec comme ceux de son sang la beauté et la classe suprême ( les toros de combat portent tous un nom et leur généalogie est connue sur plus de trente générations) comme choisi pour cette communion païenne dans une série de Véroniques avec la plasticité de Vélasquez, le rythme de Bécquer, Avec le style de Séville.Avec un duende ( un sentiment, une inspiration) si personnel qui donna de merveilleux farols inversés, des taffalleras, la cape de face et par derrière. Vous ne comprenez pas tout ? Ce n’est pas grave, sentez juste que c’est de l’art, de la beauté, la vie quoi !!
La faena fût sublime et comme le disaient les journaux : Trois siècle de toros résumés et sublimés dans une faena sommet. Ce toro méritait la vie. Il méritait aussi la mort pour que son nom soit déjà dans l’histoire et dans l’éternité lié au dieu païen du toreo.
On a demandé à Morante s’il se rendait compte qu’on parlerait de cette faena dans 200 ans, il a répondu en souriant qu’il ne serait pas là. Mais en sortant de la Maestranza ( Arène de Seville) , il a donné la queue du toro à Rafael de Paula très grand torero artiste de siècle dernier et une de ses capes à l’algualcil ( chargé de faire respecter le règlement en piste) car il avait appris que son fils était apprenti torero et qu’il devait toréer prochainement et qu’il pourrait ainsi avoir une cape pour cela : passé , présent, futur, transmission, tradition , tout est dit.
Cette sortie s’est effectuée « a hombros », porté en triomphe par tout un peuple descendu des gradins de l’ombre comme du soleil, hommes, femmes, enfants non pas pour se montrer mais avec une ferveur et un respect semblables à ceux qui accompagnent les Pasos ( reposoir porté à dos d’hommes) de la semaine sainte et au cri de To-re-ro, To-re-ro, To-re-ro !
Morante triomphera-t-il à Nîmes fin mai ou à Madrid en juin ? Personne ne le sait car la tauromachie nous rappelle le sens tragique de la vie : aujourd’hui, le triomphe sur la mort mais demain un autre toro surgira et le défi sera de nouveau lancé, tel le mythe de Sisyphe mais si vous pouvez , allez aux arènes voir Morante et les autres, une leçon de vie vous attend !
Traduction de termes techniques pour les non initiés :
La montera est la coiffe traditionnelle des toreros à pied. C’est une toque noire, d’aspect « frisé » prolongée de chaque côté par deux boursouflures. On considère qu’elle a été inventée par Francisco Montes vers 1830.
José Antonio Morante Camacho dit « Morante de la Puebla » est un matador espagnol né le à La Puebla del Río (province de Séville, Espagne).
Dans le monde de la tauromachie, la faena ou faena de muleta est le troisième acte d’une corrida, dans la préparation de l’estocade. Le trasteo est un synonyme de faena.
La salida a hombros désigne la sortie en triomphe des matadors par la porte principale de la plaza, portés sur les épaules
Diego Paljuna
Crédit photo : DR
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6 réponses à “Tauromachie. Plongée au coeur de l’arène, à Séville, aux côtés de Morante de la Puebla”
Actuellement c’est »la Feria » à Nîmes. Je recevais, souvent, des amis venus chez moi, à cette époque de l’année, qui désiraient voir des corridas…Personnellement je n’aime pas les corridas, car je n’ai pas été »formée » à aimer cela…mais nous avons, à Nîmes, beaucoup d’habitants d’origine espagnole, qui ont quitté l’Espagne au temps de Franco…ils ne veulent pas que l’on supprime les corridas! Un groupe »d’anti-corridas’ se manifeste, à chaque féria, mais jusqu’à présent ils n’ont pas eu gain de cause. .Je pense que ces »Anti-corridas » devraient plutôt manifester contre la souffrance des »êtres humains » et exiger de notre Justice qu’elle ne laisse pas des ASSASSINS en liberté!..
Ce n’est pas parce que l’assassinat d’humains n’est pas traité comme il se doit, qu’on n’aurait pas le droit de lutter contre ces spectacles pour et par des sadiques!!
la souffrance des animaux ET des êtres humains, pas incompatibles ; souvent, ceux qui défendent les animaux en font plus pour les humains que les autres….. on n’a pas deux coeurs, un seul pour tout les vies
Ou bien plutôt manifester contre l’abattage halal, la maltraitance des animaux dans les élevages industriels, les abandons d’animaux !
et on se dit civilisé !!!!!!!! tauromachie = torure = mort = sadisme
Un article qui me plait. Diego Paljuna mérite d’etre connu. Non pas que je sois un fan des corridas car j’aime les animaux, mais j’avoue apprécier l’ambiance. De ce fait, je me dis que pour une fois, la tauromachie est d’abord bien expliquée, mais surtout donne envie de mieux la comprendre. On lit avec appétit.