Rodrigo Beenkens (Wout, Remco and co…) : « Aujourd’hui, les cyclistes belges peuvent s’imposer sur toutes les courses » [Interview]

Les éditions Kennes viennent de sortir un livre absolument indispensable pour tout fan de cyclisme qui se respecte. Avec Wout, Remco and Co, le journaliste et commentateur (sur la RTBF) Rodrigo Beenkens signe un ouvrage passionnant sur l’explosion des talents dans le cyclisme en Belgique.

Le livre aurait d’ailleurs pu ne pas s’arrêter aux frontières de celle-ci, puisque globalement, ces dernières saisons cyclistes ont vu l’explosion de talents dans toute l’Europe, et même sur d’autres continents.

Mais le commentateur phare de la RTBF (nous vous conseillons d’écouter en intégralité les courses flamandes via Internet, sur cette chaine, vous allez vous régaler) célèbre notamment pour son « Lance, Sors de ce corps » suite à une attaque folle de Chris Froome, s’est intéressé à ce qu’il connait le mieux, la Belgique, et son vivier de coureurs.

Wout van Aert et Remco Evenepoel, mais aussi Jasper Philipsen, Arnaud De Lie, Mauri Vansevenant, ou Cian Uijtdebroeks ..et beaucoup d’autres, font rêver tout un pays par leurs exploits. Et vibrer des jeunes, qui n’ont qu’une envie, c’est aussi demain de devenir cycliste professionnel.

Mais d’où viennent ces coureurs ? Comment se sont-ils fait une place à l’avant du peloton ? Que peuvent-ils décrocher dans le futur ? Cet ouvrage est à la fois un récit d’exploits et un guide pratique pour décrypter et apprécier en connaissance de cause la suite de l’épopée. Il nous amène de course en course et s’arrête à des moments clés de la trajectoire des deux icônes du vélo noir, jaune, rouge et des jeunes espoirs du cyclisme belge.

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Et pour en parler, Rodrigo Beenkens nous a fait l’honneur d’accepter de répondre à quelques unes de nos questions.

Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Rodrigo Beenkens : J’ai un nom et un prénom qui brassent beaucoup de choses. Le prénom d’une maman portugaise, et un nom purement flamand. C’est un mélange issu d’une rencontre inattendue à l’exposition universelle de Bruxelles entre mes parents.

J’ai toujours été passionné, fasciné par le sport, ce qui n’était pas forcément le cas de mes parents. Je faisais déjà des commentaires tout petit, de tous les sports. Cyclisme, formule 1, Football…

Je n’aurai jamais imaginé en faire mon métier, mais certains hasards, certaines rencontres, ont fait que j’ai pu faire de cette passion mon métier. J’ai signé à perpétuité à la RTBF en 1988 (rires) où je suis depuis plus de 35 ans.

J’ai touché à tout, mais aujourd’hui, je commente les évènements en direct.

Breizh-info.com : Si je dis de vous que vous êtes d’une certaine façon le Thierry Rolland belge, lui qui fût un grand journaliste et commentateur sportif, que me répondez vous ?

Rodrigo Beenkens : Cela me fait rougir. Thierry Rolland était une référence. Mais il a bâti toute sa carrière sur une discipline, et moi j’ai du me répartir en deux disciplines (football et cyclisme). Il y a eu d’autres grands journalistes en France.

Je suis né dans une culture très française. Je n’ai pourtant jamais suivi le tour de France à la télévision étant enfant car nous allions au Portugal en vacances et il n y avait pas la télévision. En revanche, les souvenirs que j’ai du Tour ce sont des voix à la radio, sur France Inter, Europe 1…il y avait des gens éclectiques comme Léon Zitrone. Des voix qui donnaient envie de faire ça.

La comparaison avec Thierry Rolland est un peu excessive car il brassait un audimat bien plus important que la Belgique francophone.

Breizh-info.com : Vous venez de publier l’excellent livre Wout, Remco and Co. Livre qui fait la part belle aux cyclistes belges de notre époque. Vous nous faites rencontrer les cyclistes de maintenant, le temps d’une saison entière. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre ?

Rodrigo Beenkens : On m’a contacté y a un an et demi en me demandant d’écrire mes souvenirs, mes mémoires. Je ne le sens pas, je ne suis pas prêt. Et finalement, quelqu’un (Julien Bialas ) a eu l’idée de me faire parler au sujet d’une saison, actuelle. Et nous avons décidé en décembre 2021 de le faire sur toute la saison 2022.

On n’imaginait pas vivre une saison à ce point prolifique. Je connaissais le talent de ces gars mais de là à imaginer ce que Van Aert ferait sur le Tour de France, ce que Evenepoel ferait sur Liège Bastogne Liège, Tour d’Espagne, Championnat du monde…A ce qu’Arnaud de Lie commence à gagner des belles courses, pour sa première année pro. Ou à ce que Philipsen devienne le meilleur sprinteur du monde….

Je voulais une lecture de la saison 2022, chronologique, qui permette à la fois de faire un petit rétropédalage en parlant de l’histoire de certaines courses. Mais aussi de donner les perspectives pour l’avenir. Les 25 gars dont je cite le nom ne vont pas tous réussir. Ce n’est pas imaginable vu tous les impondérables. Mais sur ces 25, peut être un sur deux, un sur trois auront une belle carrière.

Je me trouve dans une situation d’abondance dans le cyclisme belge que je n’ai jamais connu par le passé, depuis que je suis dans ce milieu. J’aimais bien en Belgique faire la comparaison entre Van Aert et Evenepoel, numéros 2 et 3 mondiaux, ce qui est énorme. Et derrière eux, il n y a aucun vide, il y a une relève…

J’ai commenté 10-15 Tour de France en disant « Pour l’arrivée du premier belge sur cette étape de haute montagne, rendez-vous ce soir après les informations », en me moquant un peu des coureurs. On a eu pendant 10-12 ans par ailleurs une absence totale de quelqu’un capable de s’imposer au sprint. Là on se retrouve avec des gars qui vont très vite, qui gagnent des chronos…

 

 

Breizh-info.com : Il y a eu Boonen tout de même ?

Rodrigo Beenkens : Oui mais je pense que le vrai dernier sprinteur qu’on ait eu était Tom Steels. Boonen, c’est un peu comme Museeuw, au début de sa carrière ils étaient les arbres qui cachaient la forêt. Sprinteur au départ, beaucoup moins après, où ils étaient plus sur les classiques. Oui Boonen a gagné des sprints mais ça remonte plutôt à 2007-2008.

Ces dernières années, sur le Tour de France, je me retrouvais à devoir commenter les étapes en disant que les Belges n’y seraient pas, en montagne, en chrono, en sprint…A moins d’anticiper à la De Gendt . Et voici que cette nouvelle génération déboule. Et gagne dans tous les registres.

Et paradoxalement maintenant, c’est peut être dans les classiques pavés qu’il y a un creux, toutes proportions gardées. Alors qu’on a remporté un Liège Bastogne Liège en 22 éditions (Gilbert), tout d’un coup on le remporte deux fois. Aujourd’hui, il n y a plus une course qu’un cycliste belge ne puisse pas gagner.

Breizh-info.com : Oui d’ailleurs, est-ce que la Soudal Quickstep, grande équipe formatrice et symbole, fleuron du cyclisme belge, ne paie pas aujourd’hui l’addition et la concurrence avec Jumbo, ou avec ALpecin face à qui elle semble en retrait désormais ?

Rodrigo Beenkens : Symbole du cyclisme belge…si on veut. Oui, Boonen, Gilbert…Mais c’est quand même une équipe très internationale. Asgreen, Alaphilippe, Jakobsen…qui ont gagné beaucoup des courses de l’équipe. C’est un Wallon qui gagne le Tour des Flandres avec Quickstep (Gilbert) ou Paris-Roubaix (idem).

Lefévère a toujours joué la carte internationale. Il n’a pas peur de ça.

Si on se base que sur les courses les plus importantes pour leur sponsor, c’est à dire les courses flamandes,  le bilan était mauvais l’an passé, catastrophique cette année. Mais Evenepoel sauve la mise du printemps avec Liège-Bastogne-Liège.

J’ajouterai que si vous regarder le bilan, Soudal-Quickstep est l’équipe qui a le plus gagné cette saison. Alors évidemment, ce sont des courses à étape pour la plupart. Compte tenu du budget, et comparé à ceux d’Ineos, d’UAE ou de Jumbo qui sont dans une autre dimension, c’est remarquable.

Et il faut voir quelle est la volonté de Soudal, nouveau sponsor. Est-ce vraiment de gagner un grand tour ? Quand pendant 25 vous avez eu un ADN tourné vers les classiques, et que vous vous tournez ensuite vers les grands tours, ça change. On a peut être un coureur qui peut gagner le Tour de France après avoir gagné la Vuelta. Cela change les perspectives. C’est une mutation.

Gagner la Vuelta, ou le Giro..avec une équipe juste correcte, c’est possible. Pas sur le Tour de France. Regardez la Jumbo à venir autour de Vingegaard. C’est l’équipe de l’an passé avec Van Baarle en plus. C’est hallucinant. UAE peut se permettre de laisser Almeida ou Ayuso à la maison…

Si l’objectif Quickstep-Soudal, c’est de gagner le Tour de France 2024 avec Remco , il ne peut pas le gagner avec l’équipe actuelle. Il faut construire. La formation est faite pour ça, et il faut faire des choix budgétaires. Question de volonté. Car chez Ineos par exemple, ils ont le budget pour se payer Remco Evenepoel…il faut donc anticiper, et lui construire l’équipe digne de ce nom pour l’accompagner sur la grande boucle.

Breizh-info.com : Les plus belles années du cyclisme belge sont là dites-vous. Mais ne sont-ce pas tout simplement les plus belles années du cyclisme que nous vivons là, un peu comme les amateurs de tennis qui ont vécu les années Nadal Federer Djokovic pourraient dire la même chose ? Le tout après s’être ennuyé profondément pendant de longues années…

Rodrigo Beenkens : On est dans quelque chose de subjectif évidemment. Soyons prudent, mais c’est vrai qu’en tant que commentateur, c’est clair que ce sont les plus belles années.

Que ce soit pour les cyclistes Belges, mais aussi à côté. Il y a Van der Poel, Pogacar, qui sont extraordinaires. Même un Pidcock, quand on voit ce qu’il fait sur les Strade Bianche, sur une étape du Tour l’an passé..ça donne la chair de poule.

Aujourd’hui avec une telle mise en image – à l’époque on ne commentait que les vingt derniers kilomètres de l’étape – ça donne un spectacle incroyable.

On avait un cyclisme un peu calculateur avant. Aujourd’hui on a des coureurs prêts à perdre pour gagner. Et ça plait. Pourquoi maintenant l’avènement de cette génération ? Il y a des hasards, des histoires familiales (cf Van der Poel)..Mais aussi un attrait des jeunes pour le cyclisme. Il y a un côté dangereux certes, qui peut faire peur aux parents (la route n’est plus faite pour s’entrainer). Mais d’un autre côté le cyclisme est devenu rock and roll. Quand je vois la quantité de jeunes sur le bord des routes, aujourd’hui, ce qui était moins le cas avant, j’adore. Incroyable. A Liège Bastogne Liège, à Huy…il y a un tel renouveau. Un enthousiasme incroyable.

Je suis convaincu que c’est grâce à la personnalité de ces coureurs. N »oublions pas le précurseur de ce style, Julian Alaphilippe, et encore plus loin, Peter Sagan. Un cyclisme total. On a envie de faire du vélo comme eux quand on est gamin. C’est plus attirant que de suivre le type qui termine 14ème du tour et qui est content..

Les gars préfèrent finir 180ème, mais ils auront essayé. Regardez le nombre de place de Mathieu Van der Poel entre la troisième et la dixième place. Il n y en a quasiment pas. Il court pour gagner, ou il s’en fiche et se relève. Van Aert c’est un peu différent, il a un gros nombre de places entre la 2 et la 5.

Peter Sagan a fait basculer tout ça. On a eu un champion rock and roll. Les gars qui ont 18-20 ans aujourd’hui s’identifiaient à lui . On préfère être Sagan que Johan Museeuw malgré tout le respect que j’ai pour lui.

Breizh-info.com : Mais comment expliquez vous que la Belgique produise actuellement une génération dingue, alors que c’est un petit pays en nombre d’habitants et en taille, et qu’à côté, la France ne produit que quelques talents ici ou là ( Alaphilippe, Laporte depuis qu’il a rejoint Jumbo, Cosnefroy,…) ? Idem en cyclo-cross alors que pourtant, les gamins en font tout l’hiver chez nous aussi…

Rodrigo Beenkens : je n’ai pas la prétention d’avoir une réponse tranchée. Néanmoins, vous parlez de la situation en France. Suivez dans les années à venir les Grégoire, les Martinez. Si on les gère bien, ils vont vous en gagner des belles. J’aurai pas été loin de les mettre dans la couverture de mon livre si il était écrit sur le cyclisme français. J’en aurai parlé en tout cas. Ils doivent confirmer.

Il y a une quantité folle de courses en Belgique, qui ont un retentissement énorme, une grande couverture médiatique dans notre presse locale, régionale, nationale y compris en dehors du Tour des Flandres ou du Liège Bastogne Liège. Il y a un engouement incroyable, tout le temps. En France, le gros soucis, c’est le Tour de France qui vampirise tout, y compris médiatiquement. Vous les Bretons, vous avez pourtant le Tro Bro Léon, PLouay…

Mais pendant trois semaines sur le tour de France, le journal L’équipe délègue nombre de journalistes sur place, fait douze pages par étape. Et puis, sur le Tro Bro Léon, y a quoi ? Trois lignes ?

Quand vous prenez la presse néerlandophone pour un Bruges-La Panne, c’est cinq pages.

Cela joue ensuite dans l’éclosion des jeunes talents. Je mets les Bretons à part, car pour moi vous êtes ceux qui se rapprochent le plus des Flamands. En Belgique francophone il y a une passion du cyclisme. Mais en Belgique flamande, c’est une vraie religion.

Le point culminant est le Tour des Flandres, mais il y a autant de gens à venir sur les autres classiques. Le grand prix E3 (Harelbeke) se court un vendredi, souvent humide et pluvieux, il y a un monde fou…

En France…la place du cyclisme, hors presse spécialisée, me semble inexistante. Avec les conséquences qui vont avec…

Breizh-info.com : On me glisse dans l’oreillette pour finir, que vous êtes un fan de Molenbeek, qui vient de monter en première division belge, ai-je bon ?

Rodrigo Beenkens : (rires). C’est une équipe compliquée. C’est une histoire de plusieurs clubs emblématiques, qui fusionnent, se recomposent, se dissolvent…Au départ, c’était le Racing White, qui jouait dans une partie bourgeoise de Bruxelles, où l’on allait plus à l’opéra ou au théâtre qu’au football.

Le Racing White au début des années 70 était la quatrième équipe Belge au niveau national derrière Anderlecht, le Standard et Bruges. Avec des joueurs fantastiques. J’y allais étant gamin, je suis tombé amoureux de cette équipe, qui jouait en noir et blanc. On jouait la coupe d’Europe …avec 600 personnes dans le stade.

Il a fallu faire un mariage de raison avec une autre équipe, le Daring de Molenveek qui évoluait à quelques kilomètres de là, de l’autre côté de Bruxelles. Le club avait un stade, un public, mais pas une bonne équipe. Petit, quand la fusion s’est faite, j’étais triste, mais dès la deuxième année d’existence, ils sont champions. Et là ils montent pile poile 50 ans après la création, ils sont champions de Belgique. Là je suis devenu gros fan. Ensuite il y a eu des erreurs, la folie des grandeurs chez certains dirigeants..

Je suis resté fondamentalement attaché à cette équipe depuis tout ce temps. Je me réjouis de la voir revenir en Première division belge en espérant qu’elle aura retenu les erreurs du passé. Sinon ça ser

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR

[cc] Breizh-info.com, 2023, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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Une réponse à “Rodrigo Beenkens (Wout, Remco and co…) : « Aujourd’hui, les cyclistes belges peuvent s’imposer sur toutes les courses » [Interview]”

  1. Gillic dit :

    Rodrigo respire la passion du cyclisme, bravo à lui, je vais acheter son livre de suite !!!

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