Si, depuis 1945, divers partis patriotiques, nationalistes, voire nationalistes-radicaux ont pu percer en République Fédérale d’Allemagne, la formation politique patriotique allemande Alternative für Deutschland (AfD) présente la particularité d’être arrivée à s’implanter dans le paysage politique et, surtout, à y perdurer. Désormais premier parti dans l’Est du pays, tout en obtenant des scores nettement plus modestes dans les États de l’Ouest, l’AfD réfute le principe expérimental qui veut que la ligne politique patriotique soit, en Allemagne, un cimetière pour les partis de cette tendance.
L’AfD obtient de tels résultats tout en étant combattue par les médias du régime en place, en ne disposant pas de soutien au sein de l’establishment, en subissant des persécutions, notamment de l’État via les services secrets (Office de protection de la Constitution), et en n’ayant en vue aucun partenaire possible de coalition, ses cadres et ses membres étant, de plus, visés par des attaques physiques, perpétrées par des individus issus de la gauche radicale, et portant sur leur personne et sur leurs biens.
La marche en avant de l’AfD
L’AfD est fondée le 6 février 2013 par des personnes déçues par la politique financière et européenne de la chancelière démocrate-chrétienne (CDU) Angela Merkel. Le 11 mars, 1.300 individus assistent, à Oberursel, en Hesse, à une réunion d’information. Du 31 mars au 12 mai, les sections de l’AfD sont fondées au sein des seize États que comptent le pays. Le premier congrès du parti se déroule le 14 avril : Bernd Lucke, Frauke Petry et Konrad Adam sont élus porte-paroles et Alexander Gauland compte parmi les porte-paroles adjoints. Le 15 juin, l’organisation de jeunesse, la Junge Alternative (Jeune alternative), voit le jour à Darmstadt, en Hesse. Lors des élections législatives du 22 septembre, l’AfD obtient 4,7 % et n’atteint pas le seuil des 5 % permettant de siéger au Parlement. À l’issue du scrutin pour le Parlement de Hesse, qui se déroule en même temps, l’AfD décroche 4,1 % et n’obtient pas d’élu.
Le 25 mai 2014, l’AfD, en récoltant 7,1 %, avec comme candidat de tête Bernd Lucke, obtient sept élus au Parlement européen. Alors que l’AfD entre, au fil du temps, dans différents parlements d’États, les tensions idéologiques se développent à la tête du parti. Au début juillet 2015, Bernd Lucke, de l’aile libérale, quitte l’AfD après avoir échoué à imposer ses vues, à propos du cours futur du parti, face à Frauke Petry, lors d’un congrès se déroulant à Essen en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Il crée le parti ALFA (Allianz für Fortschritt und Aufbruch – Alliance pour le progrès et le renouveau), mais est contraint, pour des raisons juridiques, de changer le nom et adopte celui de LKR (Liberal-Konservative Reformer – Réformateurs libéraux-conservateurs). Cette formation politique obtient des résultats extrêmement faibles.
Lors des élections législatives du 24 septembre 2017, l’AfD reçoit, avec comme tête de liste Alexander Gauland et Alice Weidel, 12,6 % et obtient 94 députés. Frauke Petry, qui a échoué dans son combat à propos de la future ligne du parti, notamment face à la figure de proue de l’aile nationaliste Björn Höcke, quitte en invoquant « une radicalisation de l’AfD », tout en gardant le siège de député fédéral qu’elle a obtenu lors des élections. Alice Weidel et Alexander Gauland sont élus à la tête du groupe parlementaire. Frauke Petry crée un nouveau parti qui ne perce pas électoralement. Lors d’un congrès, qui se tient à Hanovre au début décembre, Jörg Meuthen et Alexander Gauland sont élus en tant que nouveaux porte-paroles de l’AfD. Le 26 mai 2019, lors des élections européennes, le parti, dont le candidat de tête est Jörg Meuthen, obtient 11 % et 11 députés. Lors du congrès, qui a lieu le 30 novembre et le 1 décembre à Braunschweig, Jörg Meuthen et Tino Chrupalla sont élus porte-paroles du parti. Le 26 septembre 2021, l’AfD obtient, lors des élections législatives, 10,3 %, avec comme candidats de tête Alice Weidel et Tino Chrupalla. Ils sont élus, ensuite, par les députés à la tête du groupe parlementaire.
En janvier 2022, Jörg Meuthen quitte sa fonction de co-porte-parole, ainsi que le parti, en reprochant à ce dernier une dérive idéologique vers le nationalisme.
Les prédécesseurs de l’AfD
Dans l’immédiat après-guerre, parmi les formations politiques patriotiques autorisées par les autorités d’occupation, figurent le DKP-DReP (Deutsche Konservative Partei – Deutsche Rechtspartei – Parti conservateur allemand – Parti de droite allemand) et le NLP (Niedersächsiche Landespartei – Parti de l’État de Basse-Saxe). Le DKP-DReP décroche de très rares élus au sein de parlements d’États. Il obtient 1,8 % et 5 députés lors des élections législatives de 1949. Il est chrétien et conservateur, tout en promouvant la famille, et dénonce la catastrophe qu’Hitler a représenté pour l’Allemagne tout en prônant des formes économiques décentralisées par-delà le capitalisme et le socialisme.
Fondé en 1947, le Deutsche Partei (Parti allemand – DP), issu du NLP, est un parti national-conservateur. Il est ensuite représenté au sein de la Chambre fédérale des députés et au sein de parlement d’États et dispose de ministres au niveau fédéral et à celui de certains États.
Un parti radical voit le jour en 1949, le Sozialistiche Reichspartei (SRP – Parti socialiste de l’Empire). Sa figure de proue est Otto-Ernst Remer, qui a fait échouer la prise du pouvoir par les protagonistes de l’attentat national-réactionnaire conduit par Claus von Stauffenberg le 20 juillet 1944 contre Adolf Hitler. Il dénonce toujours ces individus en tant que traîtres au pays. Le SRP désire le rétablissement de l’Empire allemand. En 1951, lors des élections pour le Parlement de l’État de Brême et lors de celles pour le Parlement de l’État de Basse-Saxe, le parti obtient des élus. En 1951, la procédure en vue d’interdire le SRP est lancée et aboutit en 1952.
La Deutsche Gemeinschaft (Communauté allemande), opposée au conservatisme bourgeois et au national-socialisme, se plaçant tant par-delà l’économie planifiée que du capitalisme et ayant pour objectif la réalisation d’un État national indépendant, est fondée en 1949 par August Haussleiter, qui a été actif sous la République de Weimar dans le champ de la « Révolution Conservatrice » et se présente comme un nationaliste ennemi du national-socialisme. Il a quitté les sociaux-chrétiens bavarois de la CSU en 1949, car, étant national-neutraliste, il reproche à cette dernière d’avoir adopté un cours occidental. En coalition avec le Gesamtdeutscher Block/Bund der Heimatvertriebenen und Entrechteten, la Deutsche Gemeinschaft obtient des élus en 1950 au sein des deux États du sud de l’Allemagne : le Bade-Wurtemberg et la Bavière. Lors des élections législatives de 1957 et de 1961, elle enregistre des scores misérables. En 1965, August Haussleiter prend part à la création du parti national-neutraliste Aktionsgemeinschaft Unabhängiger Deutscher (AUD – Communauté d’action des Allemands indépendants), puis, en 1979-80, en tant qu’une des figures dominantes du mouvement écologiste, à celle du parti écologiste Die Grünen (Les Verts).
En 1950, le Deutsche Reichpartei (DRP) voit le jour d’une fusion d’une partie des membres du Deutsche Rechtspartei (DRep) et du National Demokratisch Partei (NDP). Parmi les cadres dirigeants du DRP figurent Hans-Ulrich Ruddel et Adolf von Thadden. Ils tournent le dos aux conservateurs monarchistes et aux chrétiens. Le parti désire le rétablissement de l’Empire allemand, s’oppose au communisme, ainsi qu’à l’intégration de la République Fédérale d’Allemagne à l’Europe occidentale. Afin d’éviter une interdiction comme celle qu’a connue le SRP, les cadres du DRP tiennent des propos modérés. Le Deutsche Reichpartei n’obtient pas de député au niveau fédéral et décroche de très rares élus au niveau de parlements d’États.
Le Gesamtdeutscher Block/Bund der Heimatvertriebenen und Entrechteten (GB/BHE) (Bloc/fédération panallemande des expulsés et privés de leurs droits) naît en 1950 et décroche 27 députés lors des élections législatives de 1953, avec 5,9 %, et obtient deux ministres au niveau fédéral. Il échoue, avec 4,6 %, en 1957. Le parti, qui obtient parfois des scores à deux chiffres lors des élections régionales, participe à des coalitions au sein des parlements de divers États fédérés, ce qui lui permet d’avoir des ministres à ce niveau de pouvoir.
Le Nationaldemokratische Partei Deutschlands (Parti national-démocrate d’Allemagne – NPD) est fondé en 1964. Parmi les cadres dirigeants figurent, d’une part, des personnes au passé national-conservateur et, d’autre part, des individus ayant exercé des fonctions sous le national-socialisme. Le NPD reconnaît l’ordre fondamental démocratique-libéral et prône des mesures renforçant la démocratie, notamment l’introduction de la démocratie directe. Le parti estime que le matérialisme, largement développé au sein de la société, doit être dépassé et rejette la notion de culpabilité unique et collective du peuple allemand. Le NPD obtient, plusieurs fois, des élus lors d’élections pour des parlements d’États allemands, mais ne réussit jamais à entrer à la Chambre des députés. Le parti décroche en 2014 un élu au Parlement européen, à la suite de la suppression du seuil électoral lors de ce type de scrutin, mais échoue en 2019.
La Deutsche Volksunion (Union populaire allemande – DVU) voit le jour en 1971, en tant qu’association, puis devient, en 1987, un parti politique. La DVU est un instrument aux mains de l’éditeur munichois, nationaliste allemand, Gerhard Frey. Le parti siège, à plusieurs reprises, au sein de parlements d’États allemands. La DVU fusionne en 2011 avec le NPD.
Die Republikaner (Les Républicains – REP) naissent en 1983 en tant que scission de la CSU (Union sociale-chrétienne) bavaroise. Les députés de la CSU Ekkehard Voigt et Franz Handlos, opposés au prêt annoncé par le Ministre-président CSU de Bavière Franz Josef Strauß d’un milliard de marks à la République Démocratique Allemande (RDA) communiste, et le journaliste Franz Schönhuber, fondent le parti. Après des disputes au sein de la direction, Franz Schönhuber se retrouve seul, les deux autres dirigeants créant une structure qui ne rencontre pas de succès. Les Republikaner ne siègent pas à la Chambre allemande des députés. Cependant, ils obtiennent, lors des élections européennes de 1989, 6 sièges au Parlement européen avec 7,1 %. Ils entrent en 1989 au sein du Parlement de l’État de Berlin. Ils siègent, durant deux législatures, au sein du Parlement du Bade-Wurtemberg.
L’AfD ou une autre nostalgie
Si les partis politiques prédécesseurs de l’AfD ont compté, parmi leurs dirigeants, cadres et militants, des nostalgiques, avoués ou non, de l’époque du IIe Reich, du IIIe Reich ou de la « Révolution Conservatrice » de l’entre-deux-guerres, l’AfD, dont les membres n’ont pas connu ces époques, est mue, dans l’Ouest du pays, par la nostalgie de l’ordo-libéralisme – qui veut que l’État crée et maintienne un cadre normatif permettant la « concurrence libre et non faussée » entre les entreprises – de l’après Seconde Guerre mondiale, qui a conduit au miracle économique allemand, et qui est associé à la personne du ministre de l’Économie démocrate-chrétien (CDU) – de 1949 à 1963 – Ludwig Erhard, sous la houlette du chancelier démocrate-chrétien (CDU) Konrad Adenauer, alors que dans l’Est du pays, les électeurs de l’AfD regrettent certains aspects du régime de la défunte République Démocratique Allemande (RDA) communiste, notamment la présence de très peu d’étrangers et une société plus égalitaire.
Lionel Baland
Source :
COLLECTIF, « Zehn Jahr AfD – Eine Chronik », in Sezession, n°112, février 2023, Schnellroda, p. 6 à 15.
DIRSCH Felix, « Parteigründungen und Programmatik », in Sezession, n°112, février 2023, Schnellroda, p. 42 à 46.
MAURICE Paul, « Du PDS à l’AfD : les enjeux socio-politiques de la nostalgie en Allemagne de l’Est », Les droits de l’Homme en Europe orientale et dans l’espace post-soviétique, n° 34, avril-juin 2020.
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