Bob Garcia : « Je me suis rendu compte qu’Hergé s’adressait autant aux adultes qu’aux enfants » [Interview]

D’où viennent les initiales « J. W. » du prénom du docteur Muller ? Qui a donné son étrange nom à Didi ? Qui a réellement inspiré Haddock, Nestor, Rackham le Rouge, le marquis di Gorgonzola ou Aristide Filoselle ? D’où viennent le scénario de L’Étoile mystérieuse, les épisodes de la fausse noyade de Tintin et de la mise en quarantaine du Pachacamac dans Le Temple du soleil, la devise syldave « J’y suis, j’y reste », ou encore les pastilles explosives de L’or noir ?…

Voici quelques-unes des dernières révélations inédites dévoilées dans le livre Hergé, les Ultimes secrets, signé Bob Garcia et édité aux éditions du Rocher.

En se livrant à un véritable travail d’archiviste sur la totalité des magazines auxquels Hergé collaborait, Bob Garcia a découvert un véritable gisement d’informations à portée de main et encore jamais exploité. À la lumière des rubriques et articles parus dans Le Petit Vingtième, Le Soir jeunesse ou le Journal Tintin (soit environ 80 000 pages), il relit donc toutes les bandes dessinées achevées de Tintin, depuis Les Soviets jusqu’aux Picaros, puis les aventures de Jo, Zette et Jocko, et enfin les gags de Quick et Flupke, et révèle les sources qui ont inspiré le dessinateur. Ces recherches lui permettent en outre de restituer les opinions d’Hergé (et/ou de ses proches collaborateurs, souvent sous sa responsabilité en tant que rédacteur en chef) sur de nombreux sujets : la guerre, le racisme, l’antisémitisme, la religion, les femmes… Une façon de redécouvrir certaines vérités – et de mettre à mal quelques affirmations rapides – concernant le créateur de Tintin.

Passionné de littérature populaire, de musique et de bande dessinée, Bob Garcia a publié une dizaine de romans policiers et de nouvelles, des essais et des articles sur le monde du jazz, et des études sur Tintin, parmi lesquelles Tintin, le Diable et le Bon Dieu (2018) ; Tintin, du cinéma à la BD (2019) ; et Tintin et l’Histoire (2022).

Pour évoquer cet ouvrage,  nous l’avons interrogé.

Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?

Bob Garcia : Je suis écrivain auteur d’une douzaine de polars, ainsi que des études sur Hergé et la BD. Ainsi qu’une petite série nommée « Le Petit tintin » sur un garçon nommé Valentin et qui se projette dans l’univers de Tintin. J’écris aussi sur l’automobile (je suis journaliste dans ce domaine).

Breizh-info.com : D’où vous vient cette passion pour Tintin, et en conséquence, pour Hergé ?

Bob Garcia : C’est lointain. Quand j’étais gamin, comme beaucoup d’enfants (je suis né en 1954) j’ai découvert la lecture à travers les albums de Tintin (ou plutôt un album de Tintin, le seul que j’avais à la maison, Le Sceptre d’Ottokar). Je me plongeais dedans avec cette interrogation à savoir si c’était vraiment pour les enfants. En fouillant un peu je me suis rendu compte après qu’Hergé s’adressait autant aux adultes qu’aux enfants.

Breizh-info.com : Parlez nous de ce que fût le Petit Vingtième et de son influence sur Tintin par la suite ?

Bob Garcia : Le Petit Vingtième était le supplément jeunesse du Vingtième Siècle, journal qui paraissait jusqu’en 1940. Hergé était le rédacteur en chef du Petit Vingtième. Puis il y a publié ses premières BD de 1929 à 1940. Cela a eu une importance cruciale pour Hergé et Tintin, né dans cette revue. Il s’est inspiré de ce qui se passait dans ce magazine pour nourrir ses créations. Cela a eu un double impact, un double intérêt, par rapport à la genèse de Tintin.

Breizh-info.com : Votre livre est un décryptage, épisode par épisode, des aventures de Tintin sous l’oeil notamment de l’actualité de l’époque. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans vos recherches, concernant Hergé ?

Bob Garcia : La partie avant guerre m’a marqué. C’est là où Hergé me semble avoir le plus puisé dans l’actualité. Il devait avoir quasiment le couteau sous la gorge quand il écrivait car à un moment donné il publiait les aventures de Tintin, mais en parallèle il devait publier aussi un gag de Quick et Flupke par semaine. Il était obligé d’alimenter cette oeuvre là avec quasiment tout ce qui lui passait par la main.

Ce qui m’a le plus frappé c’était l’apport quasi hebdomadaire de l’actualité dans son oeuvre. Et cela n’avait pas été étudié avant. J’ai voulu faire ce travail.

Un exemple qui m’amuse et qui est emblématique : deux annonces furent publiées à un moment donné dans le Petit Vingtième, une concernant un faux monnayeur et une autre au dessus concernant un psychiatre, W.J Muller. Hergé voit ces annonces et en fait son W.J Muller, le fameux psychiatre fou dans l’Ile Noire . Il s’inspire de ces deux personnages dont on ne connait rien, en fait la synthèse, et son Müller dans l’Ile noire devient un psychiatre faux monnayeur. Voici sa façon de procéder. Personne ne l’a jamais publié avant, vous ne trouverez cela nulle part ailleurs.

J’en ai trouvé beaucoup, de choses originales, que je raconte dans mon livre. Il faut connaitre vraiment bien l’oeuvre d’Hergé (Y compris Quick et Flupke et Jo, Zette et Jocko) pour trouver ces anecdotes. Je les restitue dans le contexte du Petit vingtième, des brèves. Le lecteur même s’il n’a pas en tête tout, ne sera pas perdu.

Breizh-info.com : Peut-on considérer votre ouvrage comme un mémoire en défense par rapport à Hergé, passé à la moulinette après la seconde guerre mondiale (et qui pourrait sans doute finir par être liquidé par la terreur woke actuelle ?)

Bob Garcia : Oui mais je ne cherchais pas cela au départ. Quand j’ai commencé mes recherches, je me suis demandé comment se traduisait, dans le Petit vingtième, l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933. Qu’est ce qu’Hergé en disait ainsi que ses collaborateurs ? Je ne savais pas sur quoi j’allais tomber.

Au fil des pages du journal, j’ai trouvé leur avis. Ils détestaient cordialement Hitler. Ils l’ont tourné en ridicule en le dessinant pas à son avantage. Ils l’ont comparé à Charlot. Hergé et ses collaborateurs étaient totalement hostiles à ce personnage.

La fameuse misogynie d’Hergé, l’un des procès les plus ridicules qu’on lui ai fait, est aussi démontée (et non pas démontrer) dans mon ouvrage. On considère trop souvent que Hergé = Tintin et vice versa. Dans Tintin, il y a peu de femmes. Mais si on regarde ce qu’Hergé a écrit, dit ou fait sur les femmes, on se rend compte qu’il représente la femme sous un angle plus que flatteur.

Il a même fait un additif Fémina du journal Le Vingtième Siècle, qui représente la femme sous ses plus beaux attraits avec des top modèles de l’époque. C’est encore un mauvais procès qu’on lui a fait. Idem sur le racisme anti-noirs. Il a pris partie contre la ségrégation aux USA à l’époque.

Oui, il a été ami avec Léon Degrelle, et s’est fâché avec lui d’ailleurs, plus pour des raisons économiques que philosophiques. Néanmoins, il s’est détaché du Rexisme, qu’il a présenté de façon très négative dans plusieurs dessins de son journal. Mais ce n’est pas parce que vous avez un ami qui a telles ou telles idées que vous les partagez (NDLR ; il est vrai qu’aujourd’hui c’est plus difficile à comprendre dans une société de terreur intellectuelle permanente).

Breizh-info.com : Question de bédéphile enfin : pourquoi les aventures de Quick et Flupke ont-elle rencontré, selon vous, moins de succès que Tintin ? Il est en effet assez rare aujourd’hui de tomber sur des jeunes connaissant ces deux compères inventés par Hergé ?

Bob Garcia : Hergé y a mis moins de lui même dans ces oeuvres. Quick et Flupke relevait plutôt de la commande obligatoire pour le journal. Il y a des raisons de structure aussi. Quick et Flupke est intéressant du point de vue de l’actualité, mais ça n’est pas très drôle. Les gags sont éculés, ce n’est pas très drôle. Cela ferait moins rire la génération actuelle, comme celle de l’époque. C’était plus une chronique du temps qui passe. Hergé a beaucoup dans Tintin, mais peu dans ses autres oeuvres.

Par contre, il esquisse peut être ce qui va se retrouver dans Tintin. Il a une bonne idée dans Jo Zette et Jocko, ou dans Quick et Flupke, et on va la retrouver dans Tintin. Le gag de Nestor avec son plateau, apparait dans Jo Zette et Jocko avant Tintin (les 7 boules de cristal). Même le travail des décors dans ces albums, ça n’était pas aussi fouillé que dans Tintin.

Breizh-info.com : Si vous ne deviez retenir qu’un album de Tintin, lequel serait-ce ? Quels sont vos projets à venir ?

Bob Garcia : Tous les albums sont de grande qualité. Un me plait plus que les autres car fondateur de l’oeuvre d’Hergé, c’est Tintin au pays des Soviets. C’est pas celui qui est le plus souvent nommé par les amateurs de Tintin, mais en tant qu’historien de la bande dessinée, je trouve que cet ouvrage est le plus intéressant. Il contient quasiment tout ce qui va suivre. Il y a même des gags repris et déclinés dans plusieurs albums suivants.

Concernant les projets à venir, il y en a plusieurs, notamment un travail sur Le Petit tintin, que je fais actuellement (pour les 3 ans et +).

propos recueillis par YV

Crédit photo : DR

[cc] Breizh-info.com, 2023, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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2 réponses à “Bob Garcia : « Je me suis rendu compte qu’Hergé s’adressait autant aux adultes qu’aux enfants » [Interview]”

  1. Lionel Baland dit :

    Cet ouvrage est une mystification. En effet, les adeptes de l’Ordre nouveau belge étaient contre l’Allemagne et contre le national-socialisme. Lorsque, en 1938, Mussolini, mis au ban des nations suite à son aventure éthiopienne, s’est rapproché d’Hitler, il a été perçu comme un complice de ce dernier et aussi rejeté par les adeptes de l’Ordre nouveau belge. Donc les dessins d’Hergé contre Hitler ne le dédouanent absolument pas d’avoir été rexiste, puisque Rex était anti-hitlérien.

    Rappelons que, de 1934 à 1938, l’Anschluss a été empêché par le régime austro-fasciste de Dollfuss, assassiné par les nationaux-socialistes autrichiens, puis par son successeur, soutenu de l’extérieur par Mussolini.

    Hergé n’est pas accusé de national-socialisme, mais de rexisme, c’est-à-dire d’avoir été un adepte de l’Ordre nouveau belge, ce qu’il a clairement été. Il suffit de regarder qui a eu une influence idéologique sur lui, de l’abbé Wallez – écrivain nationaliste belge durant la Première Guerre mondiale – à Raymond De Becker.

    Rappelons que l’idée de Grande-Bourgogne, c’est-à-dire de Grande Belgique déjà mise en avant par Pierre Nothomb au sortir de la Première Guerre mondiale (https://eurolibertes.com/histoire/pierre-nothomb-paladin-de-grande-belgique/), a été reprise par Léon Degrelle, mais aussi par l’ écrivain Luc Hommel, qui était le chef de cabinet de Van Zeeland qui a affronté Léon Degrelle lors de l’élection législative partielle à Bruxelles en 1937.

    Ajoutons que, si, pour certaines raisons, Rex est allé dans la collaboration, une partie des rexistes sont allés dans la Résistance (Phalange, MNR/NKB, …) et que de nombreux rexistes se sont abstenus durant la guerre.

    Quant à l’idéologie d’Ordre nouveau belge, elle a été développée par la Légion nationale, dont le chef Paul Hoornaert était au Congrès de Montreux en 1934 (https://www.breizh-info.com/2022/09/03/207417/la-legion-nationale-belge-la-resistance-dordre-nouveau-et-nationaliste-en-belgique/). La Légion nationale est allée dans la Résistance dés le début de la guerre et Paul Hoornaert est mort en déportation à Sonnenburg. Pierre Nothomb, qui a dirigé les Jeunesses nationales, a été inquiété pendant la guerre car lié à la Résistance.

    L’objectif de Raymond De Becker, au sein du quotidien Le Soir, pour lequel Hergé dessinait, durant la Seconde Guerre mondiale, était nationaliste belge. De Becker a été éjecté en 1943 de son poste au Soir et assigné en résidence dans les Alpes bavaroises.

  2. patphil dit :

    tintin reste très vu et lu par les jeunes et c’est justifié

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