Après une adaptation au cinéma par François Dupeyron en 2001, La Chambre des officiers, roman de Marc Dugain paru en 1998, fait l’objet d’une bande dessinée fidèle.
Fin de l’été 1914. Aux premiers jours de la Grande guerre. De jeunes patriotes partent au combat, « la fleur au fusil ». Parmi ceux-ci, le lieutenant Adrien Fournier, jeune officier du Génie, commande un détachement de reconnaissance sur les bords de la Meuse. Mais un tir d’artillerie allemande tue ses hommes et le blesse grièvement. A peine entamée, la guerre est déjà finie pour lui. Fournier est dirigé vers le Val-de-Grâce, à Paris, où il est le premier hospitalisé dans la chambre des officiers blessés au visage. Quand il se réveille, le chirurgien décrit par le détail son visage meurtri : plus de nez, ni de bouche. Pour éviter les dépressions et suicides, le dortoir ne comporte ni miroirs, ni grilles aux fenêtres. Fournier va devoir réapprendre à manger et à boire avec des instruments particuliers. Il pourrait se contenter de souffrir, se remémorant souvent une nuit enivrante passée dans les bras d’une jeune fille avant son départ. Mais il est entouré pendant cinq ans de trois autres gueules cassées, un aviateur défiguré, un capitaine de cavalerie borgne à la bouche bloquée sans menton, et une infirmière du front au visage mutilé. C’est ainsi que, malgré les regards de rejet, Fournier reprendra espoir de connaître une vie agréable.
Il y a 25 ans, Marc Dugain publiait son premier roman, La Chambre des officiers (éd. JC Lattès), superbe récit sur le ressenti des gueules cassées de la première guerre mondiale, sujet méconnu. Il s’inspirait ainsi de l’histoire de son grand-père, ancien combattant de la guerre 14-18, défiguré par un obus. En 2001, ce roman devenait un film réalisé par François Dupeyron.
En 2023, le scénariste Philippe Charlot reste fidèle à l’esprit du roman, même si Marc Dugain leur a laissé la plus grande liberté. Il respecte même sa construction en chapitres, en reprenant à chaque fois un extrait du texte du romancier. Philippe Charlot a trouvé fascinant de « décortiquer un roman d’un point de vue scénaristique ». Point de scènes de tranchées dans cet album. On redécouvre que c’est l’amitié entre ces mutilés, confrontés à cette souffrance extrême, qui leur permet de tenir le coup. Cette œuvre permet également de prendre connaissance des premiers pas de la chirurgie réparatrice.
Ancien chirurgien-dentiste, le dessinateur Alain Grand a côtoyé l’une des dernières gueules cassées. Il est bien placé pour dessiner ce récit d’un officier défiguré. Il s’est plongé dans les livres d’histoire afin de reproduire l’ancien Val-de-Grâce. Ainsi, pour dessiner l’un des médecins de l’époque, il s’est inspiré des traits du professeur Hippolyte Morestin, un pionnier de la chirurgie faciale. Son traitement des blessures reste discret. Alain Grand révèle que le plus difficile a été de retranscrire des émotions alors que certaines parties du visage sont couvertes d’un tissu blanc. Pour gagner du temps, il a abandonné sa feuille de dessin au profit d’une tablette numérique. Son graphisme semi-réaliste est mis en valeur par la colorisation terne de Tanja Cinna-Wenisch.
Kristol Séhec
La Chambre des officiers, 72 pages, 16, 90 euros. Ed. Bamboo, Grand angle.
Illustrations : DR
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