Les éditions Artège viennent de publier Ces idées chrétiennes qui ont bouleversé le monde signé Jean-François Chemain (que nos lecteurs connaissent déjà) et présenté ainsi :
La vieille Europe, la chrétienté, est-elle en train de mourir après avoir rempli sa mission d’ensemencer le monde du christianisme ? On peut s’interroger sur la nécessité d’un tel pessimisme.
Dans un espace géographique occidental limité, le catholicisme « romain » a su participer au développement d’une civilisation originale : unité de l’Europe, primauté de la paix et limitation de la guerre, laïcité, droits de l’Homme, égalité femmes-hommes, condamnation de l’esclavage, souci de l’enseignement, possibilité de la science, notamment, en sont les fruits.
Par l’action conjointe et souvent conflictuelle de deux acteurs – l’Église et l’État –, les énergies ainsi libérées ont permis à l’Europe chrétienne d’acquérir, à l’époque moderne, une supériorité technique qui l’a conduite à dominer le monde et à prétendre y imposer sa civilisation.
Mais l’Occident se trouve désormais au banc des accusés. À l’extérieur, on conteste son hégémonie, invoquant des griefs présents et passés. À l’intérieur, les uns, surenchérissant sur le monde, exigent qu’il fasse repentance de ce qu’il a été – conquérant, dominateur, homogénéisateur… tandis que d’autres, nostalgiques de la « chrétienté », lui font grief de ce qu’il ne serait plus assez « chrétien ».
À l’heure du doute, Jean-François Chemain livre ici une réflexion puissante et originale sur les apports civilisationnels du christianisme et la légitimité de leur devenir.
Diplômé de l’IEP de Paris, agrégé et docteur en histoire, docteur en histoire du droit, Jean-François Chemain enseigne dans plusieurs établissements supérieurs catholiques.
Nous l’avons interrogé sur cet ouvrage stimulant, et particulièrement d’actualité, à l’heure où le Pape François semble tout faire pour vider les Eglises d’Europe de ses fidèles.
Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?
Jean-François Chemain : Agrégé et docteur en Histoire, docteur en Histoire du Droit, j’enseigne l’Histoire dans divers établissements supérieurs privés, pour la plupart catholiques. Je suis à ce jour auteur d’une douzaine de livres, portant pour la plupart sur des questions en rapport avec la place de la religion chrétienne dans notre civilisation, comme La vocation chrétienne de la France (2010), Une autre Histoire de la Laïcité (2013), Non, la France ce n’est pas seulement la République (2021)… Mes deux thèses ayant porté sur l’époque romaine, d’autres de mes livres traitent plus spécifiquement de cette période, tel La guerre juste, aux origines de la conception occidentale du bellum iustum (2022), ce qui me permet de donner à mes réflexions une certaine profondeur historique, là où beaucoup se contentent à la période post-révolutionnaire, voire contemporaine.
Breizh-info.com : Quel a été le point de départ de l’écriture de votre dernier ouvrage ?
Jean-François Chemain : La succession de mes livres – que j’espère continuer – creuse souvent la même veine : comprendre comment l’identité française et européenne s’est construite par le christianisme et autour de lui. Or ceci est officiellement nié par nos dirigeants politiques, qui s’acharnent au contraire à éradiquer toute trace de cette origine. Celle-ci est même présentée comme ce contre quoi se serait affirmée la « modernité ». En parallèle, la dénonciation de l’Église et de ses « méfaits » historiques est devenue un toc, comme si elle, et elle seule, était responsable de ce que nous aurions éventuellement à nous reprocher. Cela n’est pas anodin, tant la liberté de penser dont je souhaite continuer de jouir me paraît indissociable d’une relation équilibrée entre l’Église et l’État, qui a été le grand enjeu de l’Histoire occidentale depuis le début du IVe siècle. Or cette liberté, tant revendiquée, est de plus en plus restreinte, et menacée.
Breizh-info.com : Quelles sont les principales idées chrétiennes qui ont bouleversé le monde ?
Jean-François Chemain : J’en ai abordé une quinzaine, sans prétention à l’exhaustivité, tant tous les aspects de notre civilisation sont issus du christianisme. L’une d’elles me paraît particulièrement importante : l’exigence augustinienne de distinguer la Cité des Hommes de la Cité de Dieu, l’État de la religion (donc chez nous de l’Église), au contraire de tout ce qui a existé, et existe encore ailleurs qu’en chrétienté. Cette nécessaire distance – qui ne veut pas dire nette séparation – a créé un espace par lequel se sont insérées toutes les libertés dont nous pouvons jouir. J’en citerai une autre : l’importance du pardon, demandé et accordé, qui libère des énergies indispensables pour aller de l’avant, là où d’autres civilisations sont prisonnières du ressentiment et du besoin de vengeance. Mais j’en étudie bien d’autres, comme la primauté de la paix sur la guerre, l’égale dignité de la femme et de l’homme, le rejet de l’esclavage, la possibilité du progrès, l’importance de l’enseignement… On notera que toutes ces idées ont libéré les chrétiens, donnant peu à peu à leur civilisation une supériorité qui leur a permis de devenir les maîtres du monde. Ce qu’ils acceptent de payer aujourd’hui… au nom de la morale chrétienne…
Breizh-info.com : Vous évoquez dans votre livre le fait que l’Europe chrétienne ait joué un rôle dans l’avènement de la laïcité, les droits de l’homme, l’égalité femmes-hommes, dans l’abolition de l’esclavage. Si on parle en terme de civilisation, n’a-t-elle pas finalement semé les graines de son propre déclin que nous voyions aujourd’hui ?
Jean-François Chemain : Le paradoxe de la nature chrétienne de la civilisation européenne est effectivement qu’elle porte en elle les germes de son propre effacement. On peut bien sûr parler des « vertus chrétiennes devenues folles » évoquées par Chesterton : l’émergence de l’idée de personne a débouché sur l’extrême individualisme, la reconnaissance de l’égale dignité de la femme sur l’ultra-féminisme, le refus de condamner le pécheur sur la « fierté » de toutes les déviances morales… Mais certaines de ces vertus sont apparemment « saines » puisque portées par l’Église elle-même : l’exigence d’accueillir inconditionnellement les étrangers, l’amour de l’autre et le dialogue avec lui alors même que ledit « autre » persécute les chrétiens partout où il est majoritaire, la demande de pardon, fût-elle adressée à des peuples qui ne pardonnent rien, et ne demandent eux-mêmes jamais pardon… Tout cela est parfaitement chrétien. C’est un réel paradoxe, et un défi !
Breizh-info.com : Le fait que l’Europe, après sa christianisation, ait voulu christianiser le monde entier, n’a-t-il pas contribué également à ce retour de bâton actuel, comme si finalement, le message chrétien européanisé ne pouvait pas se fondre totalement parmi les autres civilisations qui peuplent notre monde ?
Jean-François Chemin : La christianisation du monde par l’Europe portait en germe la condamnation de l’Europe par le monde, dès lors qu’elle s’est souvent effectuée dans la foulée de la colonisation, et donc de l’humiliation. Qu’on pense au traité de Nankin, avec la Chine, dont une clause inclut le libre accès des missionnaires chrétiens, alors qu’il clôt deux « guerres de l’opium », par lesquelles l’Europe a obligé la Chine à acheter cette drogue aux Britanniques. Comme si on avait voulu illustrer la comparaison de Marx entre religion et l’opium !
Breizh-info.com : Finalement, n’y-a-t-il pas une forme de conflit permanent et difficilement soluble entre la civilisation européenne enracinée et géographiquement définie, et l’universalisme chrétien ?
Jean-François Chemain : C’est cela. Le pape François incarne parfaitement cette évolution : d’origine italienne, donc européenne, américain de naissance parce que l’Amérique a été conquise et christianisée par l’Europe, il n’a de cesse que de distendre le lien existant entre l’Église et ce continent, qu’il ne visite qu’exceptionnellement. Condamnant la messe en latin, mais attentif à promouvoir les rites mayas.
Breizh-info.com : A travers le message porté par le Pape François aujourd’hui, peut-on dire que le christianisme est en train d’abandonner progressivement l’Europe, au même titre que les Européens semblent tourner massivement (en Occident surtout) le dos au christianisme ?
Jean-François Chemain : Je ne sais pas si le christianisme abandonne tant que cela l’Europe… La foi et la pratique chrétiennes, certainement, mais les européens croyaient-ils – personnellement – autant que cela auparavant (« un dévot est quelqu’un qui serait athée sous un roi athée » a dit La Bruyère), et pratiquaient-ils librement ? Il me paraît en revanche clair que notre Europe est encore gorgée de morale évangélique, dont je (re)donnerai plusieurs exemples : l’accueil inconditionnel de l’étranger, le refus de juger le pécheur, la passion de l’égalité, la repentance, etc… Le problème est de savoir ce que cette morale fait en politique !
J’aspire au retour d’une saine distinction entre Église et État, ce qui implique déjà que celui-ci reconnaissance l’essence chrétienne des « valeurs » qu’il prétend devoir défendre, et l’importance de redonner tout son crédit à celle-là. Le modèle est à mes yeux l’attitude de Richelieu face au « parti dévot » : s’il est essentiel que l’Église, qui a charge des âmes, puisse librement jouer son rôle de conscience de l’État, il ne l’est pas moins que ce dernier, qui a charge des corps et des biens, en prenne et en laisse, non moins librement. Plutôt que d’entrer dans le jeu d’une surenchère moralisante avec l’Église.
Propos recueillis par YV
Photo : DR
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7 réponses à “Jean-François Chemain (Ces idées chrétiennes qui ont bouleversé le monde) : « La nature chrétienne de la civilisation européenne porte en elle les germes de son propre effacement » [Interview]”
« »Ces idées Chrétiennes qui ont bouleversé le monde … » ». Tout ça c’est vite dit. Je rappelle que la Chrétienté ne se limite pas au catholicisme. Qui en soi est en déclin prononcé, du reste grâce à des pontifs (Sans jeu de mots) tel que le Pape actuel qui n’est qu’un fieffé communiste (je me souviens de lui pour l’avoir vu et entendu prêcher en Argentine à l’époque où il n’était qu’un simple ecclaisiastique de Gauche). En France, comme ailleurs dans le monde européen dit « Blanc », au niveau religion, ou mieux-dit religieux, nous sommes mal barrés. Je vais vous faire une confidence : Je suis bien heureux d’être d’origine Russe et de religion orthodoxe !… Chez nous au moins, c’est clair, net et strict. Et le bordel en moins ! Voyez la Russie d’aujourd’hui avec Poutine en tête !…
Le Pape s’improvise podologue.
La laïcité « idée chrétienne »? Je sais, Eric Zemmour le dit régulièrement. Mais c’est une erreur, même une absurdité. Comment une religion pourrait-elle prôner une société où la religion est mise de côté.
Non, soyons sérieux, le catholicisme romain a distingué le sacré et le profane, j’ai bien dit « distingué ». A partir de cette distinction qu’on ne retrouve ni dans le Judaïsme, ni dans l’Islam, on a pu concevoir une séparation. La distinction a donné les concordats entre l’Eglise catholique romaine et l’Etat, par exemple le Concordat avec le roi François I°; la séparation est la base du combat anticlérical, voir Voltaire, Diderot et plus tard la loi maçonnique de 1905.
Quant à l’égalité hommes/femmes, c’est du pur féminisme. Mais il est vrai que la société catholique médiévale a su donner toute sa place à la femme: voir les travaux de l’historienne Jeanne Bourin, comme le roman « La chambre des Dames » qu’on étudiait en Licence d’Histoire de Nantes.
J’ajoute qu’il y a aussi la distinction « clercs » (religieux) et « laïcs (non pas laïques, partisans de la laïcité). D’ailleurs depuis le Concile Vatican II, c’est le bazar, aucun banc de communion pour séparer les clercs (qui célébraient la Messe traditionnelle en latin) des laïcs, dans l’église; les laïcs interviennent dans la célébration, n’importe quand; le curé n’est plus le seul responsable; il y a un Conseil paroissial où l’autorité du pauvre curé est complètement diluée.
Je ne parlerai pas de l’autre distinction « public » et « privé », c’est une autre histoire. Mais, comme le dit Eric Zemmour, la religion légaliste, ou communautariste, comme le Judaïsme ou l’Islam, c’est chacun surveille tout le monde…
Certains se gargarisent des « racines chrétiennes de l’Europe ». C’est un « fake » ! C’est des « racines européennes de la chrétienté » qu’il faut parler. Et si la chrétienté a dominé le monde, c’est parce qu’elle a su se libérer des aspects les plus destructeurs du dogme, en particulier face à l’islam. Hélas, certains les prennent au sérieux…
Le pape actuel préfère se préoccuper du sort des migrants , plutôt que de celui des peuples européens . Et bien dans ce cas , qu’il fasse ouvrir toutes grandes les portes de ce coffre fort qu’est le vatican , qu’il les reçoive et s’en occupe lui qui les aime tant !! L’ Europe qui se meurt , n’a pas besoin des sermonts de ce pape collaborateur qui est tout près à tendre les deux joues et à ployer les genoux devant l’envahisseur islamique.
C’est clair que dans la vie courante, il faut revenir à une éthique préchrétienne, celle des Romains ou des Hébreux. Un groupe humain ne doit pas être charitable au point d’accepter sa destruction.