Au début des années 1920, par ses écrits et ses films, Louis Delluc a prôné, puis tenté de créer lui-même, une identité pour le cinéma français. Son chef d’œuvre reste un film défendant la famille contre l’amour égoïste.
Un couple, avec un bébé et quelques domestiques, habite une belle maison en Italie. Mais l’épouse (Gine Avril), plus jeune que son mari (Roger Karl), a un amant. Hésitante, elle s’apprête, un soir, à quitter sa famille pour le rejoindre. C’est alors qu’une « femme de nulle part » (Eve Francis), âgée, meurtrie, qui a naguère cédé à sa passion et abandonné son mari, revient avec nostalgie dans cette propriété où elle vécut heureuse, trente ans auparavant. Elle reçoit l’hospitalité des nouveaux propriétaires, mais s’aperçoit que la jeune femme est dans la même situation qu’elle autrefois. Elle lui révèle qu’en partant elle a tout perdu, mais qu’elle ne regrette pas d’avoir payé si durement d’obéir à l’amour. La jeune femme quitte la maison mais, poursuivie par son enfant en pleur, se ravise et reste avec son mari. Le lendemain, la femme plus âgée repart comme elle est arrivée, seule, à pied, sur la route…
La Femme de nulle part est un film réalisé par Louis Delluc en 1922. La disparition prématurée de Louis Delluc (1890-1924), écrivain, scénariste, critique de cinéma et réalisateur, a indéniablement porté préjudice au cinéma français. A vingt ans, il est critique théâtral à Comoedia illustré et à vingt-sept, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Le Film, le plus important des journaux cinématographiques de l’époque. Pendant la guerre, il épouse Ève Francis, actrice dans La femme de nulle part, qui lui fait découvrir le cinéma américain. Il juge alors le cinéma français trop léger et feuilletonesque, à l’image des films de Feuillade.
Il milite pour un nouveau cinéma français, « qui soit du cinéma et qui soit français ». Il considère que « nous devons faire de bons films, des films nettement français. Quel intérêt peuvent porter les Américains à des films qui ressemblent aux leurs : ils n’y trouveront aucun attrait. Ils veulent connaître de nous des œuvres qui nous soient personnelles et qui soient le reflet de notre tempérament » (Bonsoir, 3 mai 1921, page 4 : « Faisons des films français »). Considérant que le cinéma allemand crée le style de l’expressionnisme, il entend que le cinéma français soit impressionniste afin de se façonner sa propre identité. Devenu cinéaste, il cherche à appliquer ses idées à l’écran. Il essaie de faire exprimer par l’image la psychologie cachée des personnages : en limitant le texte et la gestuelle de l’acteur à l’essentiel, en utilisant le décor non plus comme une simple toile de fond pittoresque, mais en créant une ambiance correspondant à l’intrigue. Aux côtés d’Abel Gance, Germaine Dulac, Marcel L’Herbier, Jean Epstein, René Clair, il va marquer le cinéma de l’Après-guerre.
La femme de nulle part, réalisé en 1922, est considéré comme son chef d’œuvre. Pour insister sur l’émotion des deux femmes, multipliant les mouvements de caméra, il les filme de près, montre leurs regards emplis de non-dits et révèle ainsi leurs expressions. Il limite également les intertitres. Le décor participe à cette ambiance, à l’image de la belle demeure austère isolée dans un grand parc.
Le tournage rapide, en six semaines, débute en décembre 1921. Les scènes intérieures sont tournées aux Studios Gaumont des Buttes-Chaumont, les prises de vue en extérieur en Provence et dans les environs de Gênes. Après le tournage vient le temps du montage. Delluc multiplie les montages alternés et les flashbacks.
La critique est extrêmement favorable, mais le succès public n’est pas au rendez-vous. Les dettes s’accumulent. Ève Francis le quitte. La dépression s’installe. Lors de son dernier tournage, dans le Vaucluse, sous le mistral et la pluie, Delluc souffre de la tuberculose, qui l’emporte au printemps 1924, à 33 ans.
Le prix Louis Delluc récompense chaque année le meilleur film français.
Ce film peut être visionné sur dailymotion :
Également disponible dans le coffret DVD Louis Delluc : Le Chemin d’Ernoa, Fièvre, La Femme de Nulle Part, L’inondation. 29,95 euros. Les Documents Cinématographiques.
Kristol Séhec
Crédit photos : DR
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Une réponse à “La femme de nulle part, chef d’œuvre moraliste de Louis Delluc, a 100 ans (cinéma).”
Un chef d’oeuvre pour l’époque qui raconte une histoire » humaine » avec ses difficultés….de nos jours, les bons films sont rares, la technique avancée et les effets spéciaux compensent ( mal ) la pauvreté du scénario et ce ne sont pas les séries lamentables sur nos chaînes publiques qui vont remonter le niveau. Il faut de tout au cinéma, du ciné populaire et des films d’Art et d’ Essai aussi. Vu le prix des places, mieux vaut se renseigner avant d’y aller !